Calendar icon
Tuesday 02 September, 2025
Weather icon
á Dakar
Close icon
Se connecter

En RDC, Joseph Kabila contre-attaque après la levée de son immunité parlementaire

Auteur: Le Point

image

Joseph Kabila, 53 ans, a dirigé la République démocratique du Congo pendant dix-huit ans, entre 2001 et 2019

Pour sa première prise de parole depuis 2019, l’ancien président congolais dénonce une instrumentalisation de la justice et règle ses comptes avec son successeur.Le vendredi 23 mai, presque six ans après son départ du pouvoir, Joseph Kabila a pris la parole dans une allocution de quarante-cinq minutes diffusée le soir sur Internet. Une prise de parole exceptionnelle, au lendemain de la levée de son immunité parlementaire par le Sénat congolais, qui l'a décidée en son absence. Le ton est grave, le message frontal. L'ancien président accuse ouvertement le régime de Félix Tshisekedi d'avoir transformé le Parlement, « temple de la démocratie », en simple « chambre d'enregistrement de la volonté d'un seul homme ».
Le visage figé, mais le verbe acéré, Kabila, désormais âgé de 53 ans, se pose en victime d'un pouvoir qu'il estime autoritaire et revanchard. « Continuer à me taire m'aurait rendu poursuivable devant le tribunal de l'Histoire pour non-assistance à plus de 100 millions de compatriotes en danger », affirme-t-il, expliquant ainsi le fait qu'il soit du silence, une première depuis la passation de pouvoir de janvier 2019.
Son allocution intervient dans un climat tendu. Quelques heures après la décision du Sénat, deux anciens proches ont été interpellés : le général Pierre Banywesize, qui fut le chef de sa sécurité, et Martin Kabwelulu, ancien ministre des Mines. Des arrestations que ses partisans considèrent comme des tentatives d'intimidation, voire comme les prémices d'un acharnement judiciaire.
Pour l'ancien président, sénateur à vie, cette séquence n'est pas qu'une affaire personnelle : elle serait, selon lui, révélatrice d'un glissement autoritaire à la tête de l'État. Un avertissement, donc, autant qu'un retour sur la scène politique.
Kabila charge Félix Tshisekedi et son gouvernement
Dans cette adresse à la nation, l'ancien chef d'État (2001-2019) a également annoncé son intention de se rendre prochainement à Goma, capitale du Nord-Kivu, tout en démentant les rumeurs qui, le 18 avril dernier, annonçaient déjà sa présence dans une ville en partie occupée par les rebelles de l'AFC/M23, soutenus par le Rwanda. « Il y a quelques jours, en effet, à la suite d'une simple rumeur de la rue ou des réseaux sociaux sur ma prétendue présence à Goma, où je vais me rendre dans les prochains jours, comme cela avait été annoncé par ailleurs, le régime en place à Kinshasa a pris des décisions arbitraires avec une légèreté déconcertante », a-t-il dénoncé, y voyant un signe du « recul spectaculaire de la démocratie » en République démocratique du Congo.
Dans son discours, Joseph Kabila s'est montré particulièrement virulent à l'égard de la gouvernance actuelle, accusée d'avoir « ramené le pays au plus bas ». Sans jamais nommer directement Félix Tshisekedi, il brosse un portrait sombre de la situation politique et sociale du pays : « Alors que, sur les plans institutionnel, politique, économique et social, les fondamentaux avaient été établis et que le pays avait été placé sur la rampe de lancement, prêt à décoller, nous voici, en un temps record, soit six ans, de nouveau à la case départ, celle d'un État failli, divisé, désintégré, au bord de l'implosion, et inscrit en bonne place au palmarès des pays pauvres les plus corrompus et très endettés. »
Pour étayer ses propos, il cite les rapports du Conseil de sécurité des Nations unies, ceux sur l'indice de développement humain, ou encore les classements internationaux de la pauvreté. En guise de conclusion, l'ancien chef de l'État a appelé à un « sursaut patriotique », proposant un « pacte national de redressement » en 12 points, parmi lesquels « la fin de la dictature », « l'arrêt de la guerre » ou encore « la restauration de l'unité nationale ».
Ce discours suscite déjà de nombreuses réactions dans l'arène politique congolaise ainsi que parmi les membres de la société civile, en plein contexte de crise multidimensionnelle.
Pour Ithiel Batumike, chercheur à l'Ebuteli, un institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, cette prise de parole a été mûrement réfléchie. « C'est un discours partial, à charge exclusive contre le gouvernement et conciliant vis-à-vis de l'AFC/M23. On dirait une copie conforme de sa tribune d'il y a quelques mois dans un média sud-africain », souligne-t-il. Le chercheur déplore que Joseph Kabila se focalise davantage sur la crise politique que sur la gravité de la crise sécuritaire. « Pour Kabila, la priorité absolue, c'est de mettre fin à la dictature et pas à la guerre, qui vient en deuxième position dans ses 12 propositions », observe-t-il.
Cette offensive politique se heurte toutefois à la faiblesse actuelle de l'opposition, incapable de mobiliser efficacement les citoyens pour constituer un véritable contrepoids au pouvoir en place. Une inquiétude grandit quant à la possibilité que cet affrontement politique dégénère en conflit militaire ouvert. Car, dans son allocution, l'ancien président et militaire, rappelle à plusieurs reprises son serment, laissant entendre la menace à peine voilée d'une résistance plus ferme. Ithiel Batumike prévient ainsi que ce discours risque de renforcer les accusations pesant déjà sur Joseph Kabila.
Il fait aussi le constat que, face à Félix Tshisekedi, l'opposition pacifique a perdu en grande partie sa capacité à mobiliser le peuple. « D'ailleurs, le régime en place rejette tous les appels au dialogue des forces non armées d'opposition et des Églises », rappelle-t-il.
Un tournant avec la levée de l'immunité parlementaire de Joseph Kabila
La confrontation a pris un nouveau tournant le 22 mai. Ce jour-là, dans une atmosphère tendue au Sénat, la Chambre haute du Parlement a franchi une étape décisive. À l'ordre du jour figurait une résolution sensible présentée par la commission spéciale présidée par Christophe Lutundula, en réponse au réquisitoire de l'auditeur général près la Haute Cour militaire, qui demandait la levée de l'immunité parlementaire de Joseph Kabila et l'autorisation de poursuivre en justice l'ancien président.
Le verdict du Sénat a été sans appel. Sur 96 sénateurs présents, 88 ont voté en faveur de la levée de l'immunité, soit 91,66 % des suffrages. Le vote a par ailleurs enregistré cinq voix contre (5,2 %), trois bulletins nuls (3,12 %) et aucune abstention. Celui-ci ouvre la voie à des poursuites judiciaires contre celui qui a régné sur la République démocratique du Congo pendant près de deux décennies, propulsant le pays dans une séquence politique inédite et hautement inflammable.
Depuis des mois, les soupçons s'accumulent sur les relations supposées entre Joseph Kabila et les groupes armés opérant dans l'est du pays. Les accusations se font de plus en plus précises. Le président, Félix Tshisekedi, lui-même a lancé l'offensive, accusant frontalement : « L'AFC, c'est Kabila. » Une déclaration d'une gravité inouïe, qui lie directement l'ancien président à l'Alliance fleuve Congo (AFC), formation dissidente du M23, tenue responsable de nombreuses exactions.
La justice militaire s'appuie désormais sur les aveux d'un ancien conseiller du chef de l'AFC, actuellement entre les mains des services congolais, et qui affirme que Joseph Kabila aurait activement soutenu la rébellion. Dans ce contexte, l'ancien président est désormais accusé d'être le coauteur ou le complice de crimes de guerre et de trahison. Un coup de tonnerre judiciaire dans un ciel déjà chargé.
Certains juristes, partisans de l'ancien régime ou simples observateurs, s'interrogent : Kabila ne bénéficie-t-il pas d'une immunité à vie en tant qu'ancien chef de l'État ? « Ce n'est pas si simple, répond Ithiel Batumike, chercheur au think tank congolais Ebuteli. La loi de 2018 portant statut des anciens présidents de la République n'accorde qu'une immunité pénale pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions. » Autrement dit, pour tout ce qui sort du strict cadre présidentiel, même pendant l'exercice du pouvoir, le Congrès peut lever cette protection.
Mais ce n'est pas tout. « Dans ce cas d'espèce, les faits reprochés sont postérieurs à la fin des mandats, ce qui change complètement la donne, précise le chercheur. Cela signifie que le statut à prendre en compte ici, c'est celui de sénateur à vie et pas celui d'ancien président de la République. De ce fait, la procédure veut que le Sénat mette en place une commission spéciale chargée d'entendre l'auditeur général et Kabila avant de se prononcer. »Le feu vert donné par les sénateurs consacre cette bascule. Et elle envoie un signal fort aussi bien à l'opinion publique qu'à l'élite politique du pays : l'ère des intouchables pourrait être révolue. « La décision de lever l'immunité rappelle simplement que tous les citoyens sont égaux devant la loi et que bénéficier d'une immunité ne signifie pas bénéficier d'une impunité. Tout le monde peut avoir à répondre de ses actes. Une décision qui permet donc à la justice de faire son travail », conclut Batumike.
Auteur: Le Point

Commentaires (0)

Participer à la Discussion