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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[CHRONIQUE] Le coup d’Etat montant

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[CHRONIQUE] Le coup d’Etat montant
« Celui qui refuse d’engager le combat
n’y est pas vaincu. Il est vaincu moralement
 parce qu’il ne s’est pas battu »
Fernando PESSOA

La vie, décidément, a de longues jambes. Les souvenirs me viennent, de cette matinée du 20 mars 2000, au domicile du nouveau ministre de l’Intérieur. Je vois encore Me Ousmane Ngom affalé sous une épaisse couette, ses grands pieds débordant l’accoudoir de son canapé. Le sombre regard noyé dans de grosses cernes cherchait où se poser, courant d’un lieu à un autre, espionnant chaque petit coin de ce haut plafond comme s’il lui était devenu étranger. Je le vois encore marmonner de sa voix enrouée ces graves propos qui faisaient écho dans cet appartement du centre-ville : « Je suis foutu, je suis foutu. » Il en avait tellement dit, le pauvre, traitant celui qui venait d’être élu de monarque et d’aventurier, qu’il sentait le couteau lui traverser la gorge. Son grand corps transpirait en même temps qu’il pensait à haute voix à sa traversée du désert et à cette main d’Idrissa Seck le prenant au collet pour le conduire en enfer.
Sa fille Zeinab et sa femme Aline, en ce lendemain d’élection, observaient le mastodonte agoniser. Il faisait peine à voir, ce matin-là, le flamboyant porte-parole, membre du directoire de campagne d’Abdou Diouf, secrétaire général du Pls, ennemi juré d’Abdoulaye Wade, auteur de diatribes mémorables contre le vieil opposant délavé. Cette fois-ci, son grand corps est à terre, terrorisé par les représailles de celui chez qui il avait appris « ce qu’un homme ne doit jamais faire ».
Pouvait-on imaginer un tel homme se voir charger, dix ans après, de l’élection de celui qu’il avait combattu, insulté et humilié, au point de le traiter de « mécréant » ? Non, quand on pense la politique en homme vertueux et que l’on ignore l’usage pernicieux qu’Abdoulaye Wade peut faire des hommes et de leurs vices. Pour instaurer une monarchie, qui de mieux que ce Me Ousmane Ngom, qui l’a accusé de parler « en démocrate » et d’agir « en monarque ». Comme pour faire de mauvais jugements, il faut de mauvais juges. Il faut des traîtres pour trahir. Abdoulaye Wade et sa famille s’attachent les services de cet homme en sachant qu’il va exécuter chacune de leurs décisions avec le zèle d’un écolier pris en faute.
On avance les différents scandales qui ont jalonné le précédent passage d’Ousmane Ngom au ministère de l’Intérieur. On pourrait même ajouter à cette liste le lancement en grandes pompes d’une société textile, vite fermée après son inauguration par le président de la République. Le directeur s’est enfui après avoir vendu le site et mis des centaines de pères de famille au chômage. N’importe quel chef d’Etat sérieux aurait demandé des comptes à son ministre. Mais tout ce que nous prenons pour des défauts imprescriptibles, Abdoulaye Wade le prend pour des qualités intrinsèques.
L’homme qui s’est vu confier cette semaine le destin de la famille Wade n’attendra pas des ordres explicites, il saura les deviner et les anticiper, tellement il connaît son maître. Il s’était même dit « Made by Wade », ce que ses prouesses récentes en matière économique confirment fort éloquemment. Sa réhabilitation ne s’est faite qu’en 2004, pour travailler à la liquidation d’Idrissa Seck. Mais le 31 décembre 2009, il déclarait sans même se gêner, que « les socialistes, c'était l'immobilisme. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons trouvé des terres en friche ». Voilà ce qu’a osé dire, sans sourciller, l’homme qui agonisait sur son canapé, pour se montrer digne de celui qui l’a « créé ».
Le retour d’Ousmane Ngom au ministère de l’Intérieur, après ses bons et loyaux services lors de la présidentielle de 2007, signifie bien le maintien d’un schéma monarchique prôné par Viviane Wade, avalisé par Abdoulaye Wade, exécuté par Karim Wade. Encore plus édifiant, le retour de Bécaye Diop au ministère des Forces armées, l’homme qui disait aux enfants du Pakao que s’ils n’étaient pas ses parents, il aurait tiré sur eux. Aux secteurs stratégiques de l’Etat comme à la tête de son parti, le président de la République s’est assuré la loyauté de serviteurs qui ne doivent rien aux Sénégalais, et qui pourront ainsi tout lui devoir.
On veut assurer que c’est pour coupler les élections que le président de la République a décidé de coupler ces deux fanfarons. L’un pour frauder avec la complicité du commandement territorial, l’autre pour quadriller les centres urbains avec ses chars de combat. Mais c’est encore sous-estimer Abdoulaye Wade. S’il a procédé à ces nominations, ce n’est pas pour organiser des élections, c’est pour ne pas se donner la peine d’en organiser. Un homme qui sort d’une lourde défaite aux élections locales en compagnie de son successeur désigné,  doté de ce flair animal qui lui fait sentir l’exaspération des populations, ne peut se risquer à une telle entreprise. Depuis deux semaines déjà, son ministre de la Communication s’est donné pour tâche principale de convaincre l’opinion que « les élections coûtent cher ». Peut-être plus que le monument de la « renaissance africaine » ou le folklore de 18 milliards que sa fille prépare pour la fin de l’année.
Pour Abdoulaye Wade et son petit comité, on le sait, les réformes qui doivent assurer son maintien au pouvoir et sa succession par filiation sont plus importantes que l’organisation d’élections transparentes. On ne se prépare pas à se soumettre au verdict des urnes en mettant aux ordres la police et l’armée. Ce qui se prépare n’est pas une élection, c’est un coup de force. Une question sur laquelle Abdoulaye Wade n’a jamais entretenu la moindre ambigüité. La logique selon laquelle on ne peut pas organiser des élections et les perdre en Afrique, il entend la suivre en toute rigueur, jusqu’à son propre anéantissement. Si le suffrage avait un sens pour lui, il le traduirait d’abord par des renouvellements au sein de sa propre formation politique. Depuis la tentative avortée de 1998, le Pds n’a jamais renouvelé ses instances, au grand bonheur d’Abdoulaye Wade, qui l’a confié maintenant à Farba Senghor.
L’acte le plus insensé qu’il ait commis, mais qui prouve qu’il se moque du processus électoral, c’est la comédie qu’il vient de jouer devant les deux anciens présidents de la Cena, les maltraitant comme des pestiférés. Je me suis dit ce jour-là, que cet homme ne se donnait plus aucune limite dans l’effronterie, et qu’il faudrait désormais s’attendre à tout avec lui. Ce n’est même pas l’assentiment des sénégalais que cherche Abdoulaye Wade, mais le consentement de quelques individus. Son système fonctionne à rebours de tous les principes démocratiques. Pour s’assurer la docilité des masses populaires, il corrompt ou combat les élites sensées parler et agir en leur nom. Les opposants sont intimidés, les journalistes muselés. Quant aux imams et oulémas, ils sont maintenant saisis d’une étrange frénésie quand ils reviennent d’une visite au palais de la République. Depuis qu’Abdoulaye Wade les convoque pour les arroser de billets de banque, ils ont remis Dieu à sa place et ne parlent plus que de leur bienfaiteur. Un imam chargé d’observer le croissant lunaire s’est montré imprudent, en se félicitant du fait que la Korité soit fêtée un vendredi. Il y voyait le signe d’une prospérité pour le pays. Dès qu’on lui a signalé que cette coïncidence ne plaisait pas au chef de l’Etat, il s’est mis à regretter ses propos tenus la veille à la télévision nationale. Il veut infantiliser le pays entier avant de le confier à son enfant
Nous allons assister à la fin de règne la plus guignolesque de l’histoire. Houphouet Boigny avait fini dans des conditions presque similaires, passant le plus clair de son temps à se soigner à l’étranger, sous le couvert de visites privées et de médiations. Il avait, de la même manière, créé une inflation de postes ministériels, pourtant un grand coup à l’efficacité gouvernementale. Alors que les paysans ivoiriens souffraient de la baisse du prix du Cacao, il se permettait de construire l’un des édifices religieux les plus coûteux de l’histoire, 32 milliards de francs, comparable à la Basilique de Rome. Quand le monde entier s’en est ému, il a juré que cette « maison de Dieu » ne coûterait pas un sou au contribuable ivoirien. « Je vous jure que c’est mon argent et celui de ma sœur. Et quand il sera prêt, je vais l’offrir au Pape, j’espère qu’il l’acceptera. Ca veut dire que cette basilique n’appartiendra pas aux ivoiriens », s’était-il permis. Il est mort au pouvoir, en laissant derrière lui le chaos.
Abdoulaye Wade n’a pas les mêmes préoccupations célestes. A son âge, tous les hommes raisonnables se séparent de leurs vilaines habitudes pour se préparer à la mort. Mais ce n’est pas son cas. Il ne se fait guère d’illusion sur ce qui l’attend au ciel, mais c’est ce que les hommes lui préparent sur terre après sa mort qui le préoccupe. C’est la raison pour laquelle il foule aux pieds les principes démocratiques les plus élémentaires et s’obstine à nous faire surveiller par son fils. Maintenant que nous le savons, une seule conduite nous incombe, le refus. A tous ceux qui ne veulent pas céder à la tyrannie, je voudrais dire ceci, en paraphrasant Thomas Sankara : seule la lutte libère.
SJD






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