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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[C H R O N I Q U E ] Fantômas et les journalistes

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[C H R O N I Q U E ] Fantômas et les journalistes

« L’enfer est tout entier
dans ce mot : solitude »
Victor HUGO

 

Savez-vous ce qui a fait la célébrité de Fantômas ? L’enlèvement d’un journaliste ! Le personnage de Marcel Allain et Pierre Souvestre voulait punir Fandor d’avoir écrit qu’il « n’existait pas ». Mal lui a en pris. Fantômas, en plus de l’enlever, va se mettre dans la peau du journaliste pour commettre des crimes. Pardonnez mon jeu de mots, mais il m’arrive de me demander si celui que nous avons élu le 19 mars 2000 pour nous sortir de la misère sociale n’était pas devenu un simple… fantôme.
Le président de la République nous avait habitués à des déluges de mots. Même dans le vide, il parlait. Quand une question préoccupait, il prenait les devants pour l’expliquer aux Sénégalais. Il nous emplissait le ventre de paroles. Il livrait ses ouailles à pilonnage permanent. Chaque mouvement de son menton était examiné sous tous ses angles. Nous pensions notre héros du 19 mars trop intelligent pour dire des sottises. La machine à parler s’est arrêtée. D’un seul coup. Maître de lui-même, le président de la République n’aurait pas dénoncé l’agression de Kambell et Karamokho. Il se serait défendu. Mais se défendre lui est devenu impossible. Il délègue tout. Les commerçants à Mamadou Diop Decroix, les journalistes à Cheikh Tidiane Sy.  L’équipe de communication du palais de la République n’en revient pas. Restrictions dans les voyages, interdiction de faire des gros plans, contrôle des plans coupés, écoute minutieuse des déclarations du chef de l’Etat avant diffusion. « Jusqu’à ce qu’il se remette de sa fatigue ». A Paris, il a fait peur à son entourage, « parce que sa perte de conscience a duré trop longtemps ». Mais couper la parole à Abdoulaye Wade pendant une cérémonie aussi solennelle que le Concours général, il fallait du culot pour le faire ! Des directeurs sont partis pour avoir raté un bout de phrase ou une poignée de main. Quel changement alors ! En matière de prise de parole, ce n’est plus le chef de l’Etat qui décide. On décide à sa place. Personne ne sait qui est ce « on ». C’est une variable parmi les nouvelles inconnues du palais de la République. Mais « on » décide de tout.
Nous vivons une révolution dans l’exercice du pouvoir d’Abdoulaye Wade. Le président de la République était un parleur compulsif. Il en disait tellement qu’il en disait trop. Au point où ces dernières années, chaque réunion du Conseil des ministres était devenu un discours d’investiture d’un président qui se mettait à neuf toutes les semaines. Il n’y avait rien, des bassins de rétention au projet Yakalma, qui ne relevait pas de sa compétence. Puisqu’il annonçait tout avant tout le monde, il devait s’occuper de tout avant tout le monde. On lui annonçait une menace de famine dans le monde rural qu’il plantait son ministre de l’Agriculture à Dakar pour se retrouver le lendemain en milieu rural avec un stylo et une feuille. Chaque cérémonie funéraire était une occasion de parler « des problèmes du pays ». Ce n’est plus le cas. Wade fait des disparitions et des apparitions inattendues. Le chef de l’Etat qui savait tout ne dit plus rien. « On lui dit ». Et dans ce rôle, Farba Senghor n’est plus le seul Maure du village. Il est entré en conflit avec d’autres réseaux d’influence comme celui d’Abdoulaye Baldé, le secrétaire général de la présidence. L’énarque a baissé la garde et du jour au lendemain, s’est retrouvé attaqué en Casamance. Ce sont les petites crottes que Viviane lance dans le jardin des « enfants », quand elle n’a pas les services qu’elle souhaite.
Wade voulait tout « reprendre en main ». L’Etat et le parti, qu’il avait laissés à Idrissa Seck puis à Macky Sall. Il perd finalement la main sur tout. C’est dans son entourage, parmi ses plus proches, qu’on lui porte les coups les plus violents. Karim Wade veut qu’il accélère les réformes institutionnelles « avant que quelque chose n’arrive ». Le président pressé qui entrait en action avant de réfléchir veut maintenant réfléchir avant d’agir. Il a piqué une de ces colères qu’on ressent quand on voit son propre pouvoir menacé. Le ramoneur qui curait les cheminées est devenu une simple potiche. Il a demandé à son fils comment il compte diriger le pays s’il n’est pas capable de construire un petit tunnel au bout de quatre années de labeur. Avec un budget de 8 milliards, tenez-vous bien. Embarrassé, Karim Wade s’est rendu à Soubédioune avec son casque « d’ingénieur » pour constater l’état d’avancement des travaux. La mauvaise nouvelle, ce n’est pas la fermeture d’une des voies d’accès. L’eau s’est infiltrée dans la structure et menace le béton qui tient l’édifice. Avec autant d’incompétence et de mécontentement dans la rue, c’est impossible de bétonner une succession. Commentaire d’un membre de l’entourage présidentiel : « le président veut, mais il sait que son produit n’est pas fini. Le pays n’en veut pas encore. Le dilemme, c’est qu’il sait que ça peut arriver à tout moment ».
Ce n’est pas seulement une question de « contexte ». Pas seulement une opposition trop forte à sa son projet monarchique. C’est dans le Pds que le président de la République rencontre la plus farouche opposition à son projet de réforme. Il a tenté de contourner la question en mettant ses sénateurs nommés au-dessus de l’Assemblée élue, mais les députés ont décidé de se battre. « Au bulletin secret, il est battu », jurent ceux qui sont prêts à lui faire subir l’humiliation s’il essaie de leur forcer la main.
La fronde contre Doudou Wade n’est pas seulement une opposition au président du groupe libéral. C’est une opposition à l’évènement de Wade II. C’est le sens du combat que mène Macky Sall avec un groupe de députés, et je pense qu’ils méritent d’être soutenus. Enlever aux députés un pouvoir qu’ils ont obtenu au suffrage universel pour le confier à des sénateurs nommés est un coup d’Etat constitutionnel. Ce n’est pas une opposition entre Macky Sall et Pape Diop, c’est une opposition entre la légalité et la forfaiture. En dépit de tous les changements intervenus au niveau des hommes et des institutions, Pape Diop est et reste depuis 6 ans le seul successeur du président de la République. Pourquoi ? Parce qu’il est le seul à avoir un poids électoral sans avoir d’ambition. Il n’a jamais disputé les prérogatives de celui qui le nomme. Karim Wade le méprise avec ses souliers blancs et ses cravates noires. C’est cette impuissance qui le rend digne de confiance.
Mais le vrai pouvoir, Wade ne l’a plus. En attendant qu’il le cède à son fils, Karim Wade le lui a pris. Dès que le président de la République pose les pieds sur terre, on lui met du kérosène dans l’avion pour une nouvelle destination, jusqu’à ce qu’il s’épuise. Le dernier n’est pas mal inspiré. C’est un groupuscule « affilié » à une association de journalistes noirs américains comme savent en trouver les relais de Cheikh Tidiane Gadio à Washington. Pour discuter d’environnement ! Le ministère des Affaires étrangères leur a monté tout un dossier selon lequel le président de la République aurait construit des maisons « écologiques » à prix modique appelées « Jaxaay ». C’est pour ceux qui invitent. Pour « rehausser » l’invité, ils lui ont fait croire qu’il est le premier chef d’Etat à se rendre à cette « grande rencontre ». Ils lui avaient fait le même coup à Petra. La vérité est que Wade est le seul chef d’Etat dans le monde à embarquer aussi facilement dans un avion. On croirait qu’il a des réacteurs sous les pieds. En 2003, un groupe d’étudiants lui a fait faire l’aller-retour Dakar-Oxford-Dakar pour un « doctorat Honoris-Causa ». Il a trainé sa tunique dans une salle lugubre à deux heures de Londres avant de rentrer bredouille à Dakar. Les responsables de la prestigieuse université n’étaient même pas au courant de son déplacement. C’est une association d’étudiants qui avait abusé de son penchant pour les « distinctions honorifiques ». Cette « irresponsabilisation » du président de la République relève d’un cynisme bien calculé. Plus il va s’éloigner dans les airs, moins il aura de contrôle sur la gestion du pays et sera obligé de signer une « procuration » à son fils. Dès qu’il finira sa « prestation » de Chicago, il reprendra l’avion pour Paris, puis le Canada. Le pays ne le verra plus que de loin, avec sa lourde charge. Ce sont ses sbires qui arrêtent, interrogent, torturent, menacent. Mais ils ne font que répéter ce que le maître leur a appris. C’est sa malédiction.
SJD



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