Calendar icon
Wednesday 15 October, 2025
Weather icon
á Dakar
Close icon
Se connecter

TOUBA - Enquête dans le mystérieux univers des toiletteurs mortuaires ou « Sangkatu nééw »

Auteur: Senewebnews

image

Rares sont ceux qui osent fouiner leurs nez dans ce qu’ils font.  A cause de leur travail singulier, les toiletteurs mortuaires attirent pourtant respect et étonnement car, jusque-là, peu de Sénégalais s’adonnent à cette activité bizarre mais indispensable. Accusés, indirectement, d’être parfois des vecteurs de certaines maladies, dont le choléra, certains d’entre eux minimisent expliquant que c’est le moindre mal car accusés parfois même de croque-morts. Gardant, jalousement leur identité comme si leur activité était synonyme de honte, ces hommes et ses femmes expliquent comment ils sont arrivés à faire de la toilette mortuaire un métier. Au-delà du simple fait de laver les morts… Un tour à Touba à l’est de la grande mosquée.

Touba est sans doute, la localité au Sénégal qui reçoit le plus de morts par jour. Rien que pour ce qui concerne les grands cimetières situés à l’est de la Grande Mosquée, différentes sources annoncent qu’une cinquantaine d’inhumations sont notées quotidiennement. Un tour sur les lieux aura permis de remarquer, véritablement, une fréquentation assidue et non négligeable. « Les mourides où qu’ils se trouvent à travers le monde préfèrent être enterrés à Touba, quitte à être congelés plusieurs jours durant» nous confie ce vieil homme de 71 ans, toiletteur de morts depuis 19 ans. Nous l’appellerons Baye Fall et sa collègue Mère Aida. Baye Fall revient sur ce métier qu’il qualifie de « plus difficile au monde ». Il se rappellera sa première prestation, livrera ses sentiments et les déboires auxquelles il a été confronté.

« Pas d’enregistrement, pas de photo et obligation de passer au ‘’ nouyoub mourid’’ (somme d’argent à donner ) après entretien » listera-t-il comme étant les conditions. C’est ensuite qu’il dira à ses amis toiletteurs de morts ( 3)  qu’il devait prendre congé d’eux pour quelques minutes avant de s’engouffrer dans une tente où sont étalés des linceuls destinés à la vente . A la question : comment est-il arrivé à faire du toilettage mortuaire un métier, notre homme s’épanchera : « Je suis dans ce métier depuis bientôt 20 ans. Je l’ai commencé lorsque j’étais au village. Nous avions le second de l’Imam qui s’occupait de cette tâche et qui était mon oncle. A son décès, nous n’avions personne pour lui faire la toilette. Je m’en suis occupé. Deux jours après, une autre personne devait décéder. Ne pouvant pas le faire pour certains  et le refuser pour d’autres, j’étais, finalement, obligé d’épouser ce métier, sans trop avoir le choix. 5 ans durant, c’est moi qui lavais tous les morts avant que je ne quitte le village.

Pourquoi avez-vous quitté le village ?

Bien, c’est très compliqué ...  En tout cas ce n’était pas pour de l’argent … Au fur et à mesure que je m’occupais des morts, j’ai commencé à avoir des « visions nocturnes », à faire des cauchemars. Il m’arrivait de crier la nuit et au lendemain je n’arrivais même pas à me rappeler ces cauchemars. Petit-à-petit, les gens ont commencé à se méfier de moi. Un jour la femme de mon frère est venue me raconter que , dans le village , les mauvaises langues avaient commencé à m’imputer certaines maladies , certains malheurs des gens et certaines morts subites…  pour quelqu’un qui a habité avec eux pendant plusieurs années , c’était inconcevable et inacceptable . Je dois dire qu’on me traitait de sorcier, de croque-morts… Je n’en revenais pas et Dieu sait que je ne suis pas seul dans cette situation.  Ne pouvant plus supporter les sarcasmes des uns et des autres, j’ai migré vers Touba, seul. Dieu a fait que je n’ai  toujours pas d’enfants, c’est certainement pour cela que je suis aussi vulnérable.

Seneweb : Et quand vous êtes venu à Touba… ?

Quand je suis venu à Touba, je n’ai pas trouvé autre chose à faire que continuer à laver les morts. A mon arrivée au niveau des cimetières, j’ai trouvé un homme qui avait hérité ce métier de son père. Il m’a beaucoup aidé pour mon intégration. Aujourd’hui, il est malade et il m’a fait promettre de m’occuper de lui s’il quittait ce bas-monde avant moi. C’est pour dire qu’en tant que notre doyen, combien il me fait confiance.

Vous rappelez-vous de votre première prestation ?

Oui, il s’agissait de mon oncle. Je me rappelle avoir eu tous les problèmes du monde avant de lui faire la toilette mortuaire. L’homme que je connaissais de teint noir était subitement devenu un peu clair. Il était lourd et difficile à manier. Je transpirais comme si j’étais dans un four. Dieu sait que j’ai failli sortir et m’en aller en courant. J’avais peur de le regarder, j’étais affolé et étouffé. Un corps sans âme, c’est extraordinaire ! Je récitais tous les versets coraniques qui me passaient par la tête. Aujourd’hui, je me retrouve avec une foi en Dieu très renforcée …

Ses déclarations seront appuyées par celles de  Mère Aida qui, elle aussi, a accepté de se confier à nous non sans refuser d’abord. La dame, la soixantaine (car ne sachant pas sa date de naissance précise) dira son amertume par rapport à certains comportements désobligeants auxquels elle est confrontée. « Chez moi, c’est moi qui donne l’essentiel de la dépense quotidienne. Pourtant, personne ne mange avec moi autour d’un même bol. Les gens, dans mon quartier, me fuient. Je ne peux ni prendre part aux tontines, ni participer aux cérémonies féminines de manière générale. Les femmes ne semblent pas vouloir de mon argent. Je crois que c’est l’origine qui dérange. Les gens ne préfèrent pas que je vienne  leur rendre visite, surtout nuitamment .Pourtant  nul n’aimerait être enterré sans toilette mortuaire préalable…. (Pensive) Un jour, il m’est arrivé de dire à une personne ‘’ à demain ‘’. Le lendemain, il est tombé malade. Alors on est venu me faire chercher »

Donc vous souffrez ?

Mère Aida : Oui nous souffrons. Les hommes plus que les femmes d’ailleurs. C’est difficile.

Baye Fall comme Mère Aida s’accorderont à dire que ce métier est loin de nourrir son homme. La tarification n’étant pas fixée, il revient aux proches du défunt ou de la défunte de définir la somme à donner et ce,  en fonction de leurs capacités financières personnelles. « Dès fois, on nous donne 1000 frs, des fois 2000, 3000… des fois 5000 Frs, des fois rien. Mais, nos prestations n’exigent aucun paiement en retour même si j’avoue, personnellement, vivre de cela » martèle Mère Aida.

Les « Sangkatu neew », des vecteurs de maladies

Quotidiennement en contact avec les morts, les toiletteurs mortuaires sont indexés d’être de véritables vecteurs de maladies.  Cette accusation émane généralement des autorités médicales. En effet, dans le souci de prendre les mesures idoines sensées empêcher le choléra de faire son apparition dans la cité à la veille des magals, le Docteur Moustapha Sourang avait jugé utile, l’année dernière  «  de couper la chaine de transmission de ce fléau » en sensibilisant les toiletteurs mortuaires autour de leur rôle prépondérant dans la propagation. A l’en croire, omettre ce pan de la lutte enlèverait à celle-ci toute son efficacité. Baye Fall, notre vieil homme des cimetières, trouvera que « c’est une accusation de plus » même s’il admet que la plupart des personnes qu’ils reçoivent sont mortes à la suite de maladies et peuvent provenir des différents foyers d’accueil des émigrés Sénégalais . « Si les autorités veulent mettre en sécurité les populations, elles devront commencer alors par nous aider en nous offrant des bouteilles d’eau de javel, du savon,  des gants, des blouses etc… Nous n’avons rien pour prétendre nous octroyer tout ce petit matériel même si nous sommes , si c’est le cas , les plus exposés  !Au lieu de s’en prendre à nous , elles gagneraient à venir nous voir » . Le soleil s’en va retourner vers sa demeure, Baye Fall et mère Aida aussi. Demain le soleil reviendra peut-être avec sa belle lumière, eux aussi seront au rendez-vous avec leur lot de désolation.

Auteur: Senewebnews
Publié le: Mercredi 11 Décembre 2013

Commentaires (0)

Participer à la Discussion