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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ C H R O N I Q U E ] - Dia est avec nous

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[ C H R O N I Q U E ] - Dia est avec nous

« Le soir tombe et ne se relève pas.
C’est ce qu’on appelle la nuit »
Camille BILODEAU

 

L’actualité mouvementée de ces derniers jours ne doit pas nous faire oublier celui que nous venons de perdre. L’un des plus illustres personnages de notre jeune République s’en est allé sur la pointe des pieds. J’ai connu Mamadou Dia en étant jeune journaliste politique. J’ai surtout été marqué par l’intransigeance de l’homme. Il laisse au cœur de nos poitrines meurtries un trou béant. Je ne m’attarderai pas sur ce qu’a été sa vie. D’abord par incompétence. Je me trouve trop petit pour parler d’un homme aussi grand. Ensuite parce que sous bien des aspects, AbdouLatif Coulibaly l’a fait avec le talent qu’on lui connait. Il a su, par une simple intuition, trouver les mots qui, je l’espère, serviront de réconfort à l’illustre disparu dans la solitude de sa tombe.
Mais je ne pense pas que nous ayons assez dit à Dia le sentiment de culpabilité qui nous habite. Jusque dans sa tombe, il interpelle notre conscience collective sur le procès injuste qui a conduit à son isolement carcéral. Jamais, dans notre histoire, nous n’avons eu le courage de le regarder et de lui demander pardon. Senghor a dit avoir regretté le fâcheux incident qui l’a séparé de son brillant compagnon. Son irascible façon d’exprimer son regret à son ami a été de l’envoyer pendant douze ans dans un camp fortifié. Dia y a perdu la vue, Dieu a fait qu’il n’y a pas perdu la vie. L’ancien président ne l’a libéré que pour répondre aux exigences de l’Internationale socialiste. Mais il n’y a pas lieu d’accabler Léopold Senghor pour ce qu’il a fait. Nous avons été ses complices actifs. Nous l’avons d’ailleurs bien récompensé d’avoir instauré le parti unique de fait, laissé Blondin Diop mourir en prison et fait exécuter Moustapha Lô par un peloton d’exécution. De l’aéroport international au palais de la République en passant par l’imposant stade, il n’y en a que pour le président-poète. Un pays n’a jamais érigé autant de monuments  pour immortaliser sa propre honte. Nos rues, nos édifices publics portent les stigmates des colons qui ont passé leur temps à nous humilier.
On me reprochera de ne présenter le senghorisme que sous ses aspects sombres, puisque Senghor, ce n’est pas que cela. Je l’admets. Mais ce pays a une bien singulière façon de rendre hommage à ceux qui se sont battus pour lui. Les grands escrocs sont célébrés de leur vivant. Les héros ne sont des héros qu’une fois qu’ils sont morts et enterrés. J’aurais bien aimé voir la même foule qui a porté Macky Sall en triomphe à Sandaga exiger la vérité pour Mamadou Dia. La vérité est que nous n’avons jamais été dignes de cet homme. Nous ne l’avons pas mérité.
On me reprochera encore de confondre dans mes récriminations tous ceux qui avaient payé de leur liberté leur soutien à Dia. Je le concède. Pendant cette longue nuit noire, il y a des lampes qui ont refusé de s’éteindre. Des hommes et des femmes ont risqué leur vie pour le triomphe de la vérité. C’est le cas de le dire, après les cris indignés de certains amis. Oui, des gens ont dit non à Senghor. Mais ils ne l’ont pas assez dit.

Il y a eu un concert d’hommages posthumes et presqu’unanimes. Ce flot de célébrations rend plus pesant encore le silence d’Abdoulaye Wade. Les rumeurs les plus folles courent sur son état mental. Quelles que soient les raisons de son mutisme crépusculaire, le fait que ni le président de la République ni un membre de sa famille ne se sont pas présentés aux funérailles de Mamadou Dia est d’une cruauté sidérante. On peut garder de la rancune pour un homme, mais on ne peut pas la lui porter jusque dans sa tombe. Mamadou Dia n’a rien fait à Wade, sinon s’opposer jusqu’à sa mort à la tentative de politisation de son procès. S’il ne voulait pas d’obsèques nationales, l’ancien président du Conseil méritait un deuil national et un hommage de la Nation toute entière. S’il ne s’est pas rendu à ses funérailles pour des raisons encore une fois obscures, Abdoulaye Wade se devait de saluer la mémoire du disparu au nom de la République. S’il l’a fait pour un calot bleu, il se doit de le faire pour l’homme qui a signé de sa main l’acte d’indépendance du Sénégal.
Il y avait pourtant entre les deux hommes plus qu’une simple relation d’estime. Mamadou Dia a été un des premiers alliés politiques d’Abdoulaye Wade. Je rappelle à ceux qui ont la fâcheuse tendance à l’oubli que c’est sur insistance du président Dia qu’Abdoulaye Wade est rentré au pays pour se présenter à la présidentielle de 2000. Son escouade familiale qui s’agite aujourd’hui comme une meute d’hyènes affamées s’y était farouchement opposée.
L’ancien président du Conseil a émis des réserves sur la réouverture de son procès par dégoût. Il ne faut pas oublier que le président de la République voulait, dans le même élan, libérer la bande à Clédor Sène et innocenter Mamadou Dia. Le but était de justifier le dédommagement de la famille Sèye par celui du président Dia. N’importe quel honnête homme aurait refusé cette malhonnête transaction. Dia voulait la Justice, Wade lui proposait la charité. Il ne voulait pas un geste humanitaire, il voulait une décision de justice.
La présidence de la République s’est lancée dans la plus grande entreprise de dénigrement pour le punir. Dans une contribution d’une rare violence parue le 27 juin 2006 dans le journal Il est midi, Macky Sall rappelait à l’ancien président du Conseil que « le Sénégal de 2006 n’est pas celui de 1962 ». C’était une ignoble façon de s’en prendre à un homme qui ne lui avait fait aucun mal. Celui qui dénonce aujourd’hui les atteintes à la République soulignait que « tout, dans la démarche du président Abdoulaye Wade, nous ancre profondément dans la République. Les derniers actes qu’il vient de poser pour l’organisation des élections présidentielle et législatives du 25 février 2007 en sont une éloquente illustration : des élections libres, démocratiques et transparentes se tiendront à bonne date et, encore une fois, le président Wade sera le président le mieux élu d’Afrique ». Vous voyez donc de quel bois le « marquis » de Sall se chauffait.
Je comprends ceux qui soutiennent, avec leur ardeur militante, que ce n’est pas le moment de rappeler « certaines choses ». Leur raison est qu’affaiblir Macky Sall reviendrait à renforcer Abdoulaye Wade. Je préfère affaiblir Macky Sall plutôt que d’affaiblir la vérité. Il a été, ces dernières années, de toutes les manœuvres de déstabilisation de la République. Cette place qu’occupe Cheikh Tidiane Sy, il l’a occupée en forçant les portes d’un bureau de vote à Fatick. Ces accusations mensongères qu’il dénonce, il en a lui-même été l’auteur à une autre époque. Il a financé des journaux pour dénigrer et calomnier d’humbles citoyens. Il était le chef de la faction la plus fanatique du Pds et la plus dévouée à Abdoulaye Wade. A la dernière présidentielle, il déambulait avec une garde composée de Clédor Sène et Assane Diop. Le rappeler n’est pas un crime. Je ne dis pas qu’il mérite ce qui lui arrive. Je dis qu’il est l’artisan de ses propres ennuis. Les accusations auxquelles il fait face ne méritent même pas l’attention tellement elles sont grossières, j’en conviens. Le procès qu’on veut lui imposer est un procès injuste. C’est au nom de la Justice que nous devons tous nous élever contre la tentative de le liquider. Mais nous ne pouvons, sous aucun prétexte, taire tout ce qu’il a été ces dernières années pour Abdoulaye Wade. C’est un devoir de mémoire et un devoir de vérité sans lesquels nous serions indignes de celui qui vient de nous quitter.
SJD

 



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