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[ Contribution ] De la Révolution Rurale ! : Est-ce l’assaut final ou l’ultime combat ?

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[ Contribution ] De la Révolution Rurale ! : Est-ce l’assaut final ou l’ultime combat ?

Après l’alerte chaude du 22 mars le président répond aux ruraux avec une « révolution rurale » qu’il entend opérer par une banque verte, une syndicalisation des paysans et une loi-cadre pour transformer les paysans en agriculteurs.

Mais qu’y a-t-il de révolutionnaire dans cette énième mesure du chef de l’état en faveur d’un monde rural qui nage dans le doute ? Qu’est-il advenu de Goana et REVA qui promettaient le paradis aux ruraux et dont on a même fêté en grandes pompes les premières réussites ? Que deviendra le Programme d’Autosuffisance en Riz qui annonçait le miracle en 2012 ? Ces questions se posent vu que l’actuel régime a habitué son monde à changer en catimini de politique sans jamais évaluer. C’est le cas pour les programmes Maïs en 2003, Manioc en 2004, REVA en 2005, Tabanani en 2007, Goana en 2008. La technique pour noyer le poisson est toujours la même : changer de ministre et lancer un slogan nouveau pour faire oublier le passé. Et tout ceci pour des résultats qui font polémique dans le secteur entre des gouvernants satisfaits, des producteurs au bord du désespoir, des techniciens ahuris, des partenaires au développement dubitatifs, et des indicateurs économiques alarmants. Pour les producteurs les milliards annoncés dans tous ces programmes ne sont qu’un leurre ; tout au plus, ils sont gaspillés dans un système noyauté par des non (ou faux) paysans.

Si alors le président lance aujourd’hui la « révolution rurale » c’est qu’il reconnait implicitement la stérilité de ses tentatives antérieures, y compris la récente Goana. Et s’il a changé de ministre pour lancer cette révolution, c’est qu’il veut gommer des esprits les souvenirs de cette Grande Offensive, diversement appréciée, dont les troupes sont aujourd’hui en difficultés évidentes.

Que dire donc de cette « révolution verte » que tout laisse croire qu’elle connaitra le même sort que les tentatives précédentes : beaucoup de milliards, peu d’impacts, aucune évaluation, d’autres annonces.  On peut en juger par les instruments conçus pour l’opérer.

Une banque verte pour quelle politique ? La CNCAS a été créée en 1985 dans la foulée de la NPA pour assurer le financement de l’Agriculture nécessaire pour la relance du secteur en proie aux affres d’une mondialisation débridée. Elle s’est heurtée à 2 écueils : i) une faible capacité d’endettement des exploitations agricoles en pluvial, et ii) un taux élevé de non remboursement de la dette par les agriculteurs en zones irriguées. La conséquence est un faible niveau de décaissements en faveur des paysans, que même la décision historique de baisser de moitié le taux d’intérêt du crédit (de 14% à 7,5%) n’a pas réussi à améliorer. Aujourd’hui, la CNCAS distribue plus de crédit aux salariés et aux agents immobiliers, qu’aux agriculteurs. En face les exploitations agricoles souffrent de l’absence de financements adaptés. Au milieu, prospèrent en zones rurales des structures de microfinance qui pratiquent des taux usuraires (jusqu’à 50%) avec une préférence nette pour les activités non agricoles, jugées moins risquées. Même les projets et programmes de développement sont amenés, par réalisme, à leur sous-traiter leurs volets crédit pour se prémunir contre les risques de non remboursement, parfois au détriment de l’objectif de l’accès facilité au crédit.

Alors quelle place pour une banque verte dans ce décor ? Pourra-t-elle pratiquer un crédit moins cher (- 7,5%) ? Pourra-t-elle récupérer son crédit auprès de producteurs qui, faute d’une politique solidaire de prix garantis, n’arrivent plus à vendre leurs productions, ou les bradent dans des marchés parallèles ? Pourra-t-elle stimuler l’endettement de ces très petites exploitations familiales (3 à 8 ha) couvrant à peine leurs besoins vivriers, et assises sur du foncier sans titre ni statut clairs ?

Il est clair que dans ces conditions une politique foncière structurante pour les 500.000 exploitations familiales rurales, base de la production agricole durable, s’impose comme la priorité. Or sur cette question précise du foncier, le gouvernement et les organisations paysannes sont à couteaux tirés depuis 2000, sur le mode de propriété des terres du domaine national. Pour les tenants du régime les terres agricoles sont à privatiser afin de créer un marché foncier propice à l’investissement agricole privé. Pour les ruraux, c’est la porte ouverte à d’obscurs spéculateurs pour s’emparer de leurs terres, les exproprier et faire d’eux des ouvriers agricoles. Cette divergence de fond procède d’une vision conflictuelle du développement agricole des 2 parties. Le régime de l’alternance mise sur des entreprises agricoles à base de capitaux, à créer pour le réaliser, alors que les OP comptent sur leurs petites exploitations familiales déjà existantes, à moderniser pour le promouvoir. Cette différence de conception qui marque encore les relations Etat/OP, est à l’origine de la version atténuée de la Loi d’Orientation Agro Sylvo Pastorale (LOASP) dont l’Etat est accusé de manquer d’enthousiasme dans la mise en œuvre. Pendant ce temps, une commission logée à la présidence travaille sur une réforme foncière orientée vers la privatisation des terres, qui retient toute la vigilance des OP.

A l’évidence l’instrument pour une révolution rurale n’est pas une banque verte, mais bien un statut et une structure fonciers concertés et stables, qui restaurent la capacité productive et compétitive des exploitations agricoles familiales.

Une loi-cadre pourrait bien sûr y convenir, mais comme toute loi moderne dans ce secteur, elle devra être comprise et acceptée par les paysans pour s’appliquer. Sinon elle connaitra un sort similaire à la LOASP : votée et oubliée faute d’un consensus dynamique sur l’essentiel que constituent le foncier et l’exploitation familiale. Or sur ces 2 questions le régime actuel campe sur sa position ; les OP aussi. Le problème reste entier car il faut savoir que les OP actuelles ont les moyens pour résister à des mesures qui veulent s’imposer à elles. L’histoire de la LOASP l’a amplement démontré.

L’idée d’une syndicalisation des paysans inspire le même commentaire. Senghor et DIA l’ont expérimentée pour promouvoir leur politique de coopération rurale et combattre l’économie de traite héritée de la colonisation. Si la vision d’alors était claire, celle d’aujourd’hui est à clarifier. Ce Syndicat National des Paysans, Pasteurs et Pêcheurs (sic !), de création extérieure, a disparu dès les premières crises des années 60. Les paysans abandonnés à eux-mêmes, s’organisent à partir des villages avec leurs moyens propres et des idées alternatives, pour survivre dans la crise. Cette génération spontanée se retrouvera en 1976 à Thiès pour créer la FONGS, qui à son tour mettra en place en 1993 le CNCR comme instance de participation et force de proposition paysanne, dans les politiques publiques du secteur. C’est dire que depuis plus de 30 ans les paysans sénégalais se sont dotés librement du type de syndicat qui correspond à leur vision de l’avenir du secteur, et travaillent avec à la réalisation de leur destin citoyen. Comment comprendre une autre initiative de syndicalisation paysanne aujourd’hui ? Sauf à vouloir substituer à un mouvement paysan historique autonome un syndicalisme de diversion et de faire valoir. Aux paysans de répondre ! L’apport des 7 autres plateformes paysannes, nées après 2000 des flancs du nouveau régime, aux côtés du CNCR qui a mis 30 ans à se construire, devrait toutefois compter face à une telle tentation.

Par contre, l’idée d’un département chargé de la transformation agricole et alimentaire emporte ma totale adhésion. L’ériger en ministère m’enchante moins. J’estime en effet que la dépendance alimentaire dans laquelle s’enfonce notre pays s’explique par nos habitudes alimentaires extraverties tant chez les urbains que les ruraux. Et si les produits étrangers passent mieux dans nos ménages, c’est parce qu’ils nous arrivent dans un état de finition qui facilite leur préparation culinaire. Par exemple le riz passe directement du sac à la marmite de midi, en quelques minutes, tandis que le mil prend 24 h depuis le sac jusqu’au bol de couscous sérère. Nos poulets vendus sur pieds s’apprêtent moins à la cuisine que le poulet congelé, plumé, vidé et ensaché. Les cuisses de poulet importées sont plus conformes au pouvoir d’achat du consommateur moyen qui mange seul au lieu de travail à midi, que le poulet entier au prix unique.

Enfin le Président a évoqué la formation des producteurs comme ferment de la transformation des paysans (péjoratif selon lui) en agriculteurs (valorisant). Sous-entendant qu’il veut faire des paysans des entrepreneurs, libérés du joug des intermédiaires et des OP, selon les propres termes du ministre porte parole du gouvernement. C’est conforme au modèle d’agriculture auquel il est d’un lien atavique, mais c’est ce modèle que les OP rejettent, en toute connaissance de cause, tout en se défendant d’être contre le progrès. L’absence de formation n’est donc pas le problème, la formation ne saurait être la solution.

La même idée sur la formation a été émise en 2001 depuis Bambey par le Chef de l’Etat. Il déclarait que le type d’agriculture qui correspond à sa vision et son ambition requiert que les paysans soient formés dans des écoles dignes de ce nom. La Chine TAIWAN saisit la balle au rebond en offrant de financer le gigantesque Programme des Centres Polyvalents de Formation de Producteurs (CPFP). Ce sont des infrastructures de grand standing construites à un coût unitaire de 800 millions par centre incluant l’équipement. Une vingtaine de centres sont livrés depuis lors, mais n’ont jamais fonctionné. Pire, les centres de Bambey, Diourbel et Thiès sont aujourd’hui cédés au Centre Universitaire Régional (CUR) de Bambey. Deux erreurs sont à l’origine de ce gâchis :

    1. en déclarant son intention de former les paysans, le Chef de l’Etat disait que c’était une première au Sénégal, où on n’a formé que des cadres de l’administration agricole. Au même moment l’ENCR de Bambey conduisait un programme intensif de formation de producteurs depuis 5 ans, sur financement de la coopération suisse. De même que les 4 écoles de développement rural de Ziguinchor et Saint-Louis. Aussi, les nombreux autres centres du dispositif national de formation agricole et rurale étaient tous en état de sous-activités (moins de 10% de leurs capacités) avec un personnel en poste presque au chômage technique. Il eût été plus inspiré d’évaluer ou capitaliser cette riche expérience pour comprendre qu’il était plus judicieux de réhabiliter l’existant plutôt que créer du neuf à côté. Et pourtant ce travail de capitalisation a été fait par les acteurs eux-mêmes.
    2. dès la mise en place du financement le Projet a lancé les constructions selon un modèle architectural standard, sans avoir au préalable finalisé un projet pédagogique cohérent.

Cette contribution est un témoignage pour s’éviter une révolution sans objet, et appeler à faire le plus efficace qui consiste à restituer l’initiative aux acteurs locaux. La complexité du secteur concerné requiert ce type de professionnalisme et cette approche dans l’intervention.  

Faap Saly FAYE

Ingénieur Agronome



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