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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

L’Etat des voyous

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L’Etat des voyous

« On ne peut jamais savoir ce qu’il peut advenir

d’un homme qui possède à la fois une certaine

conception de ses intérêts et un fusil »

Georges CLEMENCEAU

 

Il y a des gestes qui ne mentent jamais. Si les médiateurs en tout genre ne réussissent pas à le raisonner, Wade enverra Idrissa Seck en prison, jusqu’à ce qu’il soit assuré de sa réélection. Il ne semble reculer devant rien, quitte à offenser notre bon sens et notre intelligence. Ce début de semaine donc, comme attendu, il a jeté en prison les principaux protagonistes des chantiers de Thiès, Salif Bâ, ancien directeur du PCRPE, maître d’œuvre, et Bara Tall de l’entreprise Jean Levebvre, principal bénéficiaire. La semaine prochaine, comme prévu dans son agenda, il enverra Idrissa Seck à Rebeuss, avant d’enchaîner avec un remaniement du gouvernement, pour « divertir » l’opinion. Il trouvera deux partenaires loquaces dans sa nouvelle équipe, pour justifier tout ceci : Mamour Cissé et Abdourahim Agne, tous deux anciens socialistes.

 Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail de l’accusation. C’est du pipeau. Tout le monde sait pourquoi ils sont là-bas. C’est à cause de leur entêtement à ne pas tremper Idrissa Seck. Comment Wade et son fils lui auraient-ils attribué des marchés de l'ANOCI, s’ils le croyaient coupable dans les chantiers de Thiès ? Encore que, surfacturation pour surfacturation, les chantiers de la Corniche coûtent plus cher que les chantiers de l’ensemble de la ville de Thiès, pour lesquels l’Etat reste devoir à Bara Tall au moins deux fois les sommes pour lesquelles il est poursuivi. C’est insensé ! Quand maître Abdoulaye Wade a donc su, au bout de plusieurs mois d’emprisonnement et deux années d’enquête, qu’il n’y a aucune preuve matérielle, il a demandé au patron de Jean Lefebvre et à Salif Bâ de les « aider ».

A défaut d’éléments nouveaux et d’une quelconque preuve, c’est leur décision de ne pas mentir qui les a perdus, et c’est bien triste. Depuis trois mois déjà, quand la perspective de la candidature d’Idrissa Seck s’est précisée, on savait que l’entourage du président de la République travaillait au corps l’entrepreneur, pour le forcer à « coopérer », tremper Idrissa Seck s’entend. Seulement, une telle coopération signifierait qu’ils avouent, eux-mêmes, être les principaux auteurs de surfacturations, et Idrissa Seck serait leur complice. Ils permettraient ainsi sa condamnation, donc son élimination de la course à la présidentielle. En retour, l’Etat s’engageait à leur payer la caution qui permettrait leur élargissement d’office. Entre légers sourires et francs ricanements, c’est ce que le président a fait comprendre à Bara Tall, avant de lui dire, sur un ton plus ferme, « il ne faut pas jouer aux martyrs, tu ne peux pas te battre contre un Etat.

-         Je comprends le message, je vais donc préparer mes affaires, je sais que je vais aller en prison.

-         Comme tu ne veux pas écouter, tu vas voir.

Voilà comment Wade traite l’homme à qui il a donné tous ses marchés, ceux de la présidence de la République, comme ceux de Poponguine, qu’il prenait partout par la main, en lui disant « sama doom ». L’aspect tragique des choses, c’est qu’il y a trois mois, le père de Bara Tall est mort, sans doute pour s’éviter un tel spectacle, et on cache à sa mère, hypertendue, son arrestation. On aura tout vu en six années d’alternance, mais je ne pouvais pas imaginer que la bassesse aurait autant raison de Wade. Et puisqu’il sait qu’il doit faire face à tout le groupe Com 7, qui refuse de laisser prospérer le mensonge, il s’est réconcilié avec Youssou Ndour, pour espérer un secours de sa part. Sans honte, il a supplié le chanteur, pour le rencontrer, alors que pendant des mois, il a biffé son nom de la feuille d’audience, à chaque fois que ce dernier a voulu le rencontrer.

-         Tu es mon fils, et c’était une querelle entre mes deux enfants, je ne voulais pas m’y mêler. Maintenant c’est fini. Mais dis-moi. Il parait que tu veux donner ta chanson « rewmi » à Idrissa Seck ?

-         Mes chansons sont un patrimoine national, je ne peux pas les interdire à un citoyen. Toi-même tu l’as fait, et le Parti socialiste l’a fait.

C’est la réponse du chanteur. Mais en bout de course, Idrissa Seck est allé voir ailleurs, du côté de Didier Awady ou de Ticken Jah Fakoly.

Tout ceci, y compris l’intérêt soudain pour un gouvernement d’Union nationale, participait du même souci d’isolement d’Idrissa Seck, et de muselage de l’opposition. Il faut écouter le président de la République hypnotiser Amath Dansokho en direct. Il lui a rappelé qu’il a été son professeur en 1964, qu’il a vu Viviane arriver, au début de cette année, il a été son avocat la même année, ils ont fait leur première tournée électorale ensemble, en 1978. Il lui a livré tout ce que sa mémoire lui a laissé, avec une grande liberté dans la chronologie. Il a oublié qu’il l’a humilié et martyrisé pendant un an, avant de le chasser de son gouvernement comme un valet. Amath, qui a parfois le cœur à la place de la tête (ce n’est pas une insulte), a pleuré pendant 15 minutes, alors qu’il s’était préparé à lui servir un discours de souffre. Il ne s’est remis de ses émotions que le lendemain. Toute l’après-midi de mardi, le président de la République est revenu à la charge, pour le supplier d’entrer dans son gouvernement. Il a opposé le même refus. Il n’entrera pas dans sa combine. S’il avait dit oui, croyez-moi, Moustapha Niasse serait dans le gouvernement. Si le leader de l’Afp a accepté, même indirectement, la médiation de Pape Samba Mboup, c’est qu’il était désespéré. Si tout avait marché comme prévu, Idrissa Seck n’aurait pas survécu à ce gouvernement d’union nationale. Il faut dire qu’il a manqué de jugement, le patron de « rewmi », en donnant, sur des questions essentielles, des réponses qui ouvrent la polémique, au lieu de la fermer.

Mais tout ceci est tellement plus grave ! C’est le président de la République qui décide qui doit entrer en prison, qui doit sortir, quand et comment, avec les mêmes acteurs, je parle des juges Diakhaté et Coulibaly, qui avaient, douze ans auparavant, instruit dans le cadre de l’affaire Me Babacar Sèye, un autre juge du Conseil constitutionnel sauvagement assassiné.

Il y avait un ministre de l’Intérieur appelé Djibo Kâ. Les démocrates qui l’ont soutenu par la suite dans son combat étaient loin de le prendre pour un saint. La plupart l’ont connu responsable des étudiants, sous le régime répressif de Senghor, puis bras armé du puissant Jean Collin. Ce n’est pas sa personne que nous avons soutenue, mais l’état de droit et la liberté de conscience. Nous faisons face à la même situation, face au règne de l’arbitraire. Abdoulaye Wade convoque quand il veut, emprisonne quand il veut, gracie quand il veut. Je ne crois pas que l’épouse de Vieux Sandiery Diop ait quelque chose à voir avec la menace, à bout portant, ou touchant, d’un journaliste. Et il est toujours étonné qu’on s’indigne de ces pratiques. Il a fallu que Niasse refuse d’entrer dans son gouvernement, pour qu’il envoie Pape Samba Mboup l’abreuver d’injures.

Le comble avec cet homme, ce n’est pas qu’il pense différemment. C’est qu’il n’accepte pas que les gens pensent différemment, et tous ceux qui pensent différemment sont des ennemis à combattre. Nous nous rendrons compte, bientôt, que chez tous les peuples naissent des tyrans. Ils commencent par dire « moi, tout ; le peuple, rien ». Ils y prennent goût, et ils deviennent tyranniques. Il lui reste à gagner les prochaines élections à 97%,  et on sera en plein dedans. Je ne sais pas si notre pays et ses institutions se relèveront de ce traumatisme. Il y a fort à parier que non, si nous laissons continuer ce cinéma de mauvais goût.

 



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