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[ Contribution ] COMMENT RENDRE AUX QUARTIERS DE LA SICAP LEUR LUSTRE D’ANTAN ?

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[ Contribution ] COMMENT RENDRE AUX QUARTIERS DE LA SICAP LEUR LUSTRE D’ANTAN ?

Au lendemain de l’indépendance, la Société Immobilière du Cap-vert (SICAP) crée un ensemble de quartiers d’habitat social spécifique. Ces quartiers tels que : Liberté, Dieuppeul, Amitié sont dotés d’infrastructures paysagères  et d’aires de jeux assez performantes. Le Clergé  implanté  dans la zone, y construit des équipements scolaires et sanitaires de grande qualité. Des cap-verdiens, béninois et bissau-guinéens ont vite investis ces cités où  les familles sénégalaises qui les avaient délaissées au départ, les rejoignirent progressivement. Ce brassage, ethnique, culturel et religieux inédit a-t-il alors favorisé l’éclosion de cet idéal qu’on tenterait de nommer: esprit sicapois? Nous essayerons non seulement de comprendre les mécanismes qui ont présidé à la formation de cet esprit sicapois, mais également de décrire ses manifestations, afin de savoir en quoi, il  a valeur de symbole ou d’exemple pour les générations futures. Par ailleurs, le cadre de ce creuset africain se dégradant considérablement, comment alors les habitants peuvent-ils procéder, pour restituer à leurs quartiers, leur lustre d’antan?

Jadis, le bâti sicapois était  marqué  par la variété de ses maisons et de par l’agencement de ses rues. Dans ces ensembles, l’environnement et les équipements étaient divers et fonctionnels. L’espace privé n’étant pas détaché du dehors, les échanges intercommunautaires ont pu ainsi s’opérer et favoriser le partage des joies mais aussi des peines entre habitatnts. Ce cadre idyllique d’existence, a incontestablement été propice à l’émergence de cet idéal, dont la confiance et le  respect mutuel entre habitants, semblent avoir été  la  clé de voûte.

Cet idéal sicapois existe bien ailleurs nous rétorquerait-on ! Certainement, mais à ceci prés, que l’idéal sicapois  est  bien autre chose que la Médina des origines chantée par Youssou Ndour ou la fierté pikinoise clamée par Pape Diouf. Cet esprit s’est construit depuis l’enfance,  à travers les réalités vécues des équipées vers la zone sécurisée de l’aéroport, de la découverte de ses singes et  de ses lièvres. Cet esprit se fonde aussi dans la quête des élastiques de parachutes servant aux jeunes, à fabriquer leurs lance-pierres pour la chasse aux tourterelles et aux mbeuth à Tally-Kanda aux odeurs âcres d’ordures enflammées.

Cet esprit sicapois trouve aussi son origine dans la cueillette  de «ndiandame-golo» et de «cidem», mais également dans la recherche de «madde» dans la poudrière  avec ses pythons tapis dans la  végétation. Il se situe également dans les rieuses fuites  des enfants quand les cultivateurs -dont ils maraudaient les champs de maïs et d’arachides- les  poursuivaient. Tous ces souvenirs sont encore présents dans tous les esprits.

Le concept de vie sicapoise trouve son inspiration dans la brume marine, qui parfume encore les quartiers. Par ailleurs, si la recherche des oursins, des« cœurs » et des Yaboys pour  les grillades ont favorisé l’esprit collectif des jeunes, il est certain que leurs  folles baignades à la plage et à la «piscine» Mermoz, où l’unique serviette a séché les corps mouillés, où l’unique natte a accueilli des derrières trempés, où  l’unique gourde  a  étanché toutes les soifs,  tout cela a  non seulement forgé leur esprit de corps et de partage, mais aussi scellé leur  destin, à tel point que les  jeunes sicapois se soudent spontanément où qu’ils se  trouvent.

 Les endroits  paradisiaques du littoral ont été d’incontestables exécutoires, et de lieux d’élaboration pour les enfants et les adolescents  des sicap.  Le sont-ils encore aujourd’hui? A présent, l’urbanisation empêche  tant d’occasions  aux jeunes de se confronter à  leur milieu naturel. C’est ainsi, autant d’opportunités d’expérimentations et d’apprentissages qui leur sont ôtés. Cette urbanisation incontrôlée et effrénée  du littoral consacre la perte irrémédiable   de la flore et de la faune de ces  endroits, où  l’activité agricole a disparu. Graviers de chantiers, tas d’ordures, la statue immonde, hôtels et maisons de luxe, obstruent désormais l’horizon et font obstacle au droit inaliénable à chaque citoyen de ce pays, d’accéder  au littoral .


L’idéal de vie sicapois s’est aussi édifié à  l’intérieur des quartiers où les grandes avenues arborées étaient autrefois  parsemées de  bancs publics. L’édification  de l’esprit sicapois s’est opérée à côté des étals jadis propres des marchands de fruits et dans  les  squares fleuris où les anciens  disputaient belotes et parties de dames. Il s’est également construit dans ces lieux de socialisation qu’ont étés les jardins publics où avant: toboggans, balançoires, cages à poules, enchantaient  les enfants. Les tea-party des ados et les joyeuses discussions des femmes installées sous les acacias, animaient ces jardins. Aujourd’hui, ces anciens édens, sont méconnaissables. En effet, quand jardins publics et squares ont été transformés en parkings privés et en lieux de vente de voitures d’occasions, cantines et  tables  quant à elles,  sèment leurs immondices à tout vent. Les ateliers de mécaniques et  les stations de charrettes imposent impunément à l’espace public, salissures et mauvaises odeurs, faisant d’endroit comme les alentours du stade Demba Diop, de vastes marchés. La croissance démographique n’explique pas seulement cette situation, il y a en effet, les actions individuelles, l’immobilisme des autorités, mais aussi le manque d’information des habitants sur les enjeux d’un environnement préservé. Aussi, si ces actes de dégradations sont majoritairement le fait d’individus extérieurs ou récemment installés aux quartiers, il n’en demeurent pas moins, que les graviers de chantiers achevés depuis belle lurette et les tas de sables de ceux qui débutent, nuisent à la propreté des quartiers. En plus de gêner  la circulation, ces dépôts incitent à l’accumulation d’ordures de toutes sortes. Par ailleurs, si la ruralisation de ces cités, est  désormais une réalité, l’insécurité et les cambriolages nocturnes sont de plus en plus récurrents.

La construction de cet idéal sicapois se trouve également dans les fêtes religieuses comme Noël ou  Tabaski, indistinctement célébrées par presque toutes les familles sicapoises qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes. Musulmans et chrétiens s’invitent mutuellement.  Les lendemains de Noël, enfants chrétiens et musulmans se présentent leurs cadeaux respectifs et jouent  ensemble. Beaucoup plus que tout autre endroit dans notre pays- les mariages entre membres de confessions différentes sont courant dans la sicap.

Par ailleurs, nems asiatiques, chawarmas libanais, katioupa cap-verdien, abblo béninois ou les  accara togolais de l’avenue Bourguiba,  ont enrichis pas mal de palais de sicapois. Ne sauraient être en reste les nguentés musulmans et les communions des catholiques, mais surtout les coladéra où Jean louis Agboton régalait  un public initié au founana  cap-verdien, au soukous camerounais et au collé-serré antillais. Aujourd’hui, certains «cols» sont organisés de manière anarchique. Sources de tapages nocturnes, certains  répondent davantage à des raisons pécuniaires individuelles, portant un coup sévère à l’esprit initial de regroupement convivial. Durant ces fêtes, le respect mutuel jouant, si les interdits religieux des uns, ne sont pas des obstacles à la liberté des autres, c’est parce que jeunes chrétiens et jeunes  musulmans sicapois au sein de leurs  établissements communs, ont été formés à la connaissance -et donc au final- au respect de la religion de l’autre. Dans ces établissements des savoirs intellectuels n’y sont pas seulement dispensés, on en ressort aussi avec l’acquisition de la vertu,  du savoir-vivre, mais surtout du savoir-être. Les œuvres sociales catholiques aident discrètement les familles en difficulté. Les consultations et les soins médicaux sont la plus part du temps gratuits. Nous leur témoignons toute notre reconnaissance et  condamnons  les attaques gratuites dont l’église, un temps, a été  l’objet.

Les quartiers de la sicap sont également de hauts lieux de productions intellectuelles, d’émulations sportives et de créations  artistiques. Quand la famille Diop Blondin  donne de brillants intellectuels; au niveau musical les familles Cabral, Konaté, Basse, mais surtout  Faye, ont  produit les musiciens les plus talentueux de notre pays. Au niveau sportif, on trouve par exemple : les familles Ndaw, Coréa ou Koto au football ; Preira et Touré au basket-ball et  Damado à l’athlétisme.

Nous le voyons donc, beaucoup de facteurs entrent en définitive dans la construction de cet idéal sicapois, cependant  les habitants de la sicap ne pouvant se  satisfaire de la dégradation progressive de leur cadre de vie, comment peuvent-ils alors contribuer à rendre à leurs quartiers, leur lustre d’antan ?  Faisons alors, les constats et propositions suivants :

1-La force des sicap ? C’est le nombre élevé de ses ressortissants. Il s’agit dés lors, d’organiser un rendez-vous regroupant des sicapois établis à l’étranger  et  ceux restés aux pays. Comment rendre compatible leurs visions ? L’esprit sicap peut y participer. La mutualisation des savoirs et des compétences doivent être la règle. Ni « sachants » ou «  ignorants »  des réalités des quartiers, nous devons désormais certes, être des « apprenants », mais surtout être des acteurs déterminés. Ainsi, chacun dans le domaine qui est le sien, peut mettre à contribution son expertise et ses expériences. L’objectif de régler les problèmes énumérés ci-dessus doit être l’unique crédo. Aucun intérêt particulier ou dessein  inavoué, ne devra se  superposer  à l’intérêt collectif.

2-Il faudra dépasser le cycle vicieux des manifestations sportives et culturelles saisonnières mais surtout occupationnelles des nawétanes, surmonter les « compétitions stériles du sicapois de l’étranger qui envoie le plus de matériels sportifs», pour ne privilégier que les projets à long terme, à visée socio-éducative, voire économique. Créer une maison de quartier, pour l’aide et le soutien scolaire, mettre en place des activités  pour les jeunes filles déscolarisées; encourager le don de jouets d’éveil pour les jeunes enfants et surtout l’envoi de manuels  didactiques scientifiques pour les plus grands et les étudiants; renforcer la fourniture en  médicaments des structures de santé.

3-Les autorités municipales, aidées des habitants doivent faire déguerpir des espaces publics tous les occupants illégaux, sans exception. L’objectif prioritaire doit être leur réinvestissement, leur réhabilitation, car c’est dans des  lieux comme les jardins et les squares publics que les enfants doivent s’adonner en toute sécurité à des loisirs sains et éducatifs, encadrés si possible par des professionnels ou par leurs parents. L’autorité administrative, doit désormais envisager d’autres moyens d’assurer son budget que la dilapidation de son espace public.

4-Les patrouilles du service d’hygiène municipal doivent avant tout sensibiliser mais  aussi sanctionner les auteurs d’actes de dégradations. .

5-La question de la sécurité étant une cause collective, les habitants des quartiers ne doivent cependant pas se substituer à la police, dont il revient d’assurer la mission régalienne. Des partenariats doivent alors être envisagés afin d’inciter certains jeunes inactifs à  rompre avec le désœuvrement et d’être des acteurs dans la vie de leur cité. Par exemple, en munissant certains jeunes volontaires  de talkie-walkies et de puissantes lampes d’éclairage, puis en les disposant sur les axes stratégiques des quartiers, cette action  dissuasive  peut non seulement contribuer à l’amélioration de la sécurité dans les quartiers, mais également permettre à  ces jeunes de s’initier aux métiers de sécurité afin  de pouvoir ultérieurement prétendre à des postes auprès des sociétés de gardiennage.

Pour conclure, le fait d’une part, de vivre dans un environnement naturel préservé, avec des infrastructures scolaires et sanitaires de qualité, favorables aux  apprentissage et aux expérimentations ; et d’autre part, le sentiment commun d’acceptation et d’appartenance des habitants de la sicap, leur égal dignité et de respect  entre les sicapois; et enfin l’interaction de ces  éléments complexes  avec les expériences issues de l’enfance, n’ont pu que créer cette sorte de féconde  monoculture : l’esprit sicapois. Si ce texte est susceptible d’être interprété comme le rappel d’un passé idyllique, « l’esprit sicap » quant à lui, ne peut être  relégué à  une fierté exacerbée, car il est un exemple du  vivre ensemble, auquel les générations actuelles doivent s’inspirer. En s’appropriant les aspects positifs de ce passé récent, il s’agira pour les jeunes de notre pays de tenter de recréer le plus rapidement possible les conditions d’un cadre de vie acceptable. Dés lors, la mobilisation et l’organisation pour atteindre ces objectifs sont  les seules alternatives qui s’offrent aux sicapois. Dans cette perspective, les  jeunes doivent être en première ligne. Ils peuvent changer  l’histoire. Ils le doivent.


Pape Pûr Méra Diop
Dit  AK 47



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