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De bonnes questions mais sûrement une mauvaise réponse : la médiation pénale.

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De bonnes questions mais sûrement une mauvaise réponse : la médiation pénale.

Dans un récent entretien paru dans le journal Le Quotidien, je parlais de "brouhaha discursif" pour montrer combien la communication sur les enquêtes sur l’enrichissement illicite était marquée par le vacarme et capturée par l'émotion, la passion ou encore l’idéologie. Cet entretien a précédé la proposition de Abdou Latif Coulibaly sur la médiation pénale.


Une proposition qui a depuis ajouté du bruit au bruit. Aujourd'hui, le tintamarre sur les questions juridiques au Sénégal, sans peut-être être aussi tragique, est quasiment aussi intensif et délétère que dans la Côte d'Ivoire post Gbagbo où les expressions de "justice des vainqueurs", de "justice politique" acquièrent saillance et densité dans le débat public. Dans la société ivoirienne où l'on a parlé de "guerre civile", de "charniers", "d'exactions", etc. cela peut se comprendre. Mais dans la situation sénégalaise où le débat est fondamentalement centré sur le recouvrement de biens dits "mal acquis" et la sanction des présumés prévaricateurs, le tollé atteste des errements des pouvoirs publics dans  la communication sur les enquêtes.


La proposition qui avait été avancée par monsieur Abdou Latif Coulibaly, pouvait-elle rencontrer un autre destin que celui de la controverse et du pataquès? Si elle n'a pu avoir l’aval ni du Président de la république, monsieur Macky Sall, ni du premier ministre, Abdou Mbaye, ni de la Garde des sceaux, Aminata Touré,  si a elle suscité un lever de boucliers chez les nombreux acteurs qui l'ont condamnée, c'est parce que cette proposition n'aurait pas été «une sanction réparatrice juste». Cette proposition n'était pas porteuse du récit d'une expérience historique de notre gouvernance qui honorerait le Sénégal et qui ouvrirait sur un avenir d'éthique. Cette proposition aurait été tout simplement  la matérialisation d'une sous justice.


Le rejet quasi unanime qu'elle a rencontré ne veut pas dire qu'il faille évacuer toute tentative de s’interroger sur la manière d’accélérer les procédures pour une récupération rapide de fonds qui auraient été détournés afin qu’ils puissent être rapidement réinjectés dans le circuit de la production et  du développement économique et social. Il est légitime de se questionner sur le type de management des enquêtes qui produirait de la cohésion sociale. Il est tout à fait pertinent de s’interroger sur la complexité de la démarche de traque des biens mal acquis et sur ses conséquences sur la vie économique actuelle. Mais notre compatriote, monsieur Abdou Latif Coulibaly a, me semble-t-il, troqué une mauvaise réponse à des  questions importantes. Sa trouvaille, cela a été dit, sonne comme une prime au braconnage des deniers publics; elle ne peut être accrochée au trophée d’une politique de la rupture. Pis, la cohérence argumentative de notre compatriote déroute les certitudes de nombreux citoyens sénégalais que plusieurs indices, à la lumière du passé professionnel et financier des personnes concernées par les enquêtes, confortent dans leurs convictions qu’il y a eu prévarication des biens publics. Quand l’ex journaliste d’investigation nous dit grosso  modo «qu’il vaut  mieux avoir cela que rien», il installe le doute dans les esprits. Les enquêtes seraient elles dans l’impasse? Sous ce rapport, Monsieur Coulibaly a commis un impair discursif et les personnalités sous investigation se sont engouffrées dans la  brèche. Et cela n'a pas fini de tourner à leur avantage car tout nouveau forcing dans l’accélération des procédures pourrait donner l’impression d’un pouvoir qui cherche à se racheter, à sauver la face.


Tout ceci montre finalement que la communication du pouvoir est prise au piège d’un mot dont les concepteurs n’ont manifestement pas évalué toute la portée sémantique, ni le destin communicationnel : le  mot de "rupture". S'il est facile de s'approprier de ce mot, le temps d'une élection, pour "vendre" une identité différentielle en face du bilan d'un pouvoir sortant, dont il fallait se débarrasser, il peut s'avérer particulièrement épineux, dans le contexte de l’exercice du pouvoir, de lui donner un destin politique immédiat. Contrairement à des mots comme "rénovation", "redressement", "rectification", "réforme", et même "changement", la "rupture" promeut une coupure brutale entre deux états, l’un passé, l'autre actuel. La "rupture" est  l'affectation brutale et immédiate  d’une situation, la fracture d’une chose solide sous l’effet d’une force intense. Ce mot qui pouvait plaire dans le contexte préélectoral en ancrant dans les imaginaires l'idée d'un changement radical et brusque est devenu un «mot trop puissant» pour qualifier  le rythme de progression des choses. Car il faut reconnaître qu’il y a eu des  avancées. Mais pris au piège des pesanteurs culturelles et politiques, pris au piège de la complexité des investigations, pris au piège  des anicroches du droit de la défense, pris au piège du temps -long- de la justice qui n’est pas celui de la politique, pour reprendre le Président Sall, le pouvoir donne l’impression de ne pas livrer assez vite la marchandise. Pour dire qu’en communication politique, les mots ont leur poids, leur aspectualité et leur valeur et qu’à un moment donné du débat politique, ils réclament leur prix.


Le premier ministre, Abdou Mbaye,  vient de déclarer le "débat clos" et de resituer le rôle de l’exécutif et celui du judiciaire.  La question des biens dits mal acquis est devenue un thème structurant des problèmes publics, une "demande sociale" a-t-on dit pour la légitimer, et comme telle, elle a acquis un relief inédit qui en fait un critère important d'évaluation du pouvoir en place, mais non le seul . L'enjeu est dès lors de redéfinir les frontières du possible sans donner l’impression ni d'un ressentiment, ni d’un  renoncement,  ni  d'un arrangement indu.


Professeur Khadiyatoulah Fall, Québec, Canada



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