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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Au nom de tous les Saltigués

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Au nom de tous les Saltigués

« L’ambition est la seule maîtresse dont l’homme ne se lasse jamais ;
elle lui rend le goût de lui-même. Et quand même elle nous trompe,
on ne se résout pas à la tromper »
André SUARES

Il y a, dans le communiqué qui sanctionne la rencontre entre Abdoulaye Wade et Macky Sall, toute l’hypocrisie de ce régime. « Le président de la République a reçu, avec regret, la démission du Premier ministre ». « A reçu avec regret », avez-vous lu. Deux heures après, le monsieur, dépouillé de tout, s’est fait traiter comme un terroriste d’Al Qaeda, au premier sommet tenu par le clan. Il était déjà en territoire ennemi, et il fallait le fouiller pour voir s’il n’était pas armé d’un… enregistreur !
Wade a, paranoïaque comme jamais, promis des sanctions, avant d’avouer, quelques minutes plus tard, que « c’est normal ». Son fils venait de lui dire, mezza voce, qu’il a ordonné cette fouille corporelle par « précaution ». Après cette humiliation, on ne dit plus que l’ancien Premier ministre a été démis, il a été défait. Macky Sall connaissait, depuis le mardi 04 juin au moins, les conditions de sa mise à mort politique. Mais ça ne change rien à la douleur qui lui a noyé la voix, quand il s’est agi de l’annoncer lui-même. On peut imaginer la souffrance que peut causer le passage de l’illusion d’être tout, à la crainte de n’être plus rien du tout. C’est un stress que tous les hommes au sommet vivent. Ils se demandent tous les matins « quand est-ce que je vais tomber ».
Les Saltigués, pas ceux de Rufisque, je veux parler des Khoys de Fatick, disciples du professeur Gbodossou, ont bien prédit, et il faut leur donner crédit. Mais on ne s’attendait pas à ce que Tabaski Sall (excusez-moi du terme) soit livré à la place du mouton blanc. D’habitude, dans la bergerie politique, on ne tue que les moutons noirs, ceux qui sont pointés du doigt.
La scène la plus pathétique de cette longue journée, c’est ce nouveau Premier ministre à qui le président de la République trouve des talents, de l’efficacité, alors qu’il l’a toujours relégué à l’avant dernier rang de son protocole gouvernemental. Le monsieur n’en croyait pas encore ses yeux. Il continuait à dire « le président m’a demandé de réfléchir », alors qu’il avait déjà réfléchi, et donné son avis. La banqueroute financière qui nous attend n’explique pas cette promotion inattendue. Wade n’aime pas les grands chevaux. Il aime bien monter les ânes et il est bien servi, encore une fois.
Les luttes de clan, chers lecteurs, ne distinguent pas les bons et les méchants. Elles ne distinguent que les plus forts. Ils sont les seuls à passer les lignes de l’histoire. Allez fouiller dans les caveaux de la politique politicienne. Vous n’y trouverez que des gens bien intentionnés. Qu’ils soient bons ou méchants, ils se sont battus pour mériter leur place au cimetière. On écrira, quelque part, sur une pierre, « mort au combat », et la vie continuera sans eux. J’ai été stupéfait de voir la facilité avec laquelle on peut défaire un homme, et jeter une grande ambition dans les poubelles sordides de la politique. Mais c’est une leçon pour tous ceux qui seraient tentés demain, de prendre le couteau à la place du boucher. Ils passeront un jour à sa table. La souplesse avec laquelle Abdoulaye Wade se retourne contre ceux qui lui ont servi pour les trahir ne lui a jamais causé un seul souci. Il change d’homme quand il change d’avis.
Il fait semblant, mais celui qui s’est présenté mardi aux Sénégalais, dans le rôle de Sada Kane présentateur télé n’a rien de son lustre d’antan. C’est Don Corleone à la retraite. Il n’a plus aucun contrôle sur son clan. Il a perdu le peu d’autorité qu’il avait, et les insultes que Macky Sall a adressées au gendarme en faction, même si elles sont destinées à son fils, lui sont d’abord adressées. Il a poussé les luttes de clan trop loin, el Capo, et il en fait les frais. Ses enfants se battent pour l’héritage, comme s’il était déjà mort. Il avait annoncé une punition aux traîtres, mais vous voyez bien qu’ils ont tous été recasés à l’Assemblée nationale, où ils vont trouver les mêmes privilèges, avec la garantie de l’emploi pour cinq ans.
Il a encore trahi trois fois. Sur le profil du Premier ministre, ce n’est pas une femme ; sur la taille du gouvernement, il y en a une quarantaine ; sur l’entrée de l’opposition parlementaire, il n’y en a pas un seul. Pour vous dire ce que la parole de cet homme vaut aujourd’hui sur le marché. La pègre ne l’écoute plus. C’est pourquoi, il ne faut pas prendre l’annonce de Pape Diop sur la présidence de l’Assemblée nationale et celle du Sénat pour une bêtise. Il sait que la parole de son président ne vaut plus rien. Il sait que ses engagements d’aujourd’hui ne vaudront rien demain, et c’est sa façon de prendre l’opinion à témoin. S’il a bien précisé qu’il n’a jamais refusé cette proposition, c’est pour forcer à respecter sa parole. Il l’avait déjà promis à Aminata Tall.
Il y a, évidemment, une nuance à cette sentence commode. Wade ne respectait pas sa parole, parce qu’il n’en avait pas. Il ne la respecte plus sa parole, parce qu’il ne décide plus. C’est son fils et sa femme qui décident. Evidemment, une telle chose peut surprendre, mais ceux qui commencent à défier son autorité savent qu’il y a maintenant un bon temps que Wade n’est plus maître de lui-même. Il peut arriver qu’il décide, et que son épouse et son fils disent non.
Nous sommes passés mardi, d’un pouvoir absolu à un pouvoir dévolu. La composition de ce gouvernement, avec la forte entrée de la « Génération du concret », témoigne de ce transfert de pouvoir en brouette. Abdoulaye Wade est désormais confiné aux voyages et au cérémonial, c’est son fils qui gouverne. Ce nouveau dispositif porte la marque de son éminent conseiller et ami de son fils, Abdoulaye Baldé. C’est lui qui prête sa tête à la famille, depuis maintenant quelques années, et Macky Sall a eu peut-être tort de s’attaquer à ce brillant énarque, ancien commissaire de police. Les barons restent dans les domaines de souveraineté, et on prépare la relève avec les nouveaux venus, tous de la Génération du concret. Le plus grand symbole de ce transfert, c’est sans doute l’arrivée de la boîte noire du Pds, Abdoulaye Faye, dans le giron familial, et la promotion d’un anti Macky Sall, Babacar Gaye. La nomination de cet ancien agent commercial chez Ati et de cet ancien instituteur de Sedhiou comme Directeurs du cabinet présidentiel sont évidemment, une violation des règlements de l’administration, et le signe du largage de nos institutions. Mais c’est son parti-pris depuis plusieurs années, depuis qu’il a nommé un radié de l’administration au poste de ministre chef de cabinet.
Le voto di cambio conclu entre les deux clans voudrait que Macky Sall reste confiné à l’Assemblée nationale avec ses hommes, et laisse la succession se faire par-dessus sa tête. Mais cette entente ne tiendra pas longtemps. Si toute cette bande est allée se réfugier à l’Assemblée nationale, c’est pour bénéficier de moyens conséquents et d’une immunité qui lui permette de lutter farouchement contre sa mise à mort. Aliou Sow a déjà refusé le ministère des Loisirs qui, en réalité, émane du président de la République, et Aminata Tall vient de suivre. Il y a deux raisons à cette détermination. Leur nouvelle position les met à l’abri de toute poursuite, et l’idée que le mandat de Wade ne durera pas aussi longtemps que leur mandat de député les met face à un seul et unique adversaire, son fils. Macky Sall a déjà annoncé la couleur, en indiquant bien, dans son discours d’ouverture à l’Assemblée nationale, que « la souveraineté appartient au peuple ». C’est un pied de nez au président de la République et à son intention, inacceptable aux yeux de larges franges du Pds, d’imposer son fils à la tête de l’Etat. C’est sans doute le premier signal d’un homme qui veut désormais tout devoir au peuple, électeur, et rien à son bienfaiteur d’hier. Il sait que ce remaniement n’en était pas un. C’était pour le chasser, et mettre les hommes de Karim. Tous ceux qui, dans l’ancien gouvernement, signifiaient quelque chose, ou avaient une base politique, ont été chassés du gouvernement. Tous ceux qui sont restés, de Me Ousmane Ngom à Abdourahim Agne, en passant par Cheikh Tidiane Sy, ne doivent leur position qu’à la volonté du président de la République, et par dérivation, à son fils. Karim Wade est plus réaliste qu’il n’y parait. Il veut, à défaut d’être incontournable, bénéficier d’un soutien populaire qui le rendrait incontournable. Il ferait appel à Idrissa Seck à la tête du Sénat, pour prendre la présidence de la République, à condition qu’il le laisse voler… de ses propres ailes.



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