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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Le cas Waddafi

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Le cas Waddafi

 « Bien entendu, on ne saurait connaître un homme
complètement, son caractère, ses principes, son jugement,
tant qu’il n’a pas montré son vrai visage,
tant qu’il n’a pas gouverné, fait des lois »

SOPHOCLE

Ce jeudi 9 juin sera donc gravé dans les mémoires. Jamais encore, un chef d’Etat n’a osé fouler le sol ocre de Benghazi et sa fournaise, là où crament les chars sous le soleil, crépitent les bombes et sifflent les douilles des munitions d’une bande de rebelles qui peinent à avancer, malgré l’énorme armada militaire déployée par l’Otan. Il fallut donc le courage d’un homme déterminé à entrer dans la légende par tous les moyens. Ou alors faut-il parler de sa lâcheté, car le courage est une vertu qui échappe à l’hypocrisie. Il y a six mois encore, Kadhafi était entouré du plus grand soin à Dakar, où il s’était autoproclamé roi des rois d’Afrique dont il était le porte-parole auprès des « présidents d’Afrique ». Il en était à sa troisième visite en trois ans, âprement courtisé par l’homme qui le vilipende aujourd’hui. Abdoulaye Wade avait fait du libyen son « invité d’honneur » à la célébration de la fête du 4 avril 2007, pour le remercier sa générosité lors de la campagne électorale. Le colonel n’a pas déçu. Il a profité de cette tribune pour inviter son « frère » sénégalais à porter plainte contre la France pour faire respecter les droits des tirailleurs africains. Kadhafi était à Dakar comme en son royaume, où toutes ses extravagances étaient mises dans le compte de « son amour pour l’Afrique ».
Le revirement d’Abdoulaye Wade est d’autant plus surprenant que l’histoire du Pds est aussi celle des deux hommes. A la fin des années 70, le libyen a apporté une contribution financière importante au Pds naissant, comme il l’a fait pour de nombreuses organisations africaines. Des personnes affectées à la sécurité d’Abdoulaye Wade ont été formées à la guérilla urbaine dans les camps retranchés de Benghazi, avant d’aller se perfectionner à Cuba. Au début des années 80, des instructeurs libyens se sont fait arrêter à Dakar, accusés de vouloir déclencher une insurrection avec la complicité d’Abdoulaye Wade. Beaucoup de mouvements africains ont bénéficié de l’appui financier et des formations offertes par la Libye, dans le cadre de la lutte de libération. C’est à ce titre que le président Mandela avait défié le blocus imposé à Kadhafi après l’attentat de Lockerbie, pour le remercier du soutien apporté à l’Anc pendant la lutte contre l’apartheid.
Kadhafi est sans doute un Ubu en djellaba. J’étais avec lui sous une tente à Tripoli, en septembre 1998, quand j’ai été sermonné par ses agents de renseignement pour avoir parlé du « président » dans un de mes articles, alors qu’il était un « Guide ». Mais il a contribué à l’émancipation de nombreux peuples africains. Il a aussi financé de nombreuses infrastructures dans des pays africains pauvres comme le Mali et le Burkina Faso. Le peuple que j’ai rencontré pendant ce voyage de plusieurs semaines n’était sans doute pas libre. Un ordre régnait partout, assuré par un des services de renseignement les plus performants du monde. Le livre vert y était enseigné comme le nouvel évangile des peuples. Mais les libyens ne manquaient de rien. Tout que ce Kadhafi tirait du pétrole, il le réinvestissait dans les infrastructures, les télécommunications et surtout l’agriculture. Le désert libyen parsemé d’immenses lacs artificiels qui ont permis de réduire la dépendance du pays en fruits, légumes et céréales. Tout jeune libyen qui se mariait avait droit à un appartement gratuit. Les denrées de première nécessité étaient subventionnées et aucun libyen ne mourrait de faim. Le plein d’essence coûtait moins de dix dollars américains. C’est pourquoi j’ai déclaré ici-même, au début du printemps arabe, que sans présager de la suite, l’expérience tunisienne était difficilement réalisable en Libye. C’est une plus petite population et les libyens ont toujours préféré la prospérité sans la liberté à la liberté sans la prospérité. L’opposition était inexistante non pas parce que Kadhafi la combattait, mais parce qu’elle trouvait difficilement une prise sur le vécu des libyens. J’ai été surtout frappé par le métissage de ce peuple, où le racisme avait peu cours. Le numéro deux du régime était de fait un homme noir et l’essentiel de la garde de Kadhafi était composée à majorité d’élégantes femmes noires. Beaucoup d’entre elles étaient des pilotes de chasse. L’islam qui y était pratiqué était sans tapage.
Ce que je viens de dire n’est pas pour défendre la cause de Kadhafi. Elle est déjà perdue. Mais depuis plusieurs mois, américains et français tentent de convaincre de la noblesse de leur mission de libération, alors que les libyens disent qu’ils n’en sont pas demandeurs. Sous le prétexte de protéger des populations civiles, il est clair maintenant qu’ils ont improvisé cette guerre dans le seul but de faire tomber le régime de Kadhafi. Ils le font en détruisant les infrastructures de ce pays vieux de plusieurs millénaires et en tuant ses civils. Le fils de Kadhafi mort avec ses enfants est-il coupable d’avoir été engendré par un autocrate ?
Malgré tout, en dépit de quelques défections surmédiatisées, l’armée reste fidèle à Kadhafi et le peuple de Libye refuse de se soulever. Aucun chef d’Etat en proie à une insurrection n’oserait parader les mains nues comme l’a fait Kadhafi, malgré la présence des avions de l’Otan qui larguaient leurs bombes sur Tripoli. Il faudrait donc dire de quoi cette intervention est le nom et surtout au profit de qui elle se fait. La répression dont on accuse le Guide libyen n’est en rien comparable aux massacres perpétrés en Syrie, au Yemen et à Bahrein, où règnent de véritables dictateurs sanguinaires.
Ce qui est accablant dans le revirement spectaculaire d’Abdoulaye Wade, ce n’est pas seulement l’insoutenable légèreté de ses arguments. Tous les membres du CNT sont d’anciens collaborateurs de Kadhafi au sein de ses services de renseignement et de son armée. S’il est coupable de crimes, ils en sont les complices et les exécutants. Mais il y a surtout chez Abdoulaye Wade un manque de décence choquant. Il a attendu que Kadhafi soit à terre pour lui donner un coup de pied. Sur le nouveau front diplomatique qu’il vient d’ouvrir, apparaissent les deux faces de l’homme. Il y a d’un côté le génie politique capable de saisir une situation par intuition et de se positionner opportunément. Il l’a déjà montré en Côte d’Ivoire. Mais il y a de l’autre le mégalomane narcissique qui finit par griller toutes ses cartes avec sa diplomatie chiffonne capable d’exaspérer ses plus fidèles alliés et de transformer ses francs succès en des revers cinglants. Il en a déjà donné la mesure, en se programmant à la place de son ministre des Affaires étrangères pour une audience avec... Alain Juppé.
Tout cet activisme débridé ne sert qu’à se rapprocher des positions de Sarkozy et Obama, pour espérer un soutien à son plan de succession monarchique. La honteuse mise en scène du sommet du G8, où aucun fils de chef d’Etat n’avait fait preuve d’une telle effronterie, avait une contrepartie. Barack Obama a été, sans le vouloir, l’objet d’un marchandage entre deux chefs d’Etat frivoles qu’aucune morale ne peut lier. Les antichars Milan que Kadhafi utilise aujourd’hui, c’est Sarkozy qui les lui avait vendus en 2007. Il était prêt à lui vendre 16 avions Rafale et une Centrale nucléaire clés en main. Le fils de Kadhafi ajoute à ces transactions menées sous la tente, au cœur de Paris, d’autres révélations relatives au financement de l’Ump. Sarkozy s’était fait l’avocat de Kadhafi auprès des occidentaux.
Pour revenir à Abdoulaye Wade lui-même, puisqu’il est le seul dont le sort nous importe, il a décidé à la fin de ses jours de se mettre au service de Nicolas Sarkozy. Il avait un besoin de reconnaissance que le maître de l’Elysée est maintenant prêt à lui accorder, s’il consent à rallier les autres Etats africains à son combat personnel contre Kadhafi. Mais il ne peut accuser Kadhafi de tirer sur son peuple, quand il refuse de livrer à la justice internationale Hussein Habré, un ancien dictateur accusé du meurtre de plusieurs milliers de tchadiens. Il ne peut surtout pas l’accuser quand la gendarmerie sous sa commande vient de tirer à bout portant sur un pauvre innocent. Les crimes sont devenus si nombreux sous son règne, que son propre camp veut maintenant se prémunir de ses dérives meurtrières. Ce qui me fait dire qu’après le Guide libyen, le juge Ocampo de la Cour pénale internationale devrait se pencher sur le cas du Napoléon de Kébémer.
SJD



11 Commentaires

  1. Auteur

    Undefined

    En Juin, 2011 (09:33 AM)
    chapeau jules
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  2. Auteur

    Ah

    En Juin, 2011 (12:53 PM)
    Merci SJD

    Cet article est l'un des meilleurs de SDJ

    L'analyse est tres pertinente

    Merci encore SDJ
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    Auteur

    Undefined

    En Juin, 2011 (13:28 PM)
    merci d plus SLD bon article tré vréma génial bn courage q dieu t garde tout l monde et derriére toi
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    Auteur

    D.

    En Juin, 2011 (21:15 PM)
    Le Résistant SJD s'indigne tous les jours contre ces maux qui affectent le Senegal !



    SENEGALAIS, INDIGNONS-NOUS !!
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    Auteur

    Lynx

    En Juin, 2011 (02:44 AM)
    honteux tout simplement honteux ablaye wade vraiment le sang maternel remonte
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    Auteur

    Battling Siki

    En Juin, 2011 (10:51 AM)
    SJD pourquoi ne pas avoir mentionné que Wade y allait peut être en sa qualité de Président de l'OCI ?
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    Auteur

    Vade

    En Juin, 2011 (18:22 PM)
    ce president est un danger jules a raison
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    Auteur

    Lea

    En Juin, 2011 (10:47 AM)
    c triste le senegalais ne devait pas tombe si bas pour de simples considerations crpto personnelles et qui ne lavantagerons jamais demain il fera jour
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    Auteur

    Affair De Grand

    En Juin, 2011 (12:29 PM)
    vous ne savez rien de la politique c une affaire de grands vous n etes que des minus en relation internationale il n ya pas d amities mais des interets mais a koi bon vous en parler des minus des journaleux du tiers monde pfffffffffffffffffffffff

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    Auteur

    Bossoudiambour

    En Juin, 2011 (16:04 PM)
     :haha:  Tu n'as plus rien à dire, dagua SAPI  :haha: 
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    Auteur

    Andrea Bourou Seneweb

    En Juin, 2011 (10:48 AM)
    seneweb dolen kat ndeam bayi comenter soulemane jule diop bougueni teuth

    balen nit gni gnou wah sen sohla di mom day wah soh lam si nit gni
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