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Afrique

Au Maroc, la parole des femmes victimes de violences sexuelles commence à se libérer

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Au Maroc, la parole des femmes victimes de violences sexuelles commence à se libérer
« Je me rappelle encore de cet été 2014. Nous étions chez lui en train de regarder un film quand monsieur a décidé vouloir coucher avec moi. Je dis non, je refuse, catégoriquement, ce non sans sourire, ce non sérieux, qui ne laisse pas l’ombre d’un doute. Monsieur a quand même continué, me menaçant, me forçant, me battant… » Ce témoignage d’une Marocaine de 26 ans a été publié sur la page Facebook du collectif Masaktach (« Je ne me tairai pas » en dialecte arabe marocain). En dix jours, une trentaine de témoignages anonymes et similaires de femmes victimes de violences sexuelles ont été publiés.

Le collectif Masaktach est né en 2018 pour dénoncer la culture du viol et les violences subies par les femmes au Maroc. Tout a commencé avec « l’affaire Khadija », une jeune fille de 17 ans qui avait porté plainte pour avoir été séquestrée, violée et tatouée de force pendant deux mois par une dizaine d’individus.

Au Maroc, 54,4 % des femmes ont été victimes de violences, selon la dernière enquête nationale du ministère de la famille publiée en mai 2019. Mais le silence reste de mise. Seulement 28,2 % des femmes violentées se sont adressées à une personne ou à une institution, et 6,6 % ont porté plainte contre leur agresseur, selon la même enquête.

« Dénoncez ces prédateurs »

Anonymement, une autre femme témoigne : « Je souhaite avoir un jour le courage de dénoncer [mon violeur], de voir cette pourriture en prison. Mais je l’écris quand même anonymement ici, pour le moment, parce que je n’ai pas encore le courage de l’affronter ! » Depuis le 10 février, le collectif Masaktach appelle les femmes à témoigner « parce que la parole des survivantes doit être libérée, parce que la peur doit changer de camp ». « Dénoncez ces prédateurs qui agissent impunément, confortés par votre silence. Vous n’êtes pas seules », écrit le collectif. Cette campagne a été lancée suite à la plainte d’une journaliste française pour viol à Casablanca et à l’affaire d’un touriste koweïtien qui a quitté le territoire marocain après avoir bénéficié de la liberté provisoire dans une affaire de viol sur mineure.

Une page Instagram a été créée par une influenceuse marocaine, Ghita alias « Baddunes », en juillet 2019. Appelée « La vie d’une Marocaine », la page regroupe maintenant 45 400 abonnés et plusieurs centaines de témoignages. Du harcèlement dans la rue aux histoires de viol et d’inceste, la parole est libre et anonyme. « Au début, j’ai reçu 300 témoignages en un jour », se souvient Ghita, qui a été dépassée par le succès de son initiative. Désormais, la jeune femme partage aussi des vidéos d’agressions et de situations sexistes, ou les œuvres d’artistes qui évoquent des questions taboues afin de « discuter des sujets qui dérangent ».

« Les femmes qui s’expriment dérangent, c’est la hchouma [la honte] », explique l’influenceuse, pour qui le changement viendra de l’éducation des femmes et des hommes qui n’ont pas encore conscience de cette violence quotidienne, quelle que soit la classe sociale. « Les femmes victimes de violences se sentent coupables. Sur cette page, elles sont soutenues pour avoir le courage de continuer à se battre », dit-elle fièrement.

Suppression de l’article 490

Parler anonymement est libérateur pour les femmes, surtout au sujet de la sexualité. « Au Maroc, on est rapidement dans le blâme des victimes. Les femmes qui dénoncent des violences sexuelles sont souvent sujettes à des moqueries, du harcèlement et des lynchages sur les réseaux sociaux. La responsabilité est remise sur leurs épaules », constate la sociologue Sanaa El Aji, auteure de l’ouvrage Sexualité et célibat au Maroc.

Mais les témoignages recueillis sur les réseaux sociaux, majoritairement en français, ne sont pas encore massifs. Selon la sociologue, les femmes ne sont pas encore prêtes à témoigner à visage découvert face à ce risque de déferlement de violence, qui s’explique par « la banalisation du crime sexuel et de la culture du viol ». Cette mobilisation virtuelle reste limitée et ne prend pas encore la forme d’actions concrètes. « La sexualité est culturellement taboue, beaucoup n’osent pas prendre une position publique. D’autre part, certains militants considèrent que c’est un combat secondaire », se désole Sanaa El Aji.

La libération progressive de la parole des femmes victimes de violences est pourtant primordiale afin de mettre les autorités publiques face aux réalités sociales. « Nous travaillons à faire comprendre que la criminalisation des relations sexuelles hors mariage [article 490 du code pénal] est un obstacle à ce que les femmes prennent la parole sur les violences dont elles ont été victimes », explique Stéphanie Willman Bordat, avocate et fondatrice associée de l’ONG Mobilising for Rights Associates (MRA). Elle a constaté à plusieurs reprises que des femmes qui portaient plainte pour viol, violence avec coups et blessures ou pour violence, facilitée par les technologies, se retrouvaient à leur tour poursuivies pour relations sexuelles hors mariage.

La suppression de l’article 490, « liberticide », est devenue le cheval de bataille du collectif « Hors la loi », né après l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage ». En ligne, le collectif avait réussi à recueillir plus de 10 000 signatures et plusieurs témoignages anonymes d’hommes et de femmes se disant « hors la loi ». Pour qu’une pétition soit déposée au Parlement, le collectif aurait maintenant besoin de signatures nominatives. Une étape beaucoup plus délicate.

Théa Ollivier(Casablanca, correspondance)


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