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Conflit minier au Mali : l’État engage un bras de fer judiciaire contre Barrick Mining

Auteur: Aminata Traoré

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Le 16 mai 2025, l’État malien a demandé devant le tribunal de commerce de Bamako la mise sous administration provisoire du complexe Loulo-Gounkoto, opéré par le géant canadien Barrick Mining. Une procédure inédite qui s’inscrit dans un contexte de tensions autour du nouveau code minier, de soupçons de non-conformité fiscale et de la saisie de plusieurs tonnes d’or. Au-delà du litige, c’est toute la politique minière malienne et sa souveraineté économique qui sont en jeu.
Le 16 mai 2025, à huis clos, le gouvernement malien et Barrick Mining se sont retrouvés devant le tribunal de commerce de Bamako. En cause : la demande de l’État de placer le complexe Loulo-Gounkoto, l’une des plus grandes mines d’or d’Afrique de l’Ouest, sous administration provisoire. Une démarche exceptionnelle, symbole de la tension croissante entre Bamako et l’une des principales multinationales extractives opérant dans le pays.
Située dans la région de Kayes, Loulo-Gounkoto représentait à elle seule près de 15 % de la production industrielle d’or du Mali, avec 723 000 onces extraites en 2024. Mais l’exploitation est aujourd’hui à l’arrêt, depuis la saisie controversée de 3 tonnes d’or (estimées à 317 millions de dollars) par les autorités maliennes en novembre 2024. Le blocage a contribué à une chute de 23 % de la production nationale cette même année, selon le ministère des Mines.
Au cœur du conflit : l’application du nouveau code minier adopté en août 2023, qui accorde à l’État malien une participation pouvant aller jusqu’à 30 % dans les projets miniers et impose une fiscalité accrue sur les bénéfices et les exportations. Barrick conteste la rétroactivité de ces dispositions, invoquant la stabilité contractuelle garantie par ses conventions d’investissement.
Mais pour Bamako, il s’agit d’un impératif de justice économique. Un audit du secteur minier publié début 2025 estime à 315 milliards de FCFA (près de 480 millions d’euros) les créances fiscales cumulées dues par les opérateurs, dont une part importante serait liée aux filiales de Barrick. L’État malien considère cette situation comme un déséquilibre inacceptable dans le partage des richesses nationales.
C’est dans ce contexte que le gouvernement a saisi la justice pour obtenir la désignation d’un administrateur provisoire à la tête du complexe Loulo-Gounkoto. L’objectif, selon une source judiciaire proche du dossier, est de permettre une reprise rapide des opérations dans un cadre plus conforme à l’intérêt national. L’audience, initialement prévue le 15 mai, a été reportée au 22 mai.
De son côté, Barrick dénonce une "escalade politique". Le PDG Mark Bristow, dans un communiqué publié le 10 mai, a rappelé l’engagement historique du groupe au Mali, où il est présent depuis près de trente ans. L’entreprise rejette les accusations de non-conformité fiscale et considère la saisie des cargaisons d’or comme arbitraire et illégale au regard du droit international.
Mais cette affaire dépasse le seul cadre malien. Depuis 2022, plusieurs pays africains — Tanzanie, RDC, Zimbabwe — ont renforcé leur législation minière pour récupérer une plus grande part des revenus issus de l’exploitation de leurs ressources naturelles. Toutefois, la transition entre anciens contrats et nouvelles règles pose des défis juridiques majeurs et soulève des risques de contentieux prolongés.
Si le tribunal donne raison au gouvernement malien, Barrick pourrait perdre le contrôle opérationnel de Loulo-Gounkoto, un site qui a généré plus de 6 millions d’onces d’or depuis 2005. Le scénario d’une nationalisation partielle, voire totale, n’est pas exclu. Ce précédent serait lourd de conséquences pour l’attractivité du Mali vis-à-vis des investisseurs étrangers.
Pour Bamako, il s’agit néanmoins de rééquilibrer une relation jugée historiquement inégale. Encore faut-il que cette reprise de contrôle ne s’accompagne pas d’une insécurité juridique durable, qui pourrait compromettre les efforts de réforme. Entre justice fiscale, souveraineté économique et sécurité des investissements, le Mali marche sur une ligne de crête.
L’audience du 22 mai pourrait bien redessiner le paysage minier malien, et poser une question centrale pour toute l’Afrique : à qui revient réellement la richesse de l’or ?
Auteur: Aminata Traoré

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