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Contribution : EMIGRATION CLANDESTINE - Des morts, des disparus, des centaines de familles en deuil… : La République en fête

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Contribution : EMIGRATION CLANDESTINE - Des morts, des disparus, des centaines de familles en deuil… : La République en fête

«Sur la route des Iles Canaries, 1500 clandestins sont morts par noyade», cette terrible information a barré mercredi dernier la Une d’un quotidien. Et comme pour reprendre la terrible question que tout le monde ose à peine se poser, le journal ajoute : «Combien de Sénégalais parmi les morts ?»

Oui, les Sénégalais ont besoin de savoir. A l’image de cette dame d’une cinquantaine d’années en quête d’informations concernant son fils aîné Modou. Ce brave garçon de 26 ans s’est engagé dans la traversée fort périlleuse sans demander l’avis de sa chère maman. Modou a épousé sa cousine, il y a tout juste 18 mois. II est père d’une innocente petite fille. Depuis son mariage, le seul objectif de ce garçon, jardinier de formation, demeure de trouver les moyens d’entretenir un tant soit peu sa famille. Chaque jour est un éternel recommencement dans sa quête pour la survie de ses proches. Et ce qui devait arriver, arriva.

Face à l’immensité du grand bleu, mère Sokeyna fixe le vide de ses yeux rougis par les pleurs et les nuits d’insomnie. Elle veut tout juste savoir : «Pourquoi mon fils a choisi cette voie ? Je sais que son obsession était de me sortir de ce quotidien à la limite de la dignité humaine. Modou supportait très mal ce tableau noir qui s’offrait à lui presque chaque nuit : ses frères et sœurs sont entassés sur un matelas à même le sol, dorment repliés sur eux-mêmes comme pour résister à la faim qui leur tenaille le ventre. Mais cette aventure était-elle la meilleure voie pour nous sortir de cette situation ? Son défunt père qui était très proche de lui aurait peut-être pu percevoir cette tentation et dissuader Modou d’aller vers l’inconnu.»

Modou avait-il vraiment le choix ? Le triste spectacle de la misère qui frappe sa famille persistant, les pires questions trottaient sûrement dans sa tête. «Fallait-il continuer à survivre ainsi sans rien tenter ? Fallait-il résister sans réagir ?» La seule réponse qui s’imposait terriblement à lui, Modou l’a prise, dans le secret de la véranda qui lui servait de chambre à coucher. Les pirogues vers les Iles Canaries sont la voie du salut. Modou n’a pas les moyens de payer pour faire partie de ces «boat people» d’un nouveau genre, mais il a une idée tenace. Il en parle à son jeune cousin et confident en le priant de garder le secret, et de n’avertir sa maman et son épouse qu’au bout de 48 heures. 48 heures sont très longues pour une maman à la recherche de son enfant, mais c’est le temps qu’il faut à Modou pour trouver son «visa» pour les «pirogues du désespoir».

Il est parti. Dix longs jours sont passés et aucun signe de vie de Modou. Sa maman le pleure déjà, sa jeune épouse a un mauvais pressentiment. Et depuis le départ de son papa, la fille de Modou ne dort pas la nuit. Comme une complainte, les pleurs continus de la fille brisent la nuit. La chaleur de son père lui fait-elle cruellement défaut, ou est-ce que ces pleurs sont annonciateurs de la terrible nouvelle à laquelle la famille ne veut pas penser.

Modou est parti conscient du risque qu’il prenait. Mais comme le dit son épouse, s’il y avait une seule chance sur 1 000 pour arriver à bon port, il la tenterait. «Vous ne pouvez imaginer jusqu’où le désespoir peut mener un homme qui veut tout tenter pour garder un semblant de dignité. Chaque fois qu’il revenait à la maison sans un sou après des heures d’errance à la recherche du plus petit boulot, mon mari répétait le même refrain : «Ce n’est pas une vie. Si je dois mourir en essayant de trouver le salut pour mes proches, je suis prêt à donner ma vie.»

Entre deux sanglots, Sokeyna lance cette phrase terrible. «S’il gît aujourd’hui au fond de l’eau, loin de sa maman qu’il chérissait tant, de ses frères et sœurs, de sa fille et de son épouse, Modou peut reposer en paix. Il ne se sera pas suicidé, il s’est sacrifié pour nous. Je suis convaincue d’une chose, grâce à Allah Le Tout-Puissant son sacrifice ne sera pas vain.» La tragédie de cette famille est partagée aujourd’hui par des milliers d’autres Sénégalais. Quelqu’un disait que : «Les quartiers et certains villages de pêcheurs du Sénégal sont envahis par des tentes, signes de funérailles de naufragés des pirogues du désespoir.» Quelle pire preuve de l’ampleur de la catastrophe ?

Une vieille dame disait que ce qui se passe depuis quelques semaines lui rappelle le douloureux souvenir du naufrage du bateau Le Joola. Selon elle : «Comme une malédiction, la mer continue de prendre par centaines les bras valides du Sénégal.»

La tristesse de cette vieille femme est doublée d’une colère qu’elle a du mal à dissimuler. «Est-il normal que la République fasse ripaille à Paris alors que ces jeunes, qui sont la sève nourricière de la fameuse Alternance, meurent ou disparaissent par centaines ? Une ou deux médailles, quel que soit leur symbolisme, valent-elles la vie de centaines de jeunes Sénégalais ? Toute affaire cessante, le Président de République du Sénégal et tous ses ministres devaient revenir au pays pour prendre cette dramatique affaire à bras-le-corps et exprimer officiellement leur soutien aux familles touchées», tel est le cri du cœur d’une Sénégalaise qui partage le deuil de ces familles. Elle partage la douleur de ses voisins qui sont sans nouvelle d’un des leurs, parti dans ces «pirogues du désespoir» sans crier gare. Elle pleure parce qu’elle sait que d’autres jeunes, en proie au chômage, vont tenter d’autres aventures périlleuses à la recherche de l’illusion d’un ailleurs meilleur. Elle pleure parce que dit-elle : «La République festoie et refuse d’ouvrir les yeux sur ces drames qui se nouent dans le silence de la mer.»

M. le Premier ministre, vous l’avez dit : vous avez toujours la confiance du Président. C’est tout à votre honneur. Mais avez-vous la confiance de ces familles endeuillées que votre appel à la mobilisation pour accueillir le président de la République perturbe au plus haut point ? M. Sall, ne pensez-vous pas qu’il aurait été plus sage, plus raisonnable de préparer, pour le président de la République, des visites des zones les plus touchées par le phénomène des départs risqués vers les Iles Canaries ? Vous avez toujours la confiance du Président, méritez sa confiance en lui donnant des idées à même de le rapprocher du peuple.

M. le président de l’Assemblée nationale et maire de Dakar, comme promis, vous avez dégagé les moyens pour louer des centaines de «cars rapides» et drainer le plus possible de militants à l’accueil du maître. Chapeau pour la mobilisation, mais une seule question avec votre permission Monsieur le maire : avez-vous pensé à ces Sénégalais qui, faute de moyens de transport, n’ont pu partager le deuil des familles qui ont perdu un proche dans la course à «l’eldorado» espagnol ?

 



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