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[ Contribution ] Et si l’on réformait la Charia ?

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[ Contribution ] Et si l’on réformait la Charia ?

Un musulman peut-il vivre en adéquation avec sa religion en reniant ou en se démarquant de la charia (loi islamique) ? Question ne pourrait être plus paradoxale ! Mais, comme on le dit souvent, seul le paradoxe est fécond ! De quoi est alors féconde cette question ?

Elle est féconde d’une idée (grosse de plusieurs) qui voudrait qu’en fait, on pourrait demeurer musulman sans suivre la charia telle qu’elle a été conçue il y a plusieurs siècles.

Par les temps qui courent, émettre une telle hypothèse, peut relever de la diversion ou du bavardage inutile, tellement on semble s’orienter et s’attacher à ce passé circonscrit autour des quatre califats et des fondateurs des quatre écoles qui constituent le corpus de ces textes juridiques et l’essentiel de la jurisprudence (peut être par prudence ?) et de la jurisconsulte jusqu’ici. Faudrait-il le rappeler, ce corpus de textes juridiques est élaboré par des hommes dans des circonstances particulières, le monde arabe d’il y a plus de dix siècles ? Ce que des hommes ont fait, d’autres pourraient et devraient le faire, le refaire ou le défaire. Le temps s’est arrêté cependant depuis lors et il est surprenant de voir que face à des contextes fondamentalement différents, l’on pense toujours qu’il faudrait respecter scrupuleusement cette charia, et qu’y contrevenir serait synonyme d’errance, de gêne, de désobéissance, d’insoumission et donc de péché.

Mais, on est vraiment devant un dilemme cornélien ou dans une aporie totale dans la mesure où tout le monde s’accorde à dire que cela ne va pas. D’aucuns disant que c’est à cause de cette non observance scrupuleuse de cette charia ; alors que d’autres appellent en vain à sa révision, à sa réforme.

Une analyse objective semble difficile parce qu’il est vrai qu’il n’y a pas respect scrupuleux de la charia (et pourquoi ?) pour pouvoir constater si cela donnerait ou non les résultats escomptés. Toujours est-il, il ne serait pas difficile de noter que le contexte actuel s’accommoderait difficilement de la charia telle que conçue alors.

Ainsi, montrer en quoi la charia (ou à tout le moins une grande partie de cette charia) est en déphasage avec les réalités actuelles, est sans doute la démarche qu’il faut employer pour amener les uns et les autres à comprendre que si cela ne va pas, ce ne serait sans doute pas le fait d’une non observance des règles édictées par cette charia due à une absence de volonté, et que donc ce serait peine perdue de vouloir la reconduire telle qu’elle avait été fixée depuis plusieurs siècles.

Pour ce faire, on axera notre raisonnement sur quelques grandes lignes de cette charia, à savoir la scrutation  du croissant lunaire, l’esclavage et l’éternel problème du statut de la femme.

Le premier point, pour montrer les quiproquos possibles ; le second point, pour mettre l’accent sur le caractère dépassable de la charia et enfin le dernier, pour souligner que non seulement elle est en grande partie misogyne, mais aussi très malléable face aux nouveaux contextes. 

  • Le croissant lunaire. S’il est un fait patent qui peut bien illustrer les apories au sein du monde musulman (sénégalais en particulier), c’est certainement le croissant lunaire et dans une moindre mesure la langue dans laquelle devrait se faire le sermon hebdomadaire du vendredi. Pourquoi nos ulémas continuent mordicus de le faire en arabe ? C’est peut être se demander, pourquoi nos politiciens parlent souvent français devant un parterre d’individus qui n’y comprennent que dal ? On peut supposer par là que ce ne serait pas une question religieuse, mais plutôt une question socioculturelle !

Cela dit, scruter le croissant lunaire pour rythmer la vie des musulmans et donc en constituer son calendrier est devenu source de discordes. Mais, ce qui est curieux, c’est que chaque partie soutient sans ambages détenir la vérité sunnite et qu’en conséquence elle est exclusivement dans son bon droit. Et chaque partie de se gausser de l’autre. Ces divergences illustrent objectivement que le problème, loin d’être une question de croyance, constituent plutôt un problème d’adaptation des textes par rapport aux nouveaux contextes. Nouveaux contextes qui tranchent nettement avec les traditions qui avaient des horizons très limités (village, parenté, etc.). Compte tenu de cette situation où chacun se dit digne héritier de la tradition prophétique, on n’a pas à trancher, sauf reconnaître que visiblement on a du mal à mettre en adéquation cette charia avec la nouvelle donne qui appelle soit à une révision de cette tradition, soit à une reconnaissance qu’on est tous à côté de la plaque, qu’on n’a pas compris le bien fondé de cette règle de la charia.

Si le problème du croissant lunaire montre une pluralité possible de lecture de la charia, d’autres faits comme l’esclavage et le statut de la femme montrent bien que la charia n’est pas un horizon indépassable, comme on pourrait en avoir l’impression ou même l’expression à travers les partis pris des uns et des autres.

  • L’esclavage, plusieurs versets en parlent comme d’un phénomène social normal. Faudrait-il le maintenir pour rester fidèle au coran et à la charia ?

Assurément, il n’est pas besoin de disserter longtemps pour faire montre que le phénomène de l’esclavage est le meilleur exemple qu’il y a des choses dépassables dans le coran et dans la charia. Cependant, personne ne s’avise plus à vouloir le maintenir pour se conformer à la lettre du coran et de la charia. Ainsi, pourrait-on dire qu’il y a des versets qui se sont abrogés d’eux-mêmes par la force des choses. Même s’il faut reconnaître que tel que défendu dans la charia et dans le coran, tout portait à l’encouragement de son abolition. Ainsi, ici aussi voit-on par l’exemple qu’il y a des choses qui ne sont pas immuables dans le coran, et à plus forte raison dans la charia.

Et l’exemple du statut de la femme vient aussi le corroborer.

  • Le statut de la femme (la polygamie, la femme au foyer, châtier corporellement la femme en cas de désobéissance, le témoignage de deux femmes valant celui d’un seul homme, etc.) était sans conteste inférieure par rapport à celui de l’homme rien qu’à travers ces quelques exemples. Faudrait-il alors le maintenir en l’état pour être fidèle à ce corpus juridique traditionnel ?

Avec les vents actuels d’égalitarisme, faudrait-il reconduire la femme au foyer, la châtier corporellement (l’épouse, la mère, la sœur, la fille), prendre avec beaucoup de pincettes son témoignage (parce qu’elle oublierait vite et se laisserait plus distraire que l’homme), pour coller aux prescriptions de la charia ?

Si actuellement, tout le monde soutient et défend un statut de la femme égal en tout à celui de l’homme, est-ce dire que tout le monde a tort et seule la charia a raison ? Ce n’est pas impossible, parce que tout le monde pourrait être dans l’erreur ! Mais, les faits étant têtus, faudrait-il contraindre les femmes contre leur propre volonté ? 

D’une manière plus générale, la sunna aurait-elle encore et toujours force de loi  quand on défend que « quiconque change de religion, tuez-le ! » ?

Le coran serait-ce une loi toute faite et immuable ou une « guidance » comme le semble dire son auteur à plusieurs reprises ? Si en 23 ans son auteur a abrogé plusieurs versets, qu’en serait-il en quatorze siècles ?

Cependant, la question essentielle demeure de savoir qui a autorité d’abroger ou de dire qu’il faudrait abroger ceci ou cela ? Car, manifestement alors ne serait souverain que celui-là qui décide de ce qu’il faut ou ne faut pas abroger ! Dans tous les cas de figure, on  ne peut disconvenir qu’il faudrait voir comment résoudre cet épineux problème d’ajustement auquel le monde musulman est confronté, dans la mesure où, comme on le dit souvent « autres temps, autres mœurs ». La seule autorité souveraine qui manifestement a une emprise sur la charia, c’est sans doute le temps. Cependant, le problème demeure entier ; on ne sait toujours pas qui a autorité pour dire que ceci ou cela est dépassé. C’est ce qui explique sans doute la croyance en l’avènement d’un être (messie ou mahdi) qui va rétablir la vérité. Viendrait-il ou ne viendrait-il pas ? Dans tous les cas, la charia telle que conçue au début de l’ère musulmane et telle que reproduite par les différentes sociétés musulmanes, a du mal objectivement à s’accommoder avec les réalités du moment.

Pour une analyse objective, les sociétés musulmanes actuelles peinent à reproduire la charia parce que primo, elle n’était pas faite pour être reproduite et deusio sa reproduction serait niée que les sociétés humaines par essence changent sans cesse. Et la plupart de ces changements ne dépendent pas seulement de la volonté humaine ou de ses croyances.

Si l’on se permet de donner une image assez générale du monde musulman, on verrait avant tout qu’il est un monde où l’autonomie individuelle est encore coiffée par l’appartenance à un groupe parental, ethnique ou religieux (confrérique). En Afrique musulmane, dans le monde arabo-berbére musulman, l’autonomie individuelle est moindre comparée à celle de son alter ego occidental. Ainsi, y note-t-on l’emprise du groupe sur l’individu. Cette emprise exerce une certaine pesanteur sur la conscience individuelle si bien que si cette dernière voudrait s’affranchir de quelque manière que ce soit, elle est aussitôt taxée d’apostat, d’acculturation, de déracinement ou d’individualisme.

Mais, dans ces moments où de plus en plus les sociétés deviennent plus permissives, où les devenirs individuels ne sont plus enserrés par des institutions fortes et transcendantes, on assistera inévitablement à des prises de position, des points de vue, des conduites aux convenances plutôt individualistes que collectivistes.  

Mamadou Moustapha WONE 

Sociologue

BP : 15812 Dakar-Fann

[email protected]

Sénégal



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