Le Sénégal est un pays singulier, une réserve de politiciens, un précipité de toutes les modes et contradictions humaines. Où parler de la politique relève de la fiction.
Le Sénégal est un endroit de ce monde où on arrive à provoquer des débats corneculesques sur des questions qui, elles, sont loin de l'être. Un espace de la planète où on adore lancer de petits conflits tournant à la guerre mémorielle des paroles par refus d'aborder les problèmes à temps et en urgence. Le lieu où on préfère l'étripage au dialogue, l'enlisement à la réforme, les paroles aux gestes, l'hypocrisie à la franchise des convictions, l'abandon et l'insouciance à la recherche des solutions à nos soucis quotidiens. Pourtant le Sénégal est un pays riche en couleurs (vert, jaune, rouge), mais seule la couleur de l'argent reste et demeure la plus visible.
L'année qui vient de s'achever ne compte pas vraiment parmi les meilleurs crus pour les sénégalais. Et encore moins pour le régime libéral, qui a dû essuyer coup sur coup une fronde parlementaire, des scandales politico-financiers, des conflits sociaux tendus et une grave épisode d'inondations venue encore s'ajouter à l'atmosphère de déprime dans laquelle se languit le pays. Rien n'indique à priori que 2006 sera meilleure que les 365 jours l'ayant précédé. Car les conditions pour repartir d'un meilleur pied ne seront réunies que si les politiciens cessent de nous leurrer. Qu'ils se mettent autour de la table et que chacun prenne ses responsabilités. La solution est théoriquement simple, mais sa mise en oeuvre est périlleuse pour la popularité du gouvernement. D'où la politique de facilité menée depuis l'indépendance. Encore faut-il accepter de braver, non pas l'opinion publique qui est acquise au principe d'une saine gestion, mais d'innombrables résistances émanant d'hommes nuisibles à notre société et cesser les interminables promesses pour rendre la machine de l'Etat plus performante. Car la persistance de certaines méthodes a deux inconvénients au moins: elle hypothèque notre avenir, puisqu'il faudra bien régler la note, et elle empêche l'Etat d'être au service du peuple. Dans ce jeu dangereux auquel se livrent certains politiques, j'ai bien peur que ce soit là le vrai visage du Sénégal du XXI e siècle: un pays, qui a peur, en manque d'ambition, incapable d'assumer son histoire, et qui se renferme sur lui-même. Heureusement, dés la fin des élections tout le monde reviendra à la raison, puisque les plus ambitieux auront assouvi leur avidité du pouvoir pour quelques années au moins, soit au parlement, soit au Palais. Cependant, il n'y aura pas de plan B, car l'image du Sénégal aujourd'hui, c'est celle de demain. Quel gâchis !
L'éducation nationale n'est pas au mieux de sa forme. La santé traîne le pied. Les Sénégalais peinent à joindre les deux bouts s'ils ne sont pas anxieux face à la situation de l'emploi, de l'habitat social, de la sécurité et des transports. Ce qui n'est pas de manière à populariser l'action gouvernementale, même si le contexte actuel, par sa nature anxiogène, contribue à resserrer les rangs de l'exécutif. Mais voilà qu'avec toute cette situation, les libéraux et allies se livrent à un exercice de déresponsabilisation sur fond de crise latante.
Dans leur détresse, les populations sinistrées ont eu au moins le réconfort de constater l'immense vague de solidarité. Une compassion qui tient sans doute plus pour les Sénégalais à un réflexe de"proximité" envers des compatriotes brutalement piégés par un hivernage que par un souci d'être coupable d'avoir laissé si longtemps des hommes, des femmes et des enfants vivre sur des terres d'eaux. Il faut se rendre a l'évidence que la fatalité n'explique pas tout et ne peut servir d'alibi face à l'absence de volonté politique, d'anticipation, d'organisation. Bref, l'ampleur de ce genre d'ordre naturel, sanitaire ou autre, pouvait être largement limitée si les dirigeants s'en donnaient les moyens et les intentions. Ceux qui ont soutenu le Président Wade dans son idée de coupler les élection y voient une intention louable, bien entendu, dont ils se prennent à rêver qu'elle s'inscrit dans une vision plus globale du destin de notre pays. Cette manie bien de chez nos politiciens de tout faire passer par une loi que chacun s'empresse de nous imposer traduit le niveau d'abaissement de l'institution parlementaire dans une république oû fauter de réellement décider, les politiciens donnent leurs avis sur tout et n'importe quoi par simple souci d'exister. L'intention de départ pouvait ne pas avoir en soi rien de condamnable car il n'est pas interdit en démocratie de défendre des idées et si la loi Ezzan, la mise en accusation de l'ex-Premier ministre et le maintien des députés jusqu'en 2007 n'avaient pas été voté de la même manière.
Ce n'est pas tout: le 31 décembre, le Président de la république décide à travers ses voeux à la nation de faire un bilan, une projection et de lancer un appel à l'opposition. Après avoir de, de go, enrôlé des transhumants, des partis politiques, il propose aux autres de se ranger derrière sa bannière bleue. Maintenant, toute la question est de savoir comment va mettre ces incessantes annonces en musique. L'indispensable suivi sera t-il assuré, avec des piqûres de rappel nécessaires? Ou sommes-nous devant une sorte de mouvement broxnien auquel l'incantation tiendrait lieu de finalité extrême? En 2006 ce ne fût pas le vibrant "happy birthday", mister Président lancé l'année dernière pour célébrer un jour ouvrable l'anniversaire de l'alternance. Non les libéraux ont fait plus sobre, en petits comités, un verre de "bissap" à la main, autour d'un cadeau flattant le goût très sûr du Chef de l' Etat pour les belles paroles qui lui sont servies depuis 2000 loin des réalités quotidiennes du Sénégal. On se demande comment à ce rythme le Parti libéral envisage un renouvellement de bail facile. Dans un pays où on préfère déserter les bureaux pour être en campagne électorale à tout instant, des faits ont aidé à anéantir ce qui apparaissait comme une marque de fabrique: le "SOPI" ou changement.Même si les changement de Premier ministre avaient pour objectif de faire souffler un vent d'air frais, la dynamique alternance de Mars 2000 risque de s'essouffler à l'approche des échéances électorales.
Une reprise en main de notre destin serait de nature a panser bien des plaies et à revigorer quelques plans de carrières. Une économies qui tourne est le gage d'une situation politique apaisée. Et pour que la conjoncture prenne du muscle, il suffit que naisse cette confiance entre l'Etat et le peuple. Que les Sénégalais retrouvent leur fierté nationale, leur union autour de l'essentiel. Qu'ils sortent de la mélancolie et de l'auto-flagellation dans lesquelles le pays se comptait depuis des années. Pour avoir été trop longtemps comprimé sous la chape du silence et de la mauvaise conscience, le débat risque de prendre un tour explosif ce qui nous obligerait presque à l'un des numéros de repentance dont plus personne ne veut dans ce pays. Le ressort cassé, le Président Wade devra assumer jusqu'en 2007. A moins que des mesures fortes, utiles au peuple en plus de promesses réalisables soient annoncées. Cela n'a rien de romantique. Mais ce réalisme nous évitera peut-être de biens plus grandes déconvenues demain.
Mamadou O. WANE
Journaliste-éditorialiste indépendant
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