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[ Contribution ] Hommage à Amadou Gueye Ngom: Ecrivain, Critique littéraire et social ( Par Mahamadou Lamine Sagna)

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[ Contribution ] Hommage à Amadou Gueye Ngom: Ecrivain, Critique littéraire et social ( Par Mahamadou Lamine Sagna)

« A Jugement dernier, on entendra des cris là où l’on s’attendra le moins. » Oustaz Bu Bees-

  C’est par cette citation que Monsieur Amadou Gueye Ngom terminait sa dernière chronique sur Seneweb (11 Janvier 2009). Nous étions en effet, très surpris d’apprendre son décès. Nous en étions et nous en sommes toujours très tristes pour nous-mêmes, pour notre pays et pour la jeunesse.

Amadou Gueye Ngom était notre grand frère, oncle et mentor. Il portait beaucoup d’attention à son pays, dévoué qu’il était à sa jeunesse. Son engouement pour la diffusion de la pensée n’est plus à démontrer. Malgré ses réserves sur les hommages posthumes, nous essaierons humblement de décrire ici, l’homme que nous avons eu le privilège d’approcher et de connaître.

  A la vérité,  AGN comme nous aimons l’appeler ici, est une des plus grandes figures intellectuelles de notre pays. J’ai eu le privilège de travailler, de discuter, de débattre avec lui sur des questions d’actualité et des pensées traditionnelles et modernes. De même, c’est l’un des tous premiers écrivains et critiques littéraires que nous avions sollicité pour nous accompagner dans le développement de notre maison d’édition (Phoenix) naissante. Nous lui avions expliqué notre vision, nos objectifs et méthodes. Sans hésitation, il y avait répondu favorablement. Il en est devenu le correcteur et conseiller littéraire. Il nous aiguillait, nous assistait, nous conseillait dans toutes nos démarches.

Amadou Gueye Ngom était non seulement critique littéraire et social, mais c’était également, un écrivain hors pair. Exigeant et rigoureux, ce qu’il aimait le plus c’est l’honnêteté. Il connaissait aussi bien la littérature orale qu’écrite. Il écoutait autant Mozart que Samba Diabare Samb. Féru de la littérature africaine du XXe siècle et du XXIe siècle, l’homme aimait lire, discuter et débattre des idées. Fin connaisseur de la pensée traditionnelle africaine, il était aussi un grand spécialiste de la littérature européenne du XVIIIe siècle.

  AGN est né à Sokone dans le Sine Saloum et a grandi à Dagana chez son homonyme, le Docteur Amadou Gueye à qui on l’avait confié. Il avait une maîtrise parfaite des coutumes et cultures du Walo et des pays sérères, en passant par le Baol, le Djoloff. Sa formation traditionnelle, doublée d’une formation académique solide, a sans doute séduit aussi bien son maître Léopold Sédar Senghor que son mentor Birago Diop et Ousmane Sembene avec qui il était également très proche. Sous l’aile de Senghor, dont il était le conseiller, il regagna le rang des chantres de la Négritude. Dans ce mouvement, il avait pour seul crédo la lutte pour la liberté et le bonheur des peuples africains.

  Comme ces enfants du pays des Diallobés de « l’Aventure ambigüe » de Cheikh Hamidou Kane, il était héritier d’une Afrique multiculturelle tiraillée entre les coutumes traditionnelles, l’arabité et la francité. De ce choc des cultures fécond il en sort indemne renforcé par son art de concilier les traditions et la modernité.

  A ce titre, AGN arrivait toujours à bien faire apparaître en filigrane dans ses textes la question du « comment faire » des structures traditionnelles un site fécond pour apprivoiser la modernité. Il cherchait à y répondre en avançant, aussi loin qu’il le pouvait, du côté de la connaissance et de l’action.

  Dans un style incisif et rigoureux, il entreprend cette réflexion en prenant appui à la fois sur la pensée et la littérature africaine et occidentale. Il est évident que pour lui, les pays et peuples d’Afrique vulnérables doivent pouvoir compter sur l'assistance de leurs enfants pour le développement économique à construire. Dans nos discussions, il me faisait toujours comprendre que pour lui, aborder ce siècle nouveau c’est réinvestir les dimensions du quotidien par des ressources du passé et du futur, car la mémoire est présente dans le futur et la mémoire du futur se construit au présent.

  Chez AGN, les ressources de l’expérience vécue et de l’imaginaire africain, peuvent s’exprimer, ou être médiatisées, canalisées, complexifiées, raffinées, par l’écriture. Le lien entre son écriture et ses paroles (pour nous qui avions la chance de l’approcher) provient de ses  expériences vécues et de sa vision du monde.

  Le Sénégal est pour lui, un espace mouvant où il est possible de confronter les vérités individuelles et collectives. Ses critiques sur sa société sont des invitations à une réflexion sur nous-mêmes. En d’autres termes, ses critiques sociales permettent de substantialiser l’éthique, c'est-à-dire donner une forme pratique à un ordre théorique à partir du corps social.  Dans ses écrits, il marque le blanc du papier par des signes et symboles de l’esthétique et de l’éthique. Il y a chez lui, un souci permanent d’actualiser la mémoire africaine qu’une certaine partie de l’humanité aimerait effacer.

  A travers son instrument, le stylo, il exprime des métaphores du beau et donne à voir les symboliques du bien et du vrai. Si dans la vie courante, il est très attentionné et a toujours bon goût, dans ses écrits, AGN ne s’exprime pas pour montrer la beauté de son écriture (l’esthétique) mais pour dire le vrai et célébrer le bien (l’éthique). Lire les textes de AGN ce n’est pas simplement lire les mots, c’est aussi chercher des non dits.

  Dans ses reportages, ses notes et ses chroniques, AGN développe sa vision du développement à partir des rôles et des fonctions  que pourraient jouer les productions de pensées africaines.

   En mettant côte à côte les auteurs classiques et contemporains, il se donne une possibilité de vérifier et de confronter au terrain africain la souplesse ou la rigidité de leurs pensées.

  On peut dire que AGN cherche à travers son écriture prolifique et rayonnante à effectuer une sorte de réaménagement des espaces culturels traditionnels et modernes. Son écriture est un langage  musical et poétique qui nous amène vers toutes sortes d’états, de sentiments. C’est une écriture vitale. Elle accompagne notre mémoire en ce qu’elle est support de documents anciens, et nous oriente vers le futur parce qu’elle constitue des repères.

  Toutes nos pensées vont à sa famille, ses proches, amis et collaborateurs.

  Cher Amadou, rassure-toi, Repose en paix, cher ami. Puisse Dieu t’accueillir dans son Paradis le plus haut ! Amine !

  Cher AGN, toi qui adore la poésie, je te lis ces vers de mon amie poète Nicole Barrière.  

  Terminons cet hommage par l’introduction de la dernière chronique de AGN.

« Quelques semaines de vacances au pays auront suffi à me convaincre du délabrement de notre corps social atteint de plusieurs maladies débilitantes dont les plus sévères sont  le reniement, la résignation et la débauche des consciences  Oui, avec le recul, j’ai le sentiment douloureux d’avoir séjourné en zone endémique. Comment ce beau et si vigoureux pays qui est le mien en est-il arrivé là ?

Tout semble être parti d’un grand dépit amoureux; désillusion qui transforme le disciple en mécréant un patriote en anarchiste, le nationaliste en renégat. Le second diagnostic révèle, que par une sorte strabisme cérébral, tout ce qui se percevait, naguère comme valeur sociale, apparaît  comme de la  pacotille négociable à l’aune de l’opportunisme. » Amadou Gueye Ngom, Seneweb - Chronique du 11 Janvier 2010  
 

P.S Je lui dédie ces vers (fragments) de Nicole Barrière. CORPS DES ACCORDS  

Cicatrices et plaies profondes de l’universel

Rupture humaine

De l’unité saisie par le vide

Dans le temps convenu de l’évidence

Hérétique et sauvage liberté du sensible

Dans la vibration meurtrière d’une époque

Ils disent : regardez, regardez

Le film d’une mémoire

L’histoire brève et profonde

L’histoire intense de notre civilisation

Ils disent : goûtez, goûtez

La saveur exotique du malheur

Le grand festin des os

La moelle désirée de l’espoir

Ils disent : écoutez  écoutez

Les tambours mystérieux

Les sons de votre silence

Les sons de votre oubli  
 

     Par Mahamadou Lamine Sagna, Directeur Editorial des Editions Phoenix 

Docteur, tu vis aux USA, A tout seigneur tout honneur disait l’autre.



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