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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

La cheap thérapie

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La cheap thérapie

« Voilà l’homme tout entier s’en prenant
à sa chaussure, alors que c’est
son pied qui est responsable »
Samuel BECKET

 

Il y avait de bonnes raisons de s’inquiéter de la vitesse avec laquelle la situation du pays se détériore. Il y en a une nouvelle, sans doute plus alarmante : c’est la désinvolture avec laquelle le président de la République change tous les jours de problèmes et de solutions. Hier il ne voulait pas de l’aide internationale, aujourd’hui il en demande à l’Inde. Hier il annonçait la production de 500 000 tonnes de riz par an, il veut maintenant en importer 600 000 par an. Tout ce qu’il dit la veille ne l’engage pas le lendemain. Mais ceux qui croient à ses cargaisons de riz indien doivent tempérer leur enthousiasme. Ce que Wade évoque comme une solution est une partie du problème. L’Inde est à l’origine de la flambée du prix du riz sur le marché depuis sa décision prise en octobre 2007 d’interdire ses exportations de riz, à l’exception du Basmati, hors de portée des ménages. Les autorités indiennes avaient une bonne raison de le faire. La production mondiale a encore baissé en 2007, menaçant de faire de ce deuxième producteur mondial un importateur de riz. C’est par mesure de sauvegarde que l’Inde a décidé d’arrêter ses exportations, pour répondre aux besoins de son milliard de consommateurs. Mais il y a derrière cette décision des arrière-pensées financières que les autorités indiennes n’ont jamais cachées. En bloquant les exportations, les Indiens ont provoqué une grande spéculation sur les céréales qui profite à tous les grands producteurs. Ils ont créé l’Opep du riz, exactement dans le même scénario que celui de 1973, et d’autres pays vont bientôt les rejoindre.
L’Inde ne peut pas, alors que le prix du riz atteint 1000 dollars la tonne sur le marché mondial du fait de sa rareté, nous promettre 600 000 tonnes tous les ans et à des prix préférentiels. Ce ne sont pas des décisions qui se prennent sur un coup de téléphone. Le riz indien n’appartient pas à l’Etat indien, il appartient à des producteurs indépendants qui vendent au plus offrant. Aux Etats-Unis, les grands distributeurs ont commencé le rationnement du riz, vendu au compte-goutte et à un prix élevé. Le Brésil a décidé mercredi de suspendre ses exportations pour les mêmes raisons, satisfaire ses besoins intérieurs et prévenir toute pénurie sur le marché. Penser un seul instant qu’on peut indiquer à ces producteurs la destination exclusive de leur riz relève d’une grande naïveté. Penser qu’assurer 600 000 tonnes au Sénégal pendant 6 ans peut se décider sur un simple coup de fil relève de l’enfantillage.
Maître Wade voit parfois la vie avec les yeux d’un enfant. Il y a deux ans, il est revenu d’une tournée mondiale avec la promesse de bateaux pleins de pétrole, dont deux « avaient » déjà pris le chemin de Dakar. Je ne doute pas de sa bonne foi. Mais ce qui inquiète, c’est le temps qu’il a fallu à cet économiste émérite qui rappelait la semaine dernière à des journalistes français qu’il était « doué en maths sup », pour savoir que les Etats membres de l’Opep ne peuvent pas donner gratuitement leur pétrole. Il avait, avec la même légèreté, en présence d’experts venus de toute l’Afrique, annoncé qu’il ferait du Sénégal un exportateur de pétrole « dans quelques mois ». Ce qui fait croire au président de la République que tout lui est possible, du règlement du problème palestinien à l’invention de la « Wade formula », c’est l’illusion de sa toute puissance. Il nous mène en bateau. Et, personne ne doit le souhaiter, mais il nous mènera au naufrage. Évidemment, on ne peut pas juger le président de la République et absoudre le « grand ingénieur » qui lui prodigue ses conseils avisés en matière financière. Karim Wade est le complice de cette marche inéluctable vers les abîmes. Et au moment où le pays subit les conséquences de huit années de cabotage hasardeux, il est caché dans son petit paradis, pour laisser passer la tempête. Quand il fera plus beau, on le verra de nouveau en costume et lunettes de soleil entouré de ses gardes du corps.

On croyait Abdoulaye Wade un vendeur de rêve. C’est un vendeur d’illusion. Le rêve procède de quelque chose de plus noble, il nait d’une vision. L’illusion procède d’un aveuglement. Il n’y a rien dans son plan Goana qui tienne. Il avait floué les égyptiens en 2004, en leur faisant croire qu’il avait 500 mille tonnes de Maïs, sur un objectif fixé à un million de tonnes. Quand les égyptiens sont venus lui acheter sa production, ils se sont rendu compte que nous n’avions même pas produit le quart. La réalité est que la production céréalière du Sénégal a baissé de façon vertigineuse depuis 2000, du fait d’une politique agricole hasardeuse.
Il ne faut pas souhaiter le pire quand il y a déjà le mal. Mais au rythme où vont les choses, sa Goana sera de la pure agonie. Nous n’avons pas les moyens financiers de juguler cette crise. Nous ne pouvons rien contre un kilogramme de riz à un dollar américain. Mais nous pouvons la rendre moins insupportable. Le président de la République parlait de l’organisation de semi pensions dans les écoles. Ce n’est pas impossible. Avec 5 milliards de francs, il est possible de faire manger un sandwich par jour à 50 000 jeunes des écoles Primaires et secondaires pendant 200 jours dans l’année. C’est un bon moyen de mesurer la portée que peut avoir sur le destin de ce petit pays la décision de détourner les 7 milliards offerts par Taïwan pour les placer dans un compte à Nicosie. 
Il y a des choses simples qui sont encore faisables. Rien ne justifie la taille gigantesque de notre gouvernement. Si la France peut vivre avec 15 ministres et les États-Unis avec 14, je ne vois pas pourquoi ça nous ferait du mal. Nous avons un Sénat inutile et des sénateurs payés à ne rien faire. Ce serait courageux de reconnaître l’impasse dans laquelle nous sommes engagés, et faire marche arrière sur ces questions comme sur l’augmentation du nombre de députés. On ne verra malheureusement jamais Abdoulaye Wade se remettre en question. Il aura toujours une solution à lui. Tout le monde a tort à ses yeux. Le Pam a tort, la Fao a tort, les Ong ont tort, l’opposition a tort. S’il y a un des aspects positifs à cette crise, c’est de révéler enfin cet homme au monde entier. Aller d’une si grande fascination pour l’opposant à un si grand mépris pour le président de la République a quelque chose de tragique. Il n’a de son pouvoir que la crainte de le perdre. Tous ceux qui le menacent sont des ennemis. Nous l’aurions pris pour un martyr s’il n’avait pas été président pour se révéler sous ses véritables traits. L’issue de cette grande aventure que nous avons tentée il y a 8 ans est catastrophique. Le sort de cet homme l’est encore plus. Il joue son propre sort, dans sa propre tragédie. Mais le plus grand mal, Wade ne l’a pas fait aux adultes qui ont fini d’espérer. Il l’a fait aux enfants et aux jeunes, qui n’ont plus aucune raison d’espérer. Les crises d’hystérie sont des crises d’angoisse. Les enfants portent dans leurs sacs à dos la misère de leurs parents. Il y a quelques années, Lamine Guèye était le fleuron de la moyenne bourgeoisie. Les enfants y mangeaient en cantine, s’ils n’habitaient pas dans les maisons environnantes. Cette classe moyenne s’est effondrée pour laisser un trou béant entre les nantis et les autres. Les crises d’hystérie ont atteint les régions, preuve que la misère s’est elle aussi généralisée. Vous ne verrez jamais parmi ces enfants hystériques les protégés du nouveau régime. A la question de savoir comment mettre fin à ces crises d’hystérie dans les écoles, le psychologue Serigne Mor Mbaye vient de proposer une solution originale : organiser des séances de « Ndëpp » dans les écoles ! Cette « cheap thérapie » aurait pour effet de chasser le diable des écoles. Mais c’est de la présidence qu’il faut le chasser !



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