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Le crépuscule de mon idole

Auteur: Souleymane Jules Diop

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« Les exigences d’un grand peuplesont à l’échelle de ses malheurs »Charles de GAULLE
J’étais à Tunis pour participer à la rencontre des leaders des médias africains, dans le cadre de l’initiative africaine pour les médias, conduite par notre brillant compatriote Amadou Makhtar Ba. Nous y avons discuté de l’avenir des médias africains face à l’émergence spectaculaire des médias dits « sociaux ». Le choix porté sur Tunis n’est pas fortuit, puisque c’est de là qu’est parti ce que les médias occidentaux appellent  « le printemps arabe ». Je récuse ce vocable, parce que ces derniers huit mois, j’ai fait l’ensemble des pays du Maghreb, à l’exception de la Libye, que j’avais visitée quelques années auparavant. Le but de ces voyages entamés au début du printemps, en mars précisément, était donc de comprendre ce qui s’y passait et en quoi le sort de ces peuples intéressait le reste de l’Afrique. J’y reviendrai plus largement, dans une longue réflexion qui reflètera, je l’espère, le résultat de mes enquêtes. Mais ce que je veux dire ici, je l’ai déjà exprimé à mon frère Omar Belhouchet, directeur de la publication du quotidien algérien El Watan. Je lui ai dit qu’après avoir été au contact des peuples du Maghreb, je suis maintenant convaincu qu’ils sont profondément africains. Je lui ai souligné que je pouvais me tromper, mais que j’ai découvert que la langue arabe était une langue du colon arabe, que l’islam était aussi une religion importée. On y parlait ce que les romains appelaient le « berbère », une autre façon de dire les « barbares ». Les arabes ont dominé cette région comme avant eux, les romains et les philistins. L’islam n’a pu prospérer chez nous, j’en suis persuadé, que parce que la religion mère, la judaïté, est d’essence égyptienne et africaine. Ces maghrébins portent sur leur peau et dans leur âme les traces du métissage obtenu au contact des différents peuples, mais leurs tribus n’ont jamais été défaites. Nous oublions souvent que c’est avec des régiments maliens et maures que les pays d’Europe ont été conquis. Encore aujourd’hui, du nord au sud, on trouve des peuples de toutes les couleurs et de toutes les races. Ce n’est pas un signe de faiblesse, c’est un signe de richesse. Et je demeure encore plus convaincu par les thèses diffusionnistes de Cheikh Anta Diop. Nous sommes, nous peuples africains, de différentes races, mais nous sommes une seule et même nation.Je tenais ces propos dans une salle comble et le rythme du tam-tam battait. Devant nous, se trémoussait une femme et nous pouvions découvrir les regards curieux des invités de tous les pays à travers les coupes de vin qui dégoulinaient de liquide fruité rouge. Je lui ai dit que c’était la preuve que la Tunisie était bien africaine et que je partais rassuré, en étant sûr que l’islamisme radical ne gagnerait jamais ce beau pays. Il s’est levé et sur un ton majestueux m’a dit : « Je vous adore mon cher monsieur. Vous avez non seulement raison, mais nos frères Kabyles seraient heureux, s’ils vous entendaient. » J’ai eu le même sentiment quand j’ai vu la jeunesse tunisienne danser avec Youssou N’dour, Angélique Kidjo et des stars de la chanson tunisienne. Ils ont réussi des improvisations d’une beauté que seule cette unité culturelle africaine peut permettre.Mais il y avait d’autres raisons à ma présence à Tunis. J’étais parti à la rencontre d’un homme qui a eu l’heureuse initiative de promouvoir la démocratie sur le continent africain, avec les revenus générés par ses activités dans le monde des affaires. Il s’agit du soudanais Mo Ibrahim. J’ai voulu le rencontrer pour évoquer avec lui le cas sénégalais. Un autre compatriote, Magatte Wade, a facilité cette rencontre. J’ai félicité Mo Ibrahim pour son initiative, non sans lui dire que j’entends bien défendre le dossier du président Abdoulaye Wade, pour qu’il devienne l’année prochaine, le récipiendaire du prix décerné par la fondation qui porte son nom. Je lui ai dit que globalement, au vu de son parcours de premier opposant légal africain, sa contribution au progrès de la démocratie en Afrique et sa victoire démocratique en 2000, Abdoulaye Wade méritait largement ce prix. Si, bien entendu, car il y a un si, il couronnait cette carrière par une sortie honorable, en renonçant à se présenter pour un troisième mandat. J’ai dit à Mo Ibrahim que sa voix faisait autorité et qu’il pouvait, dans ce cadre, nous être d’un grand secours.Il y eut un moment d’incompréhension, puisque le milliardaire soudanais m’a déclaré qu’il prenait mal le fait que je tentais de l’influencer et surtout que je lui demandais de prendre parti dans le débat sénégalais, à quelques mois de la présidentielle. Ce qui n’était pas mon propos. J’ai pensé qu’il pouvait rappeler quelques vérités liées à la bonne gouvernance, au respect de la parole donnée, en s’en limitant aux principes. Il l’a bien compris et quand nous nous sommes revus le soir au cours d’un toast qu’il offrait en marge du concert de Youssou N’dour, il a eu la bonhomie de s’expliquer et de me dire qu’il m’a finalement bien compris et que rappeler certains principes de gouvernance n’était pas mal. Il m’a parlé de ses origines nubiennes et des grands principes qui fondent ce peuple africain ancien. J’ai été heureux de constater qu’il n’en avait pas que dans les poches, qu’il en avait aussi dans la tête et que nous avions une communauté de vues sur de nombreuses questions. C’était aussi une surprise pour lui, puisque j’ai été partout présenté comme un farouche et vulgaire opposant à Abdoulaye Wade.Mais ma démarche est empreinte d’une grande sincérité. Je pense que si l’on se situe dans une perspective hégélienne, Abdoulaye Wade restera, aux côtés de Nelson Mandela, une des plus grandes figures de ce siècle. Sans rien enlever à la critique que nous lui faisons, nous devons admettre que nous n’en serions pas là sans son courage, sa ténacité et la pertinence de ses choix. Il assume lui-même sa part d’échec dans cette grande œuvre. Il l’a avoué concernant la Casamance, il vient de le faire concernant l’emploi, les deux principaux sujets sur lesquels il était attendu et s’était engagé. Les aveux de son ministre de la Fonction publique sont sur ce point édifiants, quand il révèle qu’en 2011, la Fonction publique n’a recruté personne et qu’au même moment, nous voyons son budget baisser  de 14 millions de francs pour 2012. Je pense que Wade s’est fait le président des riches, en abandonnant les pauvres qui avaient fait de lui un président. Mais j’ai dit me situer dans une perspective hégélienne, en ayant une vision holistique de son combat. Il nous a permis de nous découvrir et de défendre ce que nous avons de plus cher, notre unité. Il nous a permis d’édifier à jamais les bornes qu’il ne faut jamais franchir puisque ce que nous lui avons refusé, nous ne l’accorderons à personne. Plus jamais un homme ne pourra se lever et penser que ce peuple est assez benêt pour laisser passer une succession de père en fils. Il y a eu et il y aura toujours la jurisprudence du 23 juin 2011. Il nous a surtout permis de découvrir une jeunesse avant-gardiste incarnée par le mouvement Y en marre et l’émergence d’une société civile forte, à travers le M 23. Son bilan financer est sans doute catastrophique, fait de scandales et de pratiques rocambolesques, mais ses choix économiques sont d’une pertinence indiscutable. Il nous a permis d’asseoir les bases d’un Sénégal moderne, tant au plan des infrastructures que du recentrage de notre coopération économique. Sur toutes ces questions, nous savons maintenant ce qu’il ne faudrait pas faire. Je dis donc que tout est loin d’être parfait, mais nous ne lui demandions pas d’être parfait. Nous l’avions choisi avec la claire conscience de son âge et de ses limites. Nous lui avions donc demandé d’asseoir les bases d’un Sénégal moderne et de transmettre le témoin à la nouvelle génération de décideurs. La même chose que Mandela a faite en Afrique du Sud. Notre pays compte des ressources humaines en si grand nombre, que la question de sa succession ne peut pas faire débat.Il reste encore à ce brillant homme politique de la ressource pour bien finir. Je veux qu’au mois de janvier 2012, au moment où l’opposition va s’engager dans le combat pour sa succession, j’engage la campagne dans les capitales d’Europe, d’Afrique et d’Amérique pour obtenir son couronnement. Je pense qu’au-delà du prix Mo Ibrahim, Abdoulaye Wade mériterait le prix Nobel de la paix. Nul autre n’est mieux placé que moi pour le dire. Plusieurs générations nous séparent, de nombreuses questions nous divisent, mais je lui voue une admiration sans limite. Il nous a appris à être courageux et surtout, à être patients. C’est dans cette même admiration que nous fondons notre détermination à ne pas le laisser fouler aux pieds les principes pour lesquels il s’est lui-même battu. Il lui faut, pour connaître la gloire éternelle, il doit cesser de se faire le protecteur de son engeance maléfique et renoncer à vouloir se faire grand. Je vais lui dire ce que j’avais appris du philosophe Nietzsche, les plus grands naissent posthume. Qu’il s’érige en véritable maître et nous deviendrons ses plus valeureux disciples.

SJD

Auteur: Souleymane Jules Diop
Publié le: Jeudi 17 Novembre 2011

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