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[ Contribution ] Deux chefs religieux musulmans apparemment sans mémoire

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[ Contribution ] Deux chefs religieux musulmans apparemment sans mémoire

Dans notre premier livre Me Wade et l’Alternance : le rêve brisé du Sopi (février 2004), nous faisions remarquer en conclusion ce qui suit : « (…) L’alternance, même dévoyée, trahie, violée, garde des aspects positifs. Elle nous aura au moins révélés à nous-mêmes. Nous savons maintenant qui est qui et qui peut faire quoi. (…) Nous nous connaissons désormais mieux et savons faire la part entre la bonne graine et l’ivraie politiques et / ou religieuses. » Depuis le 1er avril 2000, date de l’installation officielle de Me Wade comme troisième président de la République du Sénégal, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts. Nous avons été témoins de reniements et de volte-face spectaculaires, souvent du côté où on les attendait le moins. Une partie significative de notre bétail et de notre volaille a troqué sans état d’âme le vert contre le bleu des nouvelles prairies et basses cours devenues plus fournies en herbes grasses et en grains de différentes céréales. Les nouvelles situations de rentes faites aux uns et aux autres ont comme lessivé les mémoires et tout l’avant 19 mars 2000 est rangé, comme disait le poète-président, « avec les lampes à huile dans les ténèbres des vieux âges ». C’est, en tout cas, l’impression, peut-être même la certitude que me laissent les discours que nous servent nombre de notables (ou considérés comme tels), d’hommes politiques ou de chefs religieux.

Nous savons que chaque 31 décembre, Serigne Modou Kara Mbacké, responsable de « Mouvement mondial pour l’Unicité de Dieu », organise une grande cérémonie au Stade Iba Mar Diop. Ce 31 décembre 2009, la tradition a été respectée et l’événement a rassemblé beaucoup de monde. Après le journal de 20 heures du dimanche 3 janvier 2010, la télévision des Wade nous a fait écouter de larges extraits du discours du marabout. Ce dernier a beaucoup insisté sur les « fortes relations » qui le lient au président de la République. Il l’a assuré de son soutien « ferme et indéfectible ». Il s’est même permis de se lancer dans des pronostics et nous a donné rendez-vous pour 2012. De son point de vue, la victoire de Me Wade ne fait pas l’ombre d’un doute, surtout face à « ceux-là qu’on appelle opposition ».

Le marabout parlait avec une assurance et une aisance telles que je me suis dit qu’il a oublié ses pronostics de 1999. Nous nous souvenons en particulier que, de retour de la France où il avait fait un séjour d’un peu plus de trois mois, l’allié du Ps d’alors avait été accueilli par une foule immense composée de ses talibés. Il leur révèle avoir rencontré le président Diouf à Paris et annonce qu’il fera une grande déclaration en décembre (1999). Il fera cette révélation : « Je sais de Serigne Touba avec qui travailler et de qui je dois me méfier. » Il réitère la déclaration sous cette forme-ci : «  Khadim Rassoul m’a indiqué avec qui je dois collaborer et de qui je dois me méfier. » Et comme s’il sentait de la méfiance quelque part, il lance en direction de ses talibés, et peut-être de tout le pays : « Ne pensez en aucun instant que je pourrais être corrompu. »[1]

Comme il l’avait annoncé à son retour de France, il réunit ses troupes le 31 décembre 1999. A l’occasion, il entame une déclaration, un appel en faveur du candidat socialiste. Il fut arrêté net par des cris de désapprobation (des hou, hou, hou) qui fusèrent de toutes parts. C’était devant une forte délégation socialiste. Il fut obligé de battre en retraite.

A quelques jours du deuxième tour du scrutin présidentiel du 19 mars 2000, notre marabout revient à la charge, plus formel que jamais dans ses pronostics[2]. C’était exactement le 12 mars 2000, à l’occasion d’une conférence de presse tenue dans les salons Keur Damel de L’Hôtel Téranga. Il y martèle, sûr de son fait ou, du moins, en en donnant l’impression : « Abdou Diouf, ce n’est pas encore la fin. Il a été enveloppé du voile de Serigne Touba et je ne demanderai à personne de l’enlever. » Notre devin poursuit : « Abdou Diouf m’a demandé d’intercéder auprès de Serigne Touba ; ce que j’ai fait. En avril dernier, on m’a montré qu’Abdou Diouf perdrait. Lors de notre rencontre à Paris, je ne le lui ai pas dit, car cela devait arriver au premier tour. Mais avant-hier, j’ai eu la confirmation que ce n’est pas la fin. »

On connaîtra la suite, six jours après : la défaite cuisante de son protégé, pour lequel il aurait intercédé auprès de Serigne Touba, et dont il affirmait que ce n’était pas la fin.

Dix ans après, il oublie tout et nous revient avec ses mêmes pronostics « infaillibles », nous proposant même de faire de Me Wade un président à vie, ce même Me Wade qui met aujourd’hui en danger l’harmonie entre les différentes religions et confréries, l’unité et la cohésion nationales.

Le discours d’un autre chef religieux retient mon attention : il s’agit de celui de Serigne Moustapha Cissé, à l’occasion son gamou annuel de Pire, célébré cette année le samedi 2 janvier 2010. La cérémonie officielle lui a servi de prétexte pour remercier chaleureusement le président de la République et lui réaffirmer son soutien sans faille. Un droit que personne ne lui conteste. Il a clamé haut et fort son choix en ces termes : « Je renouvelle mon soutien au chef de l’Etat Me Abdoulaye Wade pour aujourd’hui et pour demain, ci zaahir ak ci báatin. C’est un président qui nous inspire confiance, (…), un homme qui soutient beaucoup les religions musulmane et chrétienne. (…) Nous sommes fiers de lui et le soutenons. »

C’est, encore une fois, son droit le plus absolu et loin de moi l’idée de le lui contester. Là où le bât blesse cependant, c’est sa sortie même voilée contre l’opposition. « On parle beaucoup au Sénégal, on y fait trop de politique politicienne. Cessons de parler et travaillons », a-t-il lancé. Il regrette surtout qu’on ne respecte pas suffisamment le kilifa (l’autorité) au Sénégal. « Kilifa Yallaa ko tánn tek ko fii. Dañu koo wara weg. Kilifa du lula neex wax ko », a-t-il tenu à rappeler avec force. En d’autres termes, il revient sur le respect du au kilifa en direction de qui on ne doit pas se permettre n’importe quels propos.

Il s’insurge en particulier contre le fait qu’on demande au président de la République de démissionner. « Ce ne sont pas des choses à demander à un président de la République qui a été élu par le suffrage des Sénégalais », a-t-il martelé. Et notre marabout a sans doute raison. Cependant, nous vivons une situation exceptionnelle, lourde de dangers, du seul fait du président Wade. Cela, notre marabout l’ignore ou feint de l’ignorer. Comme le dit l’adage wolof, dafa wate taxas ci genn wet : il a fait montre de parti-pris flagrant. Et ce n’est pas son rôle en tant que chef religieux, drainant derrière lui un monde très hétérogène sur le plan politique. Son discours est manifestement partisan et, partant, discutable.

Il a aussi raison de faire remarquer qu’on parle beaucoup au Sénégal, qu’on y fait à longueur d’année de la politique politicienne, au détriment du travail. Il a oublié cependant de dire que, pour l’essentiel, le politicien pur et dur qui nous dirige est responsable de cette situation. Il vit plus pour la politique politicienne que pour l’Etat, pour la Nation. Ses moindres déplacements donnent lieu à des manifestations folkloriques et politiciennes. Ce qu’on l’entend souvent dire, c’est : « Je reprends en main mon parti », mais jamais « mon pays ou l’Etat ». Dans ses discours comme dans ses choix et ses comportements de tous les jours, il est en campagne électorale. Il est directement responsable de la situation de précampagne que nous vivons, en déclarant sa candidature à une élection qui se déroule dans deux ans et demi. Il l’est également de la situation malsaine, de ni guerre ni paix consécutive à la décision unilatérale de son camp de modifier le Code électoral consensuel.

C’est vrai, nous devons respect au kilifa, à l’autorité. Nous avons cependant des problèmes si le kilifa n’est pas lui-même respectable, s’il passe le plus clair de son temps dans des polémiques enfantines et stériles, à provoquer ses adversaires et à les traiter de tous les noms d’oiseaux. On se souvient de sa sortie au vitriol à la télévision « nationale », le 1er mars 2007, contre les candidats malheureux à l’élection présidentielle, dont la Cour d’Appel venait de proclamer provisoirement les résultats, qui le donnaient vainqueur dès le premier tour. Qu’avait-il alors besoin de tirer sur une ambulance, en accablant ses adversaires de tous les péchés d’Israël ?

Je peux évoquer aussi la réunion du bureau politique du Pds du samedi 26 avril 2008, transformée en un tournemain en « Convention nationale » par la « seule constante » du parti. La réunion se tenait au siège Oumar Lamine Badji de la Vdn. Ce jour-là, Me Wade s’est encore livré à son sport favori : attaquer copieusement l’opposition. Cette attaque était cependant vraiment celle de trop, sûrement la plus maladroite de toutes et qui devrait enfin nous ouvrir définitivement les yeux sur la vraie nature de cet homme qui nous dirige. Devant une foule surexcitée, il déclare sans sourcilier : « Les leaders de l’opposition sont des ignares. Le plus instruit d’entre eux est Moustapha Niasse, et il n’a que la licence en droit public. Quant à Tanor, il n’était qu’un apprenti-géomètre avec le niveau du brevet. Ce n’est que par le truchement de la politique qu’il a pu se frayer le chemin de l’Énam. Amath Dansohko, un journaliste. Et quel genre de journaliste ! » Il ira plus loin, concernant M. Niasse, dont il répétera qu’il n’a que la licence, alors que nombre des jeunes ont maintenant la maitrise, qui est supérieure (sic). C’est quand même énorme ! Me Wade est professeur d’université, président de la République et octogénaire. Il choisit ici, en toute connaissance de cause et publiquement, de raconter des histoires, des contrevérités. Dire autant de méchancetés sur des gens alors qu’on est convaincu qu’elles ne sont pas le moins du monde fondées! Ce samedi-là, nombre de nos compatriotes étaient déçus et même dégoûtés de ce vieux président, de ce politicien vraiment sans retenue. Ce même politicien dans l’âme qui n’épargne finalement personne dans ses quolibets et dans ses provocations : ni l’opposition, ni la presse, ni les organisations non gouvernementales, ni même les institutions du système des Nations Unies. Aujourd’hui, c’est à ce que nous avons de plus sensible et de plus cher qu’il s’attaque sans ménagement : la foi.

Comment le marabout de Pire peut-il alors nous convaincre de la nécessité de respecter cet homme qui est constamment sur la brèche de la polémique et de la provocation, qui tire constamment sur tout ce qui bouge, gouverne mal, commet bévue sur bévue ?

Le marabout se désole aussi que des gens demandent à Me Wade de démissionner ! L’homme a passé le plus clair de son opposition à exiger la démission du président Diouf ! Aujourd’hui, il viole allègrement la Constitution en démissionnant ou en faisant démissionner des hommes pourtant protégés par la loi ! Il en a été ainsi avec Macky Sall, Mbaye Jacques Diop et tout dernièrement Moustapha Touré. Il arrache même leurs mandats à des députés élus comme lui au suffrage universel. Nous ne sommes même plus sûrs qu’il jouisse de toutes ses facultés mentales. Alors, ne sommes-nous pas fondés à demander sa démission avant qu’il ne plonge notre pays dans l’apocalypse ? C’est exactement ce que fait, avec bonheur, courage et responsabilité Serigne Mansour Sy Djamil, dans une longue contribution parue dans L’Observateur du 5 janvier 2010.

Enfin, Me Wade est devenu maintenant fréquentable, presque un « sans faute », aux yeux de Serigne Moustapha Cissé. Il n’est plus du camp des « menteurs et des hypocrites ». Il en était bien autrement avant le 19 mars 2000. Je me rappelle, comme si c’était hier, la cérémonie officielle du 99e gamou de Pire, le samedi 4 décembre1999, dont la télévision rendit très largement compte dès le lendemain (de 20 heures 30 à 0 heure 30 mn). Ce jour-là, Serigne Moustapha Cissé en verve, chargea copieusement l’opposition, dont des membres étaient pourtant présents. Il ne manqua pas de traiter ses chefs (Me Wade en premier) de tous les noms d’oiseaux, notamment de « menteurs et d’hypocrites ». Et, pour illustrer son propos, il les compara à Abdalah ibn Abi Saad ibn Abi Saakh et à Abdalah ibn Saanoun. Le premier « fin lettré et sélectionné parmi les secrétaires qui réécrivaient les propos révélés par Allah, fera prospérer la thèse selon laquelle le Coran n’était en somme que des paroles falsifiées par Mouhammad (PSL) et les siens. » Le second, toujours selon notre chef religieux, est à la base de la « déplorable affaire du chameau mettant en cause la fidélité de Aïcha, mère des croyants et l’instigateur de pas mal de manœuvres destinées à miner le crédit de Mouhammad (PSL). » Ces minables individus, qui « ont failli mettre en péril l’existence même de l’Etat musulman de Médine », notre marabout n’avait pas hésité un seul instant à les comparer aux adversaires d’alors du président Diouf qui « injurient, invectivent, calomnient et jurent par monts et vaux qu’ils vont gagner la présidentielle de l’an 2000. Pire encore, ils avancent, foulant aux pieds la liberté de choix, l’esprit de tolérance inhérents à toute démocratie, que dans le cas contraire à leur rêve, ils mettent le pays à feu et à sang. » Et il lance cette prière : « A dieu ne plaise que de telles personnes, capables de pareils propos démagogiques n’aient jamais la victoire ! Car, où nous mèneraient-ils s’ils parvenaient à leurs fins ? »

Poursuivant son sévère réquisitoire contre « ces menteurs et ces hypocrites déguisés en politiciens », Son Excellence (il était alors ambassadeur) invite ses compatriotes à ne pas les prendre au sérieux pour le moins du monde. « Leur catastrophisme tendant à nous servir le tableau d’un Sénégal pouvant être demain comme le Burundi, le Libéria, la Sierra Léone, etc., demeurera vain, car ces pays-là n’ont pas les atouts si enviés et enviables dont recèle le nôtre », prophétise-t-il. Et si cette prophétie se révélait exacte ? Me Wade n’est-il pas sur le point de mettre le pays à feu et à sang ?

Pour revenir à notre marabout, il s’adresse aux talibés, après avoir copieusement cloué au pilori Me Wade et les autres opposants d’alors. « Soyez donc rassurés et faites votre devoir de citoyen dans la liberté et la tolérance, leur conseille-t-il. Quant à nous, publiquement, nous déclarons soutenir la candidature d’Abdou Diouf. C’est notre droit et au nom de la démocratie, au nom de la citoyenneté, Abdoo ñu doy ! » Afin que nul n’en ignore, il se frappe la poitrine et clame haut et fort : « Man Abdoo ma doy, man de Abdoo ma doy, man Abdoo ma doy way ! » En d’autres termes, c’est Abdou qui a sa confiance, toute sa confiance. Aujourd’hui, la confiance a changé de camp : elle est du côté de l’ex-hypocrite, l’ex-menteur, l’ex-incendiaire.

Dans une contribution publiée à Sud quotidien du 14 décembre 1999, je lui rétorquais alors ceci : « Quoi de plus naturel qu’il (lui Serigne Moustapha Cissé) vote et appelle à voter pour le candidat socialiste ? A-t-il vraiment besoin de le clamer avec autant d’insistance et de façon si solennelle ? C’est le contraire qui eût étonné et surpris. La volaille peut-elle se situer ailleurs que du côté des bonnes ménagères qui pilent le mil dans la basse cour ? »

Je considère que ces rappels que je viens de faire étaient nécessaires. Aujourd’hui, des notables et des chefs religieux ou considérés comme tels, qui se signalaient avant le19 mars 2000 par leur franche hostilité à l’endroit de Me Wade, rivalisent d’ardeur à le soutenir, lui et toutes ses initiatives, y compris des plus contestables. C’est ainsi que nombre d’entre eux défendent avec acharnement (ou du moins en apparence) son monument de la « renaissance » africaine. Trois parmi eux – qu’il faut chercher du côté du secteur de la communication –, véritables avocats du diable dont l’un vient d’être récompensé, se font remarquer par leur zèle (feinte). Il n’y a aucun doute que si, un jour, Me Wade décrétait qu’il est permis de prendre un petit verre de vin après chaque repas, ils s’attelleraient sans état d’âme à inventer des aya et des hadith pour trouver une justification islamique à ce décret.

Heureusement que tous nos chefs religieux n’ont pas vendu leur âme au diable bleu, en acceptant de troquer trop facilement leur ngor et leur diine contre les mallettes bourrées de fric de Me Wade, ses 4x4 rutilants et autres véhicules de luxe, ses passeports diplomatiques, ses dizaines de tonnes de denrées alimentaires, etc. L’église et certains chefs religieux musulmans ont sauvé la face. Le pays leur en sera très reconnaissant.

 

MODY NIANG, e-mail : [email protected]


[1]  « Une » du quotidien Le Soleil du 25 octobre 1999.

[2]  Le Soleil du 13 mars 2000.



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