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Contribution : Les béquilles d’Abdoulaye Wade

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Contribution : Les béquilles d’Abdoulaye Wade

Qu’est-ce qui se passe ou ne se passe pas dans ce pays pour que l’on prête le flanc, à chaque fois, au chef de l’Etat sénégalais ? Il peut se permettre de dire, de médire, de se contredire et de se dédire sans sourciller. Il peut se permettre d’infantiliser le pouvoir législatif, de se gausser de la presse, de se substituer au pouvoir judiciaire quand ça le chante ! Certainement des individualités ont contesté, des groupes se sont ligués, mais toujours est-il que cela ne donne rien. Mais, quand un individu, dans un pays, se permet de faire la pluie et le beau temps, devrait-on récriminer le peuple ou cet individu ? Ou s’agit-il d’autre chose ?

Il a vraiment les coudées franches, non pas qu’il est le meilleur ou le plus fort, mais parce que les autres, tous les autres le lui permettent parce qu’il fait leurs affaires, parce qu’ils sont à sa merci, parce qu’ils l’utilisent comme une marionnette, parce qu’ils ont peur d’aller en prison, parce qu’ils croient en lui, parce qu’il y a plusieurs parce que... Mais il nous semble qu’il y a d’autres explications plus objectives que ces dernières et qui confèrent à ce personnage toute cette faculté de pouvoir d’une part se jouer des autres, et d’autre part de se maintenir au sommet de l’Etat sans être réellement inquiété. Et quelles en sont ces explications objectives ?

Toutefois, avant tout développement, il semble important de souligner que même si on aurait touché objectivement du doigt ce qui se passe ou ce qui ne se passe pas, on n’aurait cependant pas trouvé les voies et moyens de contrecarrer cette faculté. Pour ainsi dire que c’est congénital au système démocratique. Et puisque ce système a ses failles, on peut s’y engouffrer, sans trop de peine, et en tirer tout le bénéfice escompté, pour peu que l’on soit dénué de toute stature d’homme d’Etat ou pour peu que l’on croit posséder et connaître exclusivement la vérité et de vouloir commander en son nom.

Quelles en sont alors ces failles du système démocratique ? Il nous semble en avoir identifié trois fondamentalement sur lesquels Abdoulaye Wade s’appuie pour se pérenniser au pouvoir, et ce, en toute légalité. D’ailleurs, c’est ce qui est rageant ! La première des failles, c’est ce que l’on pourrait appeler ‘l’Etat d’exception’. Dans les Etats dits de droit comme le nôtre, l’un des prétextes sur lesquels le pouvoir peut s’appuyer, s’agripper à tout instant ou à l’occasion, c’est quand ce pouvoir convoque un ‘Etat d’exception’ pour ainsi se donner la possibilité d’enfreindre la loi, la constitution, le droit. Ce que ce genre de situation repose fondamentalement et objectivement, ce sont les rapports entre Droit et Pouvoir. En France, il s’appelait ‘Etat de siège’, en Allemagne ‘Etat d’urgence’, ou ‘loi martiale’ en Angleterre ; et au Sénégal ‘Etat d’urgence’, ‘Etat de sièg ’ ou tout ce qu’on veut. Mais ‘Etat d’exception’ semble être la qualification la plus objective dans tous les cas de figure. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’une disposition qui autorise le souverain, le prince, un président, un chef d’Etat, à prendre des mesures exceptionnelles, parce qu’il se passerait une situation exceptionnelle. Donc, avec ‘l’Etat d’exception’, un Etat (en l’occurrence son chef) peut enfreindre le droit et prendre des mesures qui ne risquent point d’être remises en cause. Elles ne risquent point d’être remises en cause parce que les voies et moyens pour le faire semblent être obstrués par une certaine situation exceptionnelle. Pour reprendre ‘l’Etat d’exception’ qui nous concernait et qui nous était servi alors (les inondations de 2005), quels recours auraient pu avoir ceux qui étaient contre ces mesures ‘d’urgence’ préconisées par le chef de l’Etat, et dont la plus spectaculaire fut le couplage-découplage des élections ? Aucun argument aussi valable, sensé soit-il, ne pouvait contrer ce projet parce que ceux qui voudraient aller à l’encontre de celui-ci, risquaient d’avoir sur leurs dos les sinistrés ; et même à défaut de ça, ils risquaient de s’épuiser en bavardages et en recours puisque le souverain Ablaye s’abriterait derrière cet ‘Etat d’exception’ pour soutenir que ce ne sont que des mesures d’exception ! Qui pourrait dire le contraire ?

Le chef de l’Etat n’avait alors même pas besoin de prendre exemple sur la mère patrie pour faire patauger dans la mare les opposants à ce dessein politique. Avec cet ‘Etat d’exception’ Ablaye Wade pouvait même passer outre l’avis des parlementaires au cas où, par extraordinaire, ces derniers auraient voulu le mener en eaux troubles.

On se souviendra facilement aussi qu’à la suite des événements du 11 septembre (‘Etat d’exception donc !), les Usa avec Bush en tête n’en avaient eu que cure de l’avis de l’Organisation des Nations Unies et de toutes les règles de droit qu’ils ont contribué à asseoir. Il y a eu par la suite une série de violations et de louvoiements avec toutes les législations nationales et internationales. Ils ont attaqué l’Afghanistan en foulant au pied le droit international, ouvert un camp de détention à Guantanamo où sont détenues encore sans procès des personnes soupçonnées d’être liées à l’organisation terroriste Al Qaeda. Au nom de quoi, au nom de qui ? De rien, sauf de la situation ‘d’Etat d’exception’ !

L’’Etat d’exception’ encore une fois est la brèche par laquelle s’engouffrent les eaux du pouvoir dans les Etats de droit pour pouvoir noyer précisément le droit ou toute opposition fondée et sensée ou pour tout simplement outrepasser ou se jouer de ce droit qui ne l’arrange pas à certains moments. L’’Etat d’exception’ à cause (ou grâce c’est selon) d’inondations, d’attentats, procure au pouvoir des droits exorbitants. Et quand un seul homme veut incarner le pouvoir comme c’est le cas ici au Sénégal, cet homme-là pourrait en profiter pour faire à sa guise.

On a vu, ailleurs en Afrique, des chefs d’Etat fomenter des coups d’Etat fantoches, donc des soi-disant ‘Etat d’exception’, pour éliminer certains de leurs opposants. Ainsi, une question demeure incontournable ! A partir de quel instant pourrait-on dire d’une situation qu’elle est ‘exceptionnelle’, et surtout qui a autorité pour le dire ? Le problème principal donc est les rapports entre Droit et Pouvoir. Mais, puisque l’’Etat d’exception’ peut permettre de louvoyer ou de se passer du droit, et puisque des ‘Etats d’exception’, il y en aura de temps à autre et qu’on pourrait en créer quand cela semble nécessaire; l’équation fondamentale, ici ou ailleurs, consiste à voir comment arriver à faire que celui qui décide d’un ‘Etat d’exception’ ne soit pas seulement comme c’est le cas ici, le chef de l’Etat, ou toute autre autorité que le peuple ? En effet, comme le démontre Carl Schmitt, ’est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle’. Mais, si ce souverain peut se le permettre en toutes circonstances, on parlera alors de diversion.

Voilà en toute beauté la deuxième faille d’un système démocratique, à savoir les multiples mécanismes de diversion. La diversion, l’arme des faibles, mais assurément une arme efficace ! Qui ne se souvient pas des tergiversations, des jeux de dupe, des diversions préélectorales ? Auraient-elles lieu, n’auraient-elles pas lieu à la date indiquée constitutionnellement ? Bien inspiré était celui qui pouvait le dire ! Jusqu’au dernier moment, il avait entretenu le flou même s’il était aidé par une opposition sans détermination. En attendant, il se préparait activement. Et le résultat fut spectaculaire !

Cela dit, personne ne peut plus disconvenir que, depuis l’avènement de Wade, l’événement très souvent sensationnel à mort n’a jamais quitté ce pays. Et le feuilleton Wade/Idy est très certainement la diversion la plus totale et la plus durable. Cette ‘affaire’, il n’est pas besoin de s’aventurer à la relater, chaque Sénégalais pourrait en avoir sa propre version, mais il est nécessaire de l’analyser avec beaucoup de précautions :

- beaucoup de précautions pour éviter de mettre de l’événement là où il n’y en aurait peut-être pas, ou là où ce ne serait pas nécessaire,

- beaucoup de précautions, parce que vu la manière avec laquelle les esprits sont inondés d’informations éparses et sensationnelles à travers les radios, les presses écrites, la distance nécessaire pour l’appréhender risque de faire défaut.

Dans tous les cas, depuis l’avènement de Wade, l’événement souvent sensationnel, parfois douloureux, mais toujours captivant est là et n’a jamais quitté ce pays qui commence réellement à crouler sous son poids. Avec la récurrence de ces événements diversions (Idy, couplage-découplage, Karim, parité, remaniements, etc.) ce qui se trouve éclipsé, ce sont les autres problèmes plus brûlants ou des dossiers plus importants. C’est comme si le pouvoir exécutif s’amusait à servir à ce peuple qui, il faut le reconnaître, est très friand de ce genre de choses, des situations qui prêtent à polémiquer, à occuper inutilement les esprits, afin d’éviter l’essentiel. Dans cette ‘affaire’, Wade souffle le chaud et le froid. Tantôt Idy serait fautif, tantôt il n’a rien fait, ce sont les autres qui manigancent tout, clame-t-il et surtout haut et fort. Une chose est sûre dans cette affaire, c’est une monumentale diversion !

Dans presque tous les pays du monde, s’il ne s’agit pas de dictatures qui usent de la force pour se maintenir au pouvoir, les démocraties ont toujours utilisé la diversion pour éviter de rendre compte sur des problèmes beaucoup plus importants. On se souviendra qu’en France, avec l’’affaire’ du voile à l’école, le pouvoir a tenu en otage tout un peuple autour d’une question qui a passionné, mais qui était moins importante que celui-là du chômage galopant. Et Luc Ferry avait même eu l’outrecuidance de pousser le bouton en voulant ‘remettre ça’ en essayant d’accrocher avec le problème de la… pilosité !

Ici, au Sénégal, les météorologues que sont les journalistes se laisseraient alors prendre aux caprices climatiques du pouvoir exécutif que Wade seul incarne. C’est à croire que le premier pouvoir et le quatrième sont de connivence ! Et Wade, en véritable ndiombor, ne se priverait pas de cette aubaine. C’est de bonne guerre sans doute de sa part, parce qu’il chercherait à durer au pouvoir, en faisant diversion. Mais le peuple, la nation sénégalaise aurait raté de bonnes occasions de se taire, et de s’attaquer à l’essentiel. L’essentiel étant encore une fois, l’intérêt de la nation.

Voilà, on est vraiment dans des difficultés, l’’Etat d’exception’ et la diversion peuvent se jouer vraiment du Droit et sont généralement au service des gens du Pouvoir. Mais, même si par extraordinaire, le pouvoir est aux mains du peuple, à travers ses représentants, on ne peut toujours pas dire que ces derniers roulent pour cedit peuple. Ils se pourraient qu’ils ne soient là que pour leurs propres intérêts et pour ceux de leur parti.

C’est sans doute ici, la troisième faille des régimes démocratiques, à savoir le pouvoir législatif. En effet, le Parlement, l’Assemblée nationale peut donner l’impression ou même l’expression d’une supercherie immense quand les soi-disant représentants ne font que représenter eux-mêmes et leur propre parti. Si Ablaye Wade se confectionne une majorité confortable, il est sûr alors qu’il pourrait se donner les pleins pouvoirs légalement en s’appuyant sur cette majorité. D’autant plus, comme on le dit souvent, le Pds c’est lui et lui seulement. Aussi serait-il facile de faire passer certaines lois et dispositions qui conforteraient leur pouvoir, son pouvoir. On n’a pas besoin de disserter longtemps pour faire montre de tous les cas de figure possibles. C’est la faille, le principal talon d’Achille des régimes démocratiques. Par extension, on peut penser que dans les régimes démocratiques, la majorité numérique, à l’Assemblée ou ailleurs, qui se manifeste très souvent par le pouvoir de la majorité pour la majorité et par cette majorité, n’est pas toujours synonyme d’une gouvernance juste et équitable. En effet, outre le fait que cette ‘majorité législative’ peut n’être là que pour servir l’exécutif, comme c’est le cas dans la plupart de nos pays, la ‘majorité populaire’ peut aussi errer et n’être la manifestation que d’une tyrannie et d’une absence de clairvoyance. Alors, le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, c’est moins grave que si c’était pire, mais ce n’est jamais une preuve de discernement.

De ce fait, on voit là toute l’inanité qui consiste à faire croire qu’une majorité politique est représentative de la nation. Rien n’est plus faux ! De plus en plus, si on se crée une majorité confortable à l’Assemblée, ce n’est pas toujours pour mieux asseoir ses politiques nationales, mais plutôt pour mieux profiter du pouvoir et mieux conserver ses intérêts. Cela pourrait être une stratégie de manducation au profit de quelques professionnels de la politique.

Voilà les béquilles de Abdoulaye Wade ! Les régimes démocratiques ont leurs failles. A l’envie, on peut s’y engouffrer pour déstabiliser d’éventuels adversaires, louvoyer avec le droit, se pérenniser au pouvoir, etc. Mais, on reconnaîtra que ce sont des failles qu’on colmate difficilement. De ce fait, pour peu que l’on soit dénué de tout scrupule et pour peu que l’on ne soit là que pour ses propres intérêts, on en usera sans retenue. Mais, on reconnaîtra aussi que pour peu que l’on pense avoir raison et détenir la vérité à l’exclusion des autres, on en usera aussi sans merci !

Voilà cependant, en toute beauté, dans tous ces cas de figure, les symptômes ou les manifestations d’un comportement ou d’un régime dictatorial. Parce qu’en vérité, le totalitarisme, l’autoritarisme, le nombrilisme, le chauvinisme et le dogmatisme naissent tous de cette prétention de connaître ou de posséder exclusivement la vérité et de vouloir commander en son nom. Et il pense certainement qu’il a raison parce qu’il aurait de nobles ambitions pour le pays !

Mamadou Moustapha WONE Sociologue

BP : 15812 Dakar-Fann <27>[email protected]

Sénégal



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