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Afrique

Au Soudan, la pandémie de Covid-19 s’aggrave sur fond de crise économique

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De jeunes femmes assistent à la messe de Noël à la cathédrale Saint-Matthieu de Khartoum, le 25 décembre 2020
L’Afrique face à sa deuxième vague (6). Le système sanitaire du pays doit affronter un nouvel épisode de la pandémie, plus violent que le premier.

Elaf Osman vient de passer vingt-quatre heures dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital Jabra à Khartoum. La jeune médecin tombe la blouse. « Si ce matin nous avons des places libres en réanimation, c’est que six patients sont morts hier. On ne s’y habitue pas », lâche-t-elle.

C’est à l’hôpital Jabra qu’a été traité le premier patient atteint du Covid-19 au Soudan en mars 2020. Suite à la première vague, l’établissement spécialisé en traumatologie s’est reconverti en centre d’isolement grâce à des fonds du gouvernement danois. Avec ses quatorze lits de réanimation et ses six lits en surveillance continue, l’hôpital est une exception.

Ailleurs, dans les structures publiques, les équipements et le personnel manquent pour faire face à la pandémie. Des carences d’autant plus béantes que les services de santé peinent déjà, en temps normal, à mener les opérations de routine.

Avec un total de 1 807 morts et 27 202 cas confirmés au 31 janvier, le Soudan a été, en apparence, plutôt épargné. Les trois quarts des contaminés ont été détectés dans la capitale, Khartoum, dont de nombreux cas importés de l’étranger. Mais, depuis le mois de novembre, la seconde vague a fait le même nombre de morts que la première en deux fois moins de temps, selon les chiffres publiés par le ministère de la santé.

Manque criant des respirateurs

Une étude publiée par l’Imperial College de Londres estime que seulement 2 % des morts liées au Covid-19 ont été comptabilisés dans le pays. « Les chiffres ne sont pas représentatifs de la réalité. Il y a beaucoup plus d’infections qu’il n’y paraît. Nous n’avons tout simplement pas les capacités de test suffisantes », regrette le docteur Ahmad Rasheed, directeur médical de l’hôpital Jabra.

Dans le vacarme des bips et des respirateurs, Ethaam Al-Nasikh vient de prendre son service. « Ici, nous sommes plutôt bien équipés, le gouvernement en a fait une priorité. Mais on manque toujours de respirateurs. Certains sont en panne, nous n’avons pas les pièces de rechange », explique cette infirmière. L’un des deux patients qu’elle surveille vient de faire une hypoxie, une crise liée au manque d’oxygène, qui a failli lui coûter la vie. « On fait de notre mieux, mais nous avons des limitations financières. Les infrastructures médicales sont en état de délabrement à cause du régime précédent », déplore-t-elle.

Après trente ans de règne d’Omar Al-Bachir, les autorités soudanaises de transition ont hérité d’une situation économique exsangue. Le pays est surendetté et dépend largement de l’aide internationale depuis la levée des sanctions américaines. Le gouvernement a exclu la possibilité d’un nouveau confinement total, se livrant à un jeu d’équilibriste entre mesures de restrictions et sauvetage de l’économie.

Des efforts budgétaires ont tout de même été consentis pour lutter contre la pandémie. En décembre, le ministère des finances a annoncé un plan de 4,8 milliards de livres soudanaises (quelque 72 millions d’euros) et le gouvernement a décidé de subventionner les médicaments à 60 %, « un soutien financier historique » s’est réjoui le ministre de la santé, Osama Abdelrahim.

Les défaillances du système de santé

Néanmoins, l’inflation galopante complique la tâche des autorités pour affronter la seconde vague de la pandémie. « L’approvisionnement en matériel médical est très coûteux. Lorsque nous planifions notre budget, un dollar vaut 55 livres soudanaises au taux officiel mais, sur le marché noir, le dollar vaut 300 livres », explique le docteur Tahany, directrice de la cellule d’urgence et de contrôle de l’épidémie au sein du ministère de la santé.

Au Soudan, ce sont les hôpitaux privés, mieux équipés, qui recueillent le plus de patients. Mais les prix des hospitalisations sont exorbitants, hors de portée pour de nombreux Soudanais. Il faut compter 200 000 livres soudanaises, soit plus que le salaire annuel d’un médecin de Khartoum.

Selon le docteur Rasheed, certains préfèrent donc s’isoler chez eux, munis parfois d’une bouteille d’oxygène ou de médecines traditionnelles. « Beaucoup ne disent pas qu’ils ont le virus : ils le cachent de peur que cela leur cause une mauvaise réputation dans le quartier. Les gens arrivent en soins intensifs dans des états critiques, car ils ont attendu trop longtemps avant de parler de leurs symptômes. Nous avons d’extrêmes difficultés à les sauver », précise-t-il. Le taux de mortalité lié au Covid-19 au Soudan est l’un des plus élevés du continent avec 6,6 %, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies.

Convaincre de l’utilité de se faire vacciner

Face aux défaillances du système de santé et à l’impossibilité d’imposer un nouveau confinement, le gouvernement mise sur la campagne de vaccination à venir. Mais, là encore, les défis sont nombreux à relever. Le ministère de la santé a annoncé que le Soudan recevra d’ici au mois d’avril un lot de 8,4 millions de doses via le Covax, l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) visant à assurer l’accès équitable de tous les pays aux vaccins contre le Covid-19. « Il y a fort à parier que la livraison sera reportée. Elle ne couvrira même pas 10 % de la population soudanaise », estime le docteur Majdi Sabah Al-Zain, qui conseille le ministère de la santé sur la stratégie de vaccination.

Selon ce professeur à l’université Ahfad, le grand problème sera de garantir un accès équitable aux vaccins aux habitants des régions les plus reculées, aux réfugiés et aux déplacés qui vivent dans les camps au Soudan. « La logistique va être un immense casse-tête dans un pays aussi grand où les températures en été, les coupures de courant, rendront la conservation des vaccins vraiment complexe », s’inquiète-t-il.

Autre difficulté de taille : convaincre les Soudanais de l’utilité de se faire vacciner. « Nombreux n’y voient pas d’intérêt. Comme partout dans le monde, il y a une défiance. On en fait même l’expérience avec la campagne de vaccination contre la poliomyélite, il y a de nombreux refus », argumente-t-il.

Si les écoles de Khartoum sont toujours fermées et les rassemblements interdits, les rues de la capitale sont le théâtre de manifestations quotidiennes contre la cherté de la vie. Pour la plupart des Soudanais, le coronavirus est loin d’être la priorité alors que les pénuries de fuel, de pain et les coupures d’électricité sont monnaie courante. Dans la rue qui borde l’hôpital Jabra, les passants ne portent pas de masques et la distanciation sociale n’est pas appliquée.


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