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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Contribution ] Emigration clandestine : un génocide moderne !

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[ Contribution ] Emigration clandestine : un génocide moderne !

Il y a bien des raisons de s’interroger encore sur notre réelle capacité à nous émouvoir et à nous indigner. Tellement la comptabilité macabre charriée par l’émigration dite clandestine est ahurissante. C’est avec une grande tristesse que je lisais jeudi dernier les dépêches relatant la mort d’une quinzaine d’Africains en partance vers les Iles Canaries. Je vous livre un bout de ce récit bouleversant pour partager avec vous ma désolation.
«Quinze candidats à l’immigration clandestine dont neuf enfants sont morts d’insolation alors qu’ils tentaient d’atteindre la côte sud de l’Espagne à bord d’une petite embarcation surchargée. Parmi les morts, il y avait neuf enfants âgés de 12 mois à quatre ans. Leurs cadavres ont été jetés par dessus bord par leurs compagnons de voyage.»
Ce genre de spectacles morbides commence à relever, dans nos consciences blasées, de la simple anecdote au vu de la longue liste de drames identiques qui sont le lot de ces desperados. Quelle perte cruelle que la mort aussi atroce que répugnante de ces pauvres enfants et des milliers d’autres personnes qui ont péri dans les mêmes conditions sans mériter de nous la moindre larme. La vie de nos concitoyens d’Afrique et des autres pays pauvres aurait-elle moins de valeur qu’ailleurs ? Voudrait-on  nous le faire croire qu’on ne s’y prendrait pas autrement ?
Il est temps d’arrêter ce massacre silencieux qui prend, sans exagération aucune, les allures d’un génocide à petit feu. Pourquoi ce scandale itératif et récurrent n’émeut pas outre mesure ? Combien sont-ils à finir de la sorte ? Certainement des milliers, voire plus ! L’Europe, chaque jour que Dieu fait, densifie sa forteresse et sa tour d’ivoire en érigeant des barricades légales et réglementaires, au mépris de toute justice sociale internationale. La récente adoption par l’Union européenne d’un pacte contre l’immigration clandestine entre dans le cadre de ce programme.
Mais, il faut que cette entité du monde sache raison garder. Cela n’est pas ainsi une panacée qu’elle invente. C’est en revanche comme un cautère sur une jambe de bois. Inefficace. Quand on durcit les lois pour obtenir un visa, on encourage ipso facto la migration irrégulière. Pour la bonne et simple raison que les  candidats se disent que c’est perdre son temps que d’aller dans les consulats et ambassades qui ressemblent déjà plus à des bunkers  qu’à des représentations diplomatiques, eu égard à leur architecture ultra sécuritaire. L’Europe et, partant, l’Occident ne pourront continuellement s’isoler du reste du monde pour se partager l’écrasante majorité des richesses en toute quiétude et impunité. Ce n’est ni possible, ni acceptable.
Que l’on nous comprenne bien. Nous ne faisons nullement l’apologie d’une invasion ou d’un envahissement du Nord par le Sud. Ce  serait même intenable ! Mais il faut créer les conditions pour l’éviter.
Trouvez-vous normal  que  seulement 20% de la population mondiale gèrent  plus de 80% des richesses planétaires ?
Pis, selon une étude inédite de l’Institut mondial pour la recherche sur l’économie du développement : «Les 2% des adultes les plus riches du monde possèdent plus de la moitié des richesses mondiales des ménages.» Renversant !
Il faut, du reste, relever que ce sont ces processus d’accumulation et de thésaurisation outrancière qui expliquent, en partie, la crise énergétique et alimentaire actuelle. Des fonds de pension ou d’investissement  spéculatifs en Europe et en Amérique trouvent un malin plaisir -et un intérêt surtout-  à ne placer leur argent que dans les secteurs où les augmentations des prix sont plus grandes.
Pendant longtemps, les pays producteurs et industrialisés n’ont cessé de dire aux moins développés : «Vous n’avez pas besoin de produire. Contentez-vous d’acheter nos produits qui, de toute façon, sont plus compétitifs que les vôtres.» On a transformé nos économies en de vastes supermarchés à ciel ouvert et nos pays sont devenus des sociétés terminales jugées aptes qu’à consommer. Nos balances de paiement en parlent éloquemment. Elles sont structurellement déficitaires. Nos greniers sont à des milliers de kilomètres de chez nous. Ce qui nous rend particulièrement vulnérables aux chantages, aux pressions et autres conditionnalités des bailleurs de fonds pudiquement appelés «partenaires au développement». On ne peut passer par pertes et profits le passif historique, économique et humain qu’ont produit les ajustements et autres programmes à l’efficacité plus que douteuse.
Evidemment, nous n’évacuons pas du tout la responsabilité des élites et des peuples du Sud et notamment d’Afrique dans notre situation actuelle. Elle est fortement engagée. C’est le lieu ici de clamer à haute et intelligible voix que la voie du salut de nos nations est entre nos mains. La solution ne viendra que de nous-mêmes et de nulle part ailleurs. Croire le contraire, c’est prendre des vessies pour des lanternes dans ce monde où l’économie est devenue une guerre non conventionnelle, où tous les coups sont permis. Pour y parvenir, il nous faut adopter une nouvelle conscience de l’objection. Dire qu’un autre monde est possible qui sera fait de travail, de solidarité des peuples, de justice sociale internationale, bref de bien-être partagé. Cela n’est pas un vœu pieux. Notre monde a cessé d’être humain et vivable dès l’instant où il a relégué le Bien (catégorie éthique et non le bien au sens économique) à l’arrière-plan. On lui reproche de ne pas créer de la valeur ajoutée et de l’efficacité. Chiche !
Il nous faut donc reconstruire les fondements de notre conception des choses et replacer l’être humain à sa digne place.
Concrètement, pour arrêter cette saignée que constitue l’émigration clandestine, il est nécessaire d’avoir une nouvelle vision et des programmes de rupture pour maintenir au maximum les populations dans leur terroir. Si les moyens de se réaliser existent  sur place, à quoi bon prendre le chemin risqué - pas suicidaire- de l’exode.  L’être humain, par nature, est attaché à son milieu. Il ne s’exile que pour améliorer ses conditions de vie et d’existence. Il faut donc des solutions de fond  par une redistribution équitable des richesses qui appartiennent à l’Humanité. Tout devient possible, il suffit de le vouloir pour le pouvoir.
Le Président du gouvernement espagnol mesure  apparemment  la menace. Jose Luis Rodriguez Zapatero a qualifié ce drame du jeudi de «tragédie insupportable pour l’esprit humain». «Nous sommes dans une situation alarmante. Ou nous aidons l’Afrique à lutter contre l’extrême pauvreté, ou notre Etat de solidarité, notre Etat social sera en danger», a ajouté M. Zapatero, qui s’exprimait lors d’une conférence de presse à Athènes. Il a appelé les pays développés et surtout les membres du G-8 à «prendre leurs responsabilités, en contribuant à l’aide au développement et en garantissant que la crise alimentaire dans le monde n’empire pas la situation nutritionnelle dans le monde».
Son exhortation implique de sortir des notions encore folkloriques, exotiques et cosmétiques du co-développement ou des aides au retour, qui  ne sont que des faux-fuyants pour se donner bonne conscience.
Ce fléau doit être pris à bras-le-corps pour redonner leur dignité humaine à ces damnés de la terre, des airs et des mers. Pour que nous n’ayons plus des Bouna Wade (mort dans un train d’atterrissage d’avion), ces naufragés d’Espagne ou encore ces mutilés de Ceuta et Melilia qui traversent le désert du Sahara pour gagner ces enclaves espagnoles.
A ce propos, il est encore utile d’entendre le récit de ce jeune Sénégalais, Omar Ba, auteur du livre intitulé Soif  d’Europe : «J’ai fini par arriver devant Melilla, cette enclave espagnole au Maroc par laquelle beaucoup de clandestins essaient de passer. Pour aller de l’autre côté, il y a un grillage, des fils barbelés électrifiés, un hélicoptère qui tourne. Des soldats nous ont tirés dessus. C’était affreux. Ça a été mon premier contact avec l’Europe. Et ma première grosse claque. Je n’ai pas réussi à entrer. J’ai décidé d’essayer par Ceuta, une autre enclave espagnole, grâce au camion d’un passeur algérien. Le camion nous a laissés au pied d’un col qu’il n’aurait pas pu franchir. L’un de nous, un Nigérien, n’en pouvait plus. Il s’est couché sur le sol. Le sable et le vent l’ont enseveli sur place. C’était atroce, on ne pouvait rien faire.» Simplement pathétique !
La criminalisation de l’émigration, c’est la politique de l’autruche consistant à occulter les vrais problèmes en détournant le regard. Les solutions dont nous avons besoin ne sont pas techniques mais éthiques et humaines.
Le cours de l’Histoire est comme une courbe montant et descendant ou une boule qui tourne. Rien n’est définitif.
L’arrogance et la condescendance ne sont pas des réponses à la situation actuelle. Expulser des vieillards (un avocat malien de 70 ans, vivant en France depuis 1962 et inscrit au barreau d’Aix-en-Provence depuis 28 ans, s’était vu signifier par un arrêté préfectoral, le refus du renouvellement de son titre de séjour et l’obligation de quitter l’Hexagone), des malades (la Cour européenne a autorisé l’expulsion d’une malade atteinte du Sida de la Grande Bretagne)… relève de l’inhumain.
La politique du chiffre et du mépris est voué à l’échec. Et cette parabole divine l’illustre à souhait : «Ne voient-ils donc pas combien nous avons anéanti avant eux de générations que nous avons pourtant fixées sur la terre avec des moyens que nous ne permîmes point à vous-mêmes ? Nous avons abondamment ouvert sur elles les vannes du ciel et nous fîmes couler sous leurs pieds, des rivières. Mais Nous les avons anéanties ensuite à cause de leurs péchés et Nous avons fait naître, après elles, d’autres générations.» Coran Sourate 6. Verset 6.
A bon entendeur, salut !

Ballé PREIRA - Journaliste



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