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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ Chronique ] Le puisatier de Sedhiou

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[ Chronique ] Le puisatier de Sedhiou

« Tout le monde peut faire des erreurs 
et les imputer à autrui : c’est faire de la politique »

G. CLEMENCEAU

Dans un petit village de Sedhiou, Bêmet Diattacounda, un puisatier est mort, enseveli dans son propre puits. Les villageois impuissants l’ont laissé enterrer debout. Ils ont prié sur ce qui lui sert maintenant de sépulture. Les Sapeurs pompiers appelés à la rescousse n’ont rien pu faire de ses suppliques innombrables, Doudou Diadhiou est mort par suffocation. S’ils avaient réussi à le sortir de là, ils auraient fait face à un plus grand obstacle. Cette vaste localité ne compte aucun service de réanimation, aucun centre de santé. Le petit poste installé là aux premières heures de l’indépendance fonctionne au ralenti, faute de matériel. Son sort n’est pas celui de Karim Wade coincé au dixième étage de l’immeuble Tamarro. Il y a eu à la minute qui a suivi huit fourgonnettes équipées, 50 Sapeurs pompiers sénégalais, 32 membres des forces françaises du Cap-Vert et le président de la République lui-même, venus sauver le prince Karim Wade des flammes. Doudou Diadhiou a eu moins de chance, il était seul dans son trou, séparé de ses pauvres parents par une épaisse couche de sable. Pendant trois jours, les villageois ont tout essayé, avec des Sapeurs pompiers armés de pelles, de brouettes et de lampes de poche. Ils n’ont pu le sauver, ils l’ont laissé périr. 
Je me serais passé de mon indignation si je n’avais pas la certitude qu’avec les 720 millions qui ont servi à la rénovation du luxueux bureau de Karim Wade à l’immeuble Tamarro, on aurait pu construire à ces villageois des forages motorisés et sauver des milliers de vies. Le ministre de l’Urbanisme a lui-même avoué lors de la quatrième revue annuelle du Pepam, en avril dernier, que le nombre de forages en panne a augmenté au pays, baissant du même coup le nombre de sénégalais ayant accès à l’eau potable. Ce sont des milliers de personnes qui meurent dans tous les coins du pays, parce que le minimum vital, l’eau, leur fait défaut. Que l’on soit en banlieue ou en campagne, le sort est le même. Quand il y a trop d’eau on en meurt en ville ; quand il y en a peu, on en meurt au village.  
Eh bien, on ne peut pas se préoccuper du sort de tous, quand on ne commence pas par se préoccuper du sort de chacun. Pour ne pas être injuste envers l’autre, il faut se mettre à la place de l’autre. Or, on ne peut pas imaginer la mort cruelle de ce jeune homme sans se sentir révolté. Les bulles d’air qu’il a essayé d’arracher à cette terre maudite, ses mains qui tentaient de s’arracher de cette grosse masse boueuse, l’espoir attaché à chacun des battements de son cœur, que quelqu’un le sortirait de là ; enfin le désespoir, l’asphyxie, la sombre nuit qui s’est abattue sur son visage. Je n’ai jamais été frappé par une mort d’aussi loin. Mon cœur en est encore meurtri quand au même moment, Abdoulaye Wade offre aux Ivoiriens, beaucoup plus prospères que nous, 75 millions de francs pour construire une Case-des-tout-petits à Yamoussoukro. C’est d’un ridicule repoussant. Dans la proche banlieue, les élèves apprennent leurs leçons les pieds plongés dans des eaux infestées de microbes. La générosité présidentielle s’est limitée à la distribution de 18 millions de francs aux sinistrés. 
Mais aucune effronterie n’égale le scandale qui éclabousse à nouveau ce régime, le partage de 20 milliards tirés de la vente de la licence de Sudatel. A chaque fois, Abdoulaye Wade et son entourage ont volé et couvert leur forfait de mensonges. Le président de la République avait, à la surprise générale, fait venir son conseiller Thierno Ousmane Sy en Conseil des ministres, pour le féliciter de cette vente. J’avais soutenu ici-même que 20 milliards avaient été volés et déposés dans un compte au Qatar. Quand il s’en est expliqué, Abdoulaye Wade a déclaré qu'il ne restait de cette vente que 80 milliards, la différence provenant de la fluctuation du dollar américain. Ce qui était un mensonge grossier. L’Inspection générale d’Etat s’était elle-même étonnée de cette « perte » de change. Deux ans après, la pugnacité de mes amis de La Gazette de Dakar a payé. Les 20 milliards ont bien été partagés entre l’entourage d’Abdoulaye Wade et d’obscurs affairistes américains par différents virements bancaires. Même quand ils volent, ces gougnafiers ne font preuve d’aucune intelligence. 
Mais un silence, après un tel forfait, serait une posture trop commode. Ce sont Thierno Ousmane Sy et Karim Wade qui ont mené ces transactions. C’est à eux de nous éclairer sur cette documentation accablante. Karim Wade exigeait un débat sur les conditions d’attribution de la licence de Sentel, qu’il commence donc par s’expliquer sur ce qui s’est passé entre Dubaï et Franckfort, ces transferts de fonds immenses révélés au grand jour. Au lieu de se battre pour un débat sur une vente vieille de douze ans, il faudrait s’expliquer sur les 100 milliards de Sudatel. 
Le premier responsable de tout ce désordre est sans doute Abdoulaye Wade. Personne n’aurait pu s’autoriser une telle impunité sans son consentement.  Un cinquième du montant de la vente de la licence de Sudatel est allé dans les poches de quelques individus, et Abdoulaye Wade garde les deux mâchoires bien en place. C’est qu’il est lui-même l’instigateur de ces pratiques délinquantes. Quand l’affaire de la rénovation de l’avion présidentiel a éclaté à la face du monde entier, il s’était lui-même chargé de mentir aux sénégalais, en déclarant que l’opération avait été financée par « un ami ». C’était une différence de 13 milliards qui sont allés quelque part, dans des comptes ouverts à Londres au nom de membres de sa famille. Les 7 milliards de Taïwan ont été détournés de la même manière, encore offerts par un « ami » qu’il ne cite jamais. Même chose avec la mallette de devises offerte à Segura. Le président de la République s’est défaussé sans honte sur son aide-de-camp. Les mêmes mensonges ont accompagné l’aliénation des terres de l’aéroport pour la construction de son monument de la renaissance. Nous aurions pu y ajouter les chantiers faramineux de l’Anoci, la location du Msc Musica à 8 milliards, alors que son coût réel était de 2 milliards. Avec un tel record, il se permet de donner des leçons à Youssou Ndour et à Bara Tall.
Il m’a fallu toute la préparation psychologique nécessaire pour affronter ces chiffres, mais les bras m’en tombent. Abdoulaye Wade n’a pas la moindre vergogne. On n’entend plus désormais que le bruit des casseroles qu’il traîne, même s’il s’en trouve de très zélés pour rendre leurs voix audibles : tous ceux qui savent qu’en tombant, il les fera tomber. Les responsables du Pds sont eux-mêmes pris de court par la vitesse des scandales et se gardent maintenant de se faire les avocats du diable. 
Il devient de plus en plus évident que pour comprendre la nature de ce régime, il faudrait renoncer à la science politique pure pour recourir à la psychologie et à la criminologie. Un homme très au fait des pratiques délinquantes de ces voyous se demandait à haute voix s’ils arrêteront un jour. C’est exactement comme si le fait de prendre avait fini par créer chez eux un phénomène d’accoutumance. Tous les grands chantiers de l’Etat sont le prétexte à des détournements compulsifs. Les réserves foncières de l’Etat, les deniers des contribuables, les libertés individuelles : est à prendre tout ce qui peut être pris. 
On ne sait pas de quoi tout ceci est le nom. J’ai parcouru des milliers de documents, lu des centaines d’ouvrages sur les régimes les plus odieux de cette planète, mais ce qui s’est passé en dix ans au Sénégal n’a pas son précédent. L’on a découvert, à la chute de Jean Bedel Bokassa, que les médias occidentaux avaient quelque peu allongé la liste de ses ignominies, pour rendre l’ancien empereur plus détestable. Mais Abdoulaye Wade dépasse toutes les estimations. Nous avons été parfois durs avec l’opposition, mais il n’est facile de traiter avec un homme qui a si peu de scrupule. Au point que nous devons finalement remercier le bon Dieu de l’avoir fait président à cet âge tardif. Personne ne peut savoir quel sort s’abattrait sur nous, si nous l’avions eu à la fleur de l’âge. Du « un pour tous et tous pour un » qui nous rendait solidaires, nous sommes passés au « chacun pour soi Dieu pour tous ». Or, si nous voulons construire une société plus juste, nous devons renoncer à notre indifférence et prendre le problème de chacun pour le problème de tous. Doudou Diadhiou ne serait pas mort.

SJD



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