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[ Contribution ] Benno Siggil Sénégal : de la contestation à la proposition

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[ Contribution ] Benno Siggil Sénégal : de la contestation à la proposition

Les élections municipales du 22 mars 2009 ont rappelé aux bons souvenirs de tous la vitalité des institutions démocratiques sénégalaises. Fatigués d’un personnel politique trop confortablement installé au pouvoir autour de la personne du président Wade, les électeurs ont sanctionné l’immobilisme, l’arrogance, la rapacité de leurs édiles locaux, et accessoirement remis en scelle l’opposition républicaine, victorieuse dans la plupart des villes du pays. Pour une fois, cette dernière se présentait en rangs serrés autour d’une large coalition, Benno Siggil Sénégal (BSS), au personnel politique rajeuni. Suffisant pour ramasser le fruit mûr du mécontentement populaire. Mais peut-être pas assez pour offrir aux Sénégalais ce qu’ils sont en droit d’attendre, à savoir un projet politico-économique alternatif crédible, et défendre sérieusement les chances de l’opposition de gauche aux prochaines échéances électorales, dont l’élection présidentielle de 2012.

La question est donc la suivante : comment la coalition Benno Siggil Sénégal peut-elle passer de la simple contestation à la proposition d’un projet alternatif crédible ? 

La coalition Benno Siggil Sénégal rassemble 35 partis, dont 4 à 5 des plus grands partis de l’opposition, placés pour la plupart à la gauche de l’échiquier politique. On retrouve dans ses rangs le Parti Socialiste et l’Alliance des Forces du Progrès (issue d’une scission du PS), ainsi que de plus petits partis comme le Parti de l’Indépendance et du Travail, l’Alliance Jëf-Jël ou la Ligue démocratique/ Mouvement pour le parti du travail (Ld/Mpt). La plupart des autres formations ont une faible implantation dans le pays, comme le Rassemblement National Démocratique (Rnd), la Fédération démocratique des écologistes du Sénégal (Fdes), ou le Parti Niaxx Jarinu. La coalition BSS compte également dans ses rangs des membres de la société civile. Enfin, elle a accueilli en son sein le nouveau parti de l’ancien Premier ministre Macky Sall, l’Alliance pour la République (APR), qui se revendique toujours libéral.  

Mis à part ce dernier membre, on retrouve donc une certaine cohérence idéologique au sein de la coalition, qui peut servir de base solide à la pérennisation de cette alliance. Car l’expérience des dernières élections montre l’importance cruciale de larges coalitions pour remporter la confiance et le vote des citoyens. La victoire d’Abdoulaye Wade en 2000 s’est ainsi appuyée sur l’émergence d’une large coalition, le Sopi, amenée à dominer le paysage politique pendant 9 ans. A contrario, la division de l’opposition lors des dernières élections présidentielles, en 2007, l’a directement conduit à sa perte : les Sénégalais n’ont pas eu confiance en tous ces chefaillons, souvent autocrates en leur petite église, qui semblaient, aux yeux de l’opinion, plus particulièrement motivés par des désirs de pouvoir personnel que par des aspirations altruistes envers leurs concitoyens. Deuxième leçon, celle des législatives : il ne sert à rien de boycotter des élections, l’opposition ayant plus à perdre dans l’affaire. On peut toujours critiquer la régularité de la tenue d’élections par le pouvoir en place, mais on ne saurait ignorer le point central : l’opposition n’était pas en position de force dans l’opinion publique. Comme tendent à le prouver les élections municipales de mars 2009, les institutions démocratiques sénégalaises fonctionnent toujours relativement bien, et il serait très difficile d’empêcher une majorité clairement exprimée par l’électorat de remporter des élections. De ces enseignements, on peut tirer le constat suivant : pour être crédible et avoir des chances de conquérir le pouvoir, l’opposition de gauche doit affermir son alliance au sein de la coalition BSS. 

La situation économique, sociale et politique du Sénégal étant ce qu’elle est en 2009, c'est-à-dire catastrophique, le but de l’opposition de gauche ne peut seulement se réduire à une stratégie de retour au pouvoir. La formulation d’un projet alternatif pour sortir le Sénégal de l’ornière dans laquelle il se trouve aujourd’hui est donc essentielle, et servira par ailleurs à crédibiliser et à affermir la coalition BSS. Un tel projet devrait s’atteler à deux chantiers particulièrement urgents : rationaliser et consolider les institutions républicaines, particulièrement mises à mal par le président Abdoulaye Wade ; et sortir du prêt-à-penser libéral qui sert de paradigme à la politique économique et sociale des différents gouvernements depuis 9 ans.

Soyons juste : nombre des problèmes institutionnels ne sont pas le fait du seul président Wade. La justice inféodée au pouvoir politique, la corruption de nombre d’agents de l’Etat (police, justice, divers fonctionnaires) ne datent pas de l’an 2000. Par contre, la personnalisation à outrance du pouvoir exécutif en la personne du président de la République, seul maître à bord qui distribue comme un roi les prébendes à longueur de journal de 20h, qui détruit puis recrée des institutions étatiques et change les règles du jeu institutionnel au gré d’intérêts stratégiques à court terme, est directement imputable à la personne de Maître Wade. Un Etat moderne et efficace doit tourner le dos à ces pratiques. Une formation politique collégiale, qui ne dépend pas d’un seul leader providentiel, est certainement mieux à même de tourner le dos à ce passé. Les Assises nationales, qui se sont saisies de cette problématique, doivent rendre prochainement leurs conclusions à ce sujet : la coalition BSS devra en faire un élément central de son programme.  

Le second volet d’un projet alternatif de gauche pour le Sénégal devrait s’atteler à sortir du prêt-à-penser libéral qui définit la politique du PDS. Cette pensée facile, tout droit sorti de la doxa néo-libérale, reste obnubilée par le taux de croissance annuel du PNB (qui a oscillé entre 2% et 6% sur les cinq dernières années), par les facilités offertes à l’investissement étranger, et par la rigueur de la gestion budgétaire (point sur lequel le PDS a lamentablement échoué). Or, la croissance est restée faible puisque le Sénégal, en situation de rattrapage économique, aurait besoin d’une croissance à deux chiffres pour que ses effets se fassent réellement sentir. Surtout, elle n’a profité qu’à une portion de la population, l’écrasante majorité voyant une paupérisation de ses conditions de vie. L’objectif d’une politique économique ne doit donc pas tant être les indicateurs macroéconomiques que l’amélioration réelle des conditions de vie des populations. Pour cela, on a bien sûr besoin de croissance, mais pas seulement, et pas n’importe quel genre de croissance économique.

Il faudra aussi trouver une solution au problème qui se pose depuis l’indépendance : comment trouver du travail à toutes ces personnes, dont beaucoup de jeunes, bien, peu ou pas qualifiés. La question est bien entendu complexe, mais certains éléments de réponse peuvent déjà être donnés. Il faut créer une dynamique économique interne au marché sénégalais et sous-régional. Pour cela, il ne faut pas avoir peur de prendre des mesures qui vont à l’encontre du discours économique dominant : prendre des mesures protectionnistes ciblées (et intelligentes, pour ne pas faire augmenter les prix) afin d’avantager la production sénégalaise, notamment dans le domaine agricole ; exiger que les investissements étrangers soient couplés à des participations d’entrepreneurs locaux jusqu’à un certain seuil minimal obligatoire ; développer autant que possible l’accès au crédit ; mettre en place une stratégie agressive sur le marché internationale de l’emploi peu qualifié, pour attirer les délocalisations ; réhabiliter l’investissement public dans des secteurs d’intérêt général, avec des impératifs d’efficience économique.

La gauche peut, et doit, offrir aux électeurs un projet économique alternatif crédible, à même de répondre au défi du développement économique et social, en se basant sur ses propres valeurs. Le meilleur moyen de porter un tel projet semble aujourd’hui s’incarner au sein de la coalition Benno Siggil Sénégal. Les membres de cette coalition se doivent d’être conscients du défi historique qui s’offre à eux et prendre les mesures stratégiques et tactiques en conséquence.  

 Emmanuel Leroueil, www.terangaweb.com



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