Jeudi 28 Mars, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Afrique

Appel à une enquête sur les crimes commis par l’armée nigériane

Single Post
Appel à une enquête sur les crimes commis par l’armée nigériane

Alors que le Nigeria tente de négocier un cessez-le-feu avec le groupe islamiste militant Boko Haram (BH), les analystes s’inquiètent de la possibilité d’une amnistie générale et exhortent la Cour pénale internationale (CPI) à enquêter aussi sur les allégations de violations commises par l’armée.

 

Le cessez-le-feu est négocié par un groupe d’experts du gouvernement qui a également pour mandat d’élaborer une loi d’amnistie pour les rebelles de BH. On ignore encore à quel moment la trêve sera signée, si toutes les factions de BH ont accepté de s’y conformer et si la promesse d’une amnistie a joué un rôle dans l’accord de cessez-le-feu.

 

Les groupes de défense des droits de l’homme insistent sur le fait que la paix sans justice n’est pas viable et exhortent le Nigeria à ne pas accorder une amnistie générale aux islamistes de BH.

 

« Les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et la torture ne devraient pas faire l’objet d’une amnistie. Ce principe fait partie intégrante de la législation internationale et constitue l’un des éléments qui permettent d’assurer une paix durable », a dit à IRIN Elise Keppler, juriste senior pour le programme de justice internationale de Human Rights Watch (HRW). « Une amnistie pourrait être accordée à ceux qui ont pris les armes ou commis des violations moins graves, mais la clé, c’est qu’elle ne soit pas étendue aux auteurs des crimes les plus graves. »

 

Le Nigeria a déjà pardonné à des rebelles par le passé, notamment dans le delta du Niger, où les militants qui ont déposé les armes ont été graciés.

 

L’an dernier, la CPI a ouvert une enquête préliminaire sur les troubles provoqués par BH en 2010 et découvert qu’il existait une « base raisonnable » permettant de croire que la milice avait commis des crimes contre l’humanité, citant les attaques systématiques et généralisées qui ont entraîné la mort de plus de 1 200 civils chrétiens et musulmans dans les États de Bauchi, de Borno, de Gombe, de Kano, de Katsina et de Yobe, dans le nord du Nigeria, ainsi que dans les États d’Abuja, de Kaduna et de Plateau, dans le centre du pays.

 

BH est accusé d’avoir tué des milliers de personnes dans le nord du Nigeria depuis 2009. Les militants islamistes ont en effet attaqué des églises, assassiné des civils et mené des attentats-suicide contre des forces de sécurité, des locaux de journaux, un bureau des Nations Unies, des marchés et des écoles.

 

Appel à l’élargissement de l’enquête de la CPI

 

Des analystes ont exhorté la CPI à élargir son enquête pour inclure les forces de sécurité nigérianes. HRW et d’autres les accusent en effet d’avoir tué des civils, incendié des maisons et saccagé des villages, notamment Baga, une communauté isolée située dans le nord-est de l’État de Borno.

 

« Pour le moment, l’enquête de la CPI n’est pas dérangeante pour le gouvernement nigérian, car elle concerne seulement BH », a dit Kevin Jon Heller, professeur agrégé et chargé d’enseignement à la faculté de droit de Melbourne.

 

« Le travail de la CPI est pratiquement inutile si elle ne fait que poursuivre les membres des groupes rebelles. Le principal défi que doit surmonter la Cour est de trouver le moyen d’enquêter sur des fonctionnaires du gouvernement et des responsables de l’armée qui sont associés au gouvernement alors que ce même gouvernement est toujours au pouvoir. Je ne crois pas qu’il y ait une solution facile pour remédier à ce problème. »

 

Claus Molitor, analyste de situation auprès du bureau du procureur [de la CPI], a fait remarquer que la Cour avait déjà ciblé de hauts responsables gouvernementaux, notamment le président soudanais Omar el-Béchir et le président kényan Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto.

 

« Nous nous basons sur les faits et sur la loi », a-t-il dit. « Nos décisions sont fondées sur les exigences légales du Statut de Rome. Ça n’a rien à voir avec la politique et ce n’est pas non plus une question de favoritisme. »

 

« Il existe une base raisonnable qui nous permet de croire que BH a lancé des attaques systématiques et généralisées contre des civils, mais nous ne pouvons pas en dire autant des forces de l’État », a-t-il ajouté. « Nous n’écartons aucune hypothèse à ce stade-ci. S’il y a lieu, nous réévaluerons la situation lorsque nous obtiendrons de nouvelles informations. »

 

Des messages contradictoires

 

Atta Barkindo, un expert de BH qui étudie l’islam politique, les conflits et la justice transitionnelle dans les sociétés post-conflits à l’École des études orientales et africaines (SOAS), à Londres, croit cependant qu’une amnistie pourrait permettre de mettre un terme au « cycle de meurtres et d’effusions de sang » et qu’elle est importante pour la réconciliation.

 

Il estime toutefois que le gouvernement du président Goodluck Jonathan a envoyé aux rebelles des messages contradictoires. Il a en effet commencé par leur offrir une amnistie en avril avant de déclarer l’état d’urgence dans les États du Nord et de lancer une offensive aérienne et terrestre contre eux un mois plus tard.

 

« C’est une véritable zone de guerre là-bas », a dit M. Barkindo, qui s’est récemment rendu dans la région. « Il y a des soldats partout. Il y a des postes de contrôle toutes les 45 minutes et un couvre-feu a été décrété. »

 

Les violences récentes suggèrent que la répression militaire n’a pas eu l’effet escompté.

 

Début juillet, une attaque contre une école de l’État de Yobe, dans le nord-est du pays – l’un des trois États où l’état d’urgence a été décrété –, a fait plusieurs dizaines de victimes parmi les élèves. On raconte que certains auraient été brûlés vifs et d’autres, abattus. On ignore encore qui est derrière l’attaque, mais BH a déjà ciblé des écoles de la région par le passé.

 

Selon Bala Mohammed Liman, qui étudie le conflit et l’identité dans le nord du Nigeria à la SOAS, il n’est pas facile de déterminer avec précision quels sont les crimes qui ont été commis par BH, car ses membres sont difficiles à identifier.

 

« Ils forment un groupe indistinct : à part le leader, Abubakar Shekau, personne ne sait véritablement qui sont les membres », a-t-il dit. « Tous les actes de criminalité commis dans le Nord sont attribués à BH, et les forces de sécurité sont si incompétentes qu’elles n’ont pas été capables d’identifier les auteurs de certains de ces crimes. Résultat : BH se voit attribuer la responsabilité de tous les crimes commis dans la région. »

 

La CPI évalue le travail de la justice locale

 

La CPI tente actuellement de déterminer si le gouvernement nigérian mène des enquêtes et poursuit les auteurs des crimes les plus graves. Les règles de la CPI lui interdisent en effet d’intervenir sauf lorsque les autorités nationales n’ont pas la volonté ou sont dans l’incapacité de mener des poursuites.

 

Quatre membres de BH ont récemment été condamnés à des peines d’emprisonnement à vie pour des attentats à la bombe contre le bureau d’une commission électorale et une église.

 

M. Molitor, de la CPI, a dit que celle-ci supervisait actuellement les procédures nationales dans le cadre de son examen préliminaire. Ses représentants s’entretiennent notamment avec des personnes chargées de superviser les procès des membres de BH pour s’assurer qu’ils sont impartiaux et que les droits des prévenus sont respectés.

 

« Nous ne sommes arrivés à aucune conclusion pour l’instant », a-t-il dit, ajoutant que le Nigeria travaille en collaboration avec la CPI et qu’une équipe du bureau du procureur pourrait se rendre sur place cette année pour assurer le suivi des missions précédentes à Abuja.

 

Le Nigeria est capable de mener ses propres poursuites, estiment certains

 

M. Heller, de la faculté de droit de Melbourne, croit que le Nigeria est capable de poursuivre lui-même les auteurs des crimes prétendument commis par BH.

 

« Rien n’empêche le Nigeria de poursuivre les membres de BH, sauf peut-être son incapacité à leur mettre la main dessus », a-t-il dit. « Le système judiciaire nigérian est fonctionnel et le pays a tout avantage à capturer et à poursuivre les hauts responsables de BH. Dans ce contexte, pourquoi la CPI devrait-elle gaspiller ses précieuses ressources pour engager des poursuites que le gouvernement est parfaitement disposé à mener? »

 

M. Barkindo, de la SOAS, croit que le Nigeria devrait prendre l’initiative de poursuivre lui-même les membres de BH accusés de crimes afin de mettre un terme à la culture d’impunité qui règne actuellement. « Le Nigeria doit prouver à ses citoyens qu’on ne peut pas commettre ces actes et échapper à la justice », a-t-il dit.

 

Il a également soutenu que ni les amnisties ni les poursuites n’auraient les résultats escomptés si le gouvernement ne cherchait pas à régler les problèmes fondamentaux qui sont à l’origine de l’insurrection dans le Nord.

 

« Si on ne règle pas ces problèmes structurels, un autre groupe finira par apparaître pour remplacer celui-ci », a dit M. Barkindo. « Le gouvernement doit s’attaquer à la pauvreté, au chômage et, surtout, à l’accès limité à l’éducation. Il y a beaucoup plus de jeunes analphabètes dans le nord que dans le sud du pays. »



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email