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Lutte des Africains contre le coronavirus : un cocktail de réussites et d'échecs

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Lutte des Africains contre le coronavirus : un cocktail de réussites et d'échecs
La propagation du coronavirus en Afrique a mis en évidence la nature précaire de bon nombre de ses systèmes de santé. J'écris ces lignes à un moment difficile de l'histoire de la santé publique sur le continent.

Une enquête réalisée avant le Covid-19 par Afrobarometer, un outil d'analyse de données en ligne, a révélé qu'un Africain sur cinq était fréquemment confronté à un manque de services de santé indispensables.

L'investissement des pays africains dans le secteur de la santé a été plusieurs fois mis en question, mais peu a été fait pour stimuler l'investissement financier. Aujourd'hui, nous en subissons les contrecoups. 

Le nombre de personnes atteintes du coronavirus est encore faible par rapport à ce qui a été constaté aux États-Unis, en Grande-Bretagne, dans certains pays de l’Union Européenne et même en Asie. L'Afrique a été la dernière frontière dans la propagation du virus à ses débuts.

Le premier cas de coronavirus a été signalé sur le continent le 14 février en Égypte.

Le 18 mars, le premier cas en Afrique subsaharienne a été signalé au Nigeria.


La lente propagation du virus sur le continent a donné de faux espoirs que l'Afrique et ses habitants seraient épargnés par le pire de la pandémie. Mais quand elle a commencé à se propager, la réalité s'est rapidement imposée. Elle a exposé ce que nous avons toujours su depuis longtemps. La plupart des systèmes de santé africains ne sont pas suffisamment équipés et leur fragilité à une épidémie est près d'un naufrage général.

Mesures prises par les pays

La réponse initiale à la pandémie de COVID-19 par les différents pays d'Afrique a été rapide. Des restrictions de voyage, un confinement total et même des couvre-feux ont été instaurés par différentes autorités.

Le Rwanda, par exemple, a annoncé un confinement immédiat et a fourni de l'eau et de la nourriture à ses populations vulnérables ; l'Afrique du Sud a annoncé un confinement sur l’étendue de son territoire et a mis en service des dizaines d'unités mobiles de test, avec une capacité de test combinée de 30 000 personnes par jour. Le Nigeria a prolongé la durée du confinement à Lagos, à Abuja et dans l’état d’Ogun.

Le Kenya, de son côté, a instauré un couvre-feu national du crépuscule à l’aube, tout en limitant les déplacements dans sa capitale et dans les environs, pour isoler le reste du pays. 


Autre avantage : la grande majorité de la population africaine vit dans les zones rurales, ce qui signifie moins de densité humaine et des interactions sociales limitées.

L'autre atout est que certains pays africains ont une certaine expérience dans la lutte contre les maladies transmissibles comme la tuberculose, le VIH, le virus Ebola, la fièvre de la vallée du Rift, entre autres.

Cela implique la ténacité et la flexibilité nécessaires pour lutter contre un autre membre de la famille des maladies transmissibles dans le cadre de l'infrastructure existante.

La sagesse tirée de l’expérience semble avoir porté ses fruits pour la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia. Ces trois pays d'Afrique de l'Ouest ont été les plus touchés par l'épidémie d'Ebola entre 2014 et 2016. Forts de ce passé, ils ont mis en œuvre certaines des leçons tirées, comme les tests aux points d'entrée et le traçage des contacts.

Ce niveau de « déjà vu » a fonctionné pour le Nigeria et le Sénégal lorsque le virus Ebola s'est propagé dans ces pays. Ils ont eu le bénéfice du temps pour s’inspirer de ce qui avait réussi dans les pays voisins.

Ils ont utilisé l'arsenal de leçons pour stopper la propagation d'Ebola grâce à un contrôle aux points d'entrée, une identification rapide et complète des cas suspects, un suivi des cas contacts ainsi qu'un isolement rapide.

La question à se poser maintenant est de savoir si la mise en œuvre de la couverture maladie universelle aurait sauvé le continent des troubles qu'il connaît actuellement.

La couverture maladie universelle (CMU) est fondée sur un principe simple mais essentiel selon lequel chaque individu doit recevoir des services de santé de qualité sans tenir compte de sa capacité financière.

La considération singulière pour le service est que l'on reçoit un traitement si on en a besoin, qu'on ait les moyens de le payer ou non. L'objectif de développement durable stipule que d'ici 2030, toutes les régions disposeront de couverture maladie universelle. 

Nous sommes à dix ans de l'échéance fixée et un coronavirus nous rappelle pourquoi des systèmes de santé solides auraient allégé ce fardeau.

Selon le Dr Githinji Gitahi, directeur général d'Amref Health Africa, "de nombreux pays ont adopté la déclaration politique faite lors de l'assemblée générale des Nations unies en septembre et l'ont approuvée et signée. Les discussions ont eu lieu, mais pas la mise en œuvre ".

Les fissures qui existent dans la plupart des infrastructures de santé en Afrique ont été mises à nu au milieu de la pandémie de coronavirus. Il s'agit maintenant d'un effort de dernière minute pour équiper des systèmes qui manquaient déjà de ressources.


Dans un entretien en direct sur la page Facebook de BBC Africa, Elsie Kanza, directrice du Forum économique mondial pour l'Afrique, a déclaré : "Nous avons déjà constaté les effets négatifs en termes de soins de santé alors que les pays se démènent pour mettre leurs installations à niveau. Ils étaient déjà faibles auparavant et maintenant les gouvernements doivent opérer en mode de crise pour combler ces lacunes".

Travailler sous pression au milieu d'une pandémie est source de frustrations supplémentaires.

La crise sanitaire en Afrique

L'Afrique assume un tiers de la charge mondiale de morbidité et son infrastructure sanitaire est déficiente selon des critères universels, parmi lesquels le ratio patient-médecin.

Avec une population de plus de 1,3 milliard d'habitants, la plupart des pays comptent en moyenne deux médecins pour 10 000 personnes. Le Nigeria, le pays le plus peuplé d'Afrique, a un ratio de quatre médecins pour 10 000 habitants, le Kenya en a deux tandis que la République démocratique du Congo en a un selon l'OMS. Le ratio proposé par l'OMS est de 1 médecin pour 1 000 habitants.

Il faut aussi ajouter que certains des systèmes de santé du continent sont soutenus par des financements de bailleurs. Avec la récession et la contraction économique qui sévissent en Europe occidentale et en Amérique du Nord, l'Afrique devra à l'avenir compter en grande partie sur ses propres ressources.

Jusqu'à présent, des plaintes ont été formulées concernant la qualité des soins prodigués aux personnes nécessitant un traitement, tandis que les travailleurs de la santé déplorent de ne pas être suffisamment équipés pour faire face à un problème de l'ampleur de COVID-19. 

Actuellement, on craint que le nombre de personnes infectées augmente et que les lits, en particulier pour ceux qui ont besoin de soins intensifs, ne soient pas en nombre suffisant.

L'Organisation mondiale de la santé estime qu'il y a moins de 5 000 lits en unités de soins intensifs disponibles dans 43 pays africains. Cela signifie qu'il y a cinq lits pour un million de personnes.

Dans 41 pays, il y a moins de 2 000 ventilateurs disponibles dans les établissements de santé publique, selon les données de l'OMS. Ces chiffres vont changer radicalement une fois que les efforts déployés par les différents pays pour augmenter la capacité seront terminés. Il y a aussi le don fait par le milliardaire Chinois Jack Ma qui n'a pas été pris en compte.

Les ventilateurs sont essentiels pour ceux qui ont besoin de soins intensifs.

Financement de la couverture maladie universelle

En général, le financement des soins de santé en Afrique a été le proverbial éléphant dans la salle que tout le monde feint de ne pas voir.

Lors du sommet des chefs d'État de l'Union africaine en 2001, les membres se sont engagés à consacrer au moins 15 % de leur budget annuel à l'amélioration du secteur de la santé, dans ce qu’il est convenu d’appeler la déclaration d'Abuja. Peu de pays ont tenu leur promesse. Il s'agit du Rwanda, du Malawi, de la Mauritanie et des Seychelles.

Beaucoup d'autres ont failli à leurs obligations, certains consacrant un maigre 5 à 7 % de leur budget à la santé.

L'ironie est que la déclaration d'Abuja n'était que l’aboutissement d'une des nombreuses autres discussions visant à s'assurer que les soins de santé reçoivent l'attention financière qu'ils méritent. Comme le temps l'a prouvé, les pays membres ont perfectionné l'art d'enfreindre leurs propres règles.

Le Nigéria, géant économique de l'Afrique qui a également la plus grande population du continent, rencontre toujours des difficultés pour convertir le discours de l’engagement politique en action.

Le Dr Githinji Gitahi, directeur général d'Amref Health Africa, déclare : "Ils ont pris des engagements importants, mais en termes réels, aucun progrès significatif n'a été réalisé. Certains des défis au Nigeria sont ceux que l'on trouve dans un environnement politique décentralisé où les Etats doivent travailler en étroite collaboration avec le gouvernement fédéral pour réaliser certains de ces projets".

Là où le Nigéria a échoué, le Rwanda a été salué pour les progrès réalisés en matière de soins de santé universels.

Selon le Dr Githinji, "le Rwanda a utilisé une approche sociale de l'assurance maladie qui est basée sur une assurance maladie obligatoire où les individus qui ont la capacité financière cotisent et l'État compense pour maintenir l'équilibre et pour ceux qui n’ont pas les moyens de cotiser, l'État prend tout en charge".

Malgré les problèmes d'accessibilité financière et de pérennisation rencontrés au Rwanda, ce pays a fait des progrès considérables vers la couverture médicale universelle.


L'autre pays qui a été salué pour ses progrès en matière d'investissement dans la CMU est le Ghana. À tel point que son système de soins de santé a été décrit comme l'un des plus performants du continent africain. Cependant, il peine encore à atteindre le palier où le financement des soins de santé est garanti.

“Nous avons vu le Ghana toucher un nombre important de personnes avec une protection financière, mais une fois de plus, il a dû relever le défi de la pérennisation de l'ensemble des prestations qu'il offrait au public. J'ai l'impression que l'engagement en Afrique de l'Ouest, en particulier en Afrique francophone, est plus solide que celui de leurs homologues en Afrique de l'Est et en Afrique centrale", ajoute-t-il.

Le Dr Lydia Dsane-Selby, directrice générale de l'Autorité nationale de l'assurance maladie du Ghana, déclare : "Il est évident qu'une politique aussi importante que celle-ci doit relever des défis, mais ceux-ci ont été abordés au fur et à mesure. Nous n'avions pas de carte d'identité nationale, nous avons donc dû compiler une base de données des membres et nous avons finalement dû recourir à la biométrie pour nous assurer que nous avions un moyen unique d'identifier les membres. Définir le paquet de services tout en maintenant une viabilité financière a également été un défi".

Le Ghana compte aujourd'hui 12,5 millions d'adhérents au régime de couverture maladie universelle, soit environ 42 % de la population.

Alors que le pays est souvent cité comme l'un des modèles d'un système d'assurance qui a fonctionné pour sa population, le Dr Dsane-Selby s'empresse d'ajouter : "Il n'existe pas de système de santé parfait dans le monde. Nous nous efforçons tous d'obtenir les meilleurs soins possibles pour les ressources dont nous disposons. Je suis fière d'être dans un pays qui a su sortir des sentiers battus et mettre au point un régime d'assurance maladie composite de plusieurs des modèles d'assurance les plus connus, mais qui s'applique de manière unique aux spécificités du Ghana. Ce que nous devons retenir, c'est qu’il ne faut pas dormir sur ses lauriers. Il faut continuellement innover pour atteindre le meilleur scénario possible".

Au Sénégal, le budget alloué à la santé est de 8 %, ce qui est encore inférieur aux engagements de la déclaration d'Abuja. En outre, le Sénégal dispose d'une infrastructure de santé assez solide. Dans le cadre de son approche "OneHealth", le Sénégal a fait preuve d'un bon leadership dans la coordination et le suivi des opérations de santé. Dans le rapport sur les avancées en CMU de 2019, il a été salué pour sa "base solide en matière de prévention, de détection et de réponse aux menaces de santé publique".

Le Kenya pilote des CMU dans cinq comtés. Le président Uhuru Kenyatta souhaite que le Kenya atteigne la couverture sanitaire universelle d'ici 2022. Le pays est toutefois confronté à la lourde charge des maladies non transmissibles comme le cancer, le diabète et les maladies cardiaques.

Avec le COVID- 19 qui complique déjà une mauvaise situation, il sera intéressant de voir comment le Kenya parviendra cette fois-ci à faire de la qualité des soins de santé une priorité.

La couverture médicale universelle n'est pas une idée entièrement nouvelle en Ouganda. Le pays avait commencé à mettre en œuvre certaines politiques visant à réduire la charge des coûts pour les pauvres. Par exemple, il a supprimé les frais d'utilisation des services de santé dans les établissements publics à partir de 2001. Le programme a été assorti de sérieux défis. Dans certains établissements, les gens doivent acheter leurs propres médicaments. Dans d'autres, les femmes qui vont accoucher sont censées apporter leurs propres gants. L'Ouganda est confronté à une faible infrastructure des soins de santé, à un accès inéquitable aux services ainsi qu'à un personnel de santé insuffisant.

La RDC, pour sa part, doit encore renforcer son système de financement de la santé. Le système actuel enferme les gens dans un cercle vicieux en raison des paiements élevés que doivent effectuer ceux qui cherchent à se faire soigner. Sa forte dépendance à l'égard du financement externe des soins de santé place la RDC dans une position désavantageuse, surtout pendant cette pandémie de COVID 19.

Les pays peuvent tirer quelques leçons de la Côte d'Ivoire. Elle a dû abandonner la CMU en 2012 après une brève expérience. Parmi les raisons pour lesquelles elle n'était pas viable à l'époque, on peut citer une mauvaise gestion face à la hausse des charges ainsi que la corruption. Toutes ces raisons ont eu un coût pour le gouvernement qui a dû payer environ 60 millions de dollars US en neuf mois.

Le financement des soins de santé en Afrique reste une cible mouvante, et avec une nouvelle contagion agressive comme COVID-19, réputée comme le pire défi de l'histoire pour le monde et le continent, l'Afrique devra puiser dans ses plus profonds réservoirs de force et de résilience pour vivre et raconter sa propre histoire.

Anne Mawathe est rédactrice en chef de la santé pour la BBC Africa’s Life Clinic


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