Mercredi 24 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Contribution

[ Contribution ] IMPACTS DE LA MIGRATION INTERNATIONALE FEMININE INDIVIDUELLE sEnegalaise DANS LES AIRES DE DEPART

Single Post
[ Contribution ] IMPACTS DE LA MIGRATION INTERNATIONALE FEMININE INDIVIDUELLE sEnegalaise DANS LES AIRES DE DEPART

         Les migrations internationales sont sans aucun doute l’un des phénomènes qui régit  les relations Nord/Sud. Les études menées sur ces migrations ont généralement porté sur les flux des travailleurs qui n’ont pas de qualification, et longtemps cachées l’ampleur des autres formes de mobilité. Désormais, un nouveau type de migration prend une ampleur importante : l'émigration individuelle féminine.  Cette mobilité est appelée, dans le cadre de la migration au départ du Sénégal : «la migration des Fatou-Fatou». Pour une première approche du sujet nous allons mettre l’accent sur ses impacts socio-économiques dont l’étude a été facilitée par la méthode du focus group et par le soutien et la complicité des hommes et des femmes interrogés au cours de nos différentes investigations dans les aires étudiées.

      Cette forme de mobilité a pris naissance en ville au milieu des années 1980 avant de s’étendre à l’ensemble du territoire. Elle était initiée par les femmes wolofs à majorité mouride avant de s'étendre, aujourd'hui, à toutes les composantes ethniques et religieuses du Sénégal. 

      Au même titre que les hommes, les femmes migrantes résidant en France sont des soutiens inconditionnels pour les familles restées au pays. Elles envoient de l’argent et ces transferts constituent, dans la plupart des cas, les seuls facteurs de redistribution géographique des revenus tirés du travail exercé en pays d’immigration. Une bonne partie des montants expédiés au pays entre directement dans la consommation locale mais, aussi, dans le développement de certains projets de vie. 

      Cependant, il ne faut pas surestimer ces transferts d’argent. Les mouvements monétaires jouent dans les deux sens. En effet, certaines femmes ont dû recourir à l’épargne familiale rurale ou urbaine pour les frais du voyage vers la France. Une partie voire la totalité de l’entretien des étudiants non boursiers notamment les filles est assurée par les familles. Les envois à destination du pays dépendent également de la situation matrimoniale des migrantes. Les transferts effectués par les célibataires sont plus conséquents que ceux envoyés par  celles qui sont arrivées à se marier dans le pays d’accueil. Ces dernières ne peuvent plus se permettre d’envoyer régulièrement de l’argent à leur famille restée au pays. Elles doivent aider leurs époux à supporter les charges inhérentes à leur nouveau foyer. 

     Au Sénégal, la contribution des femmes peut littéralement transformer la qualité de vie en fournissant des moyens de subsistance à leurs familles, tandis que dans les pays de destination, l’arrivée des migrantes permet de répondre à des besoins en main-d’œuvre notamment dans les secteurs de la santé et des services (domestique, technicienne de surface, etc.) 

      Le rôle économique des femmes ne se réduit pas seulement à leur apport financier. Elles sont aussi porteuses de développement, de formation, de transfert de technologie, via les projets de transformation de leur société d’origine grâce à l’expérience acquise dans les pays d’accueil. Mais aussi, elles jouent un rôle culturel et social de transformation de leur milieu d’origine. Pour celles qui ont échappé à toutes les formes de discrimination, l’émigration a été un vecteur d’émancipation. Elles sont sorties de chez elle, ont travaillé et sont devenues autonomes et indépendantes financièrement. Leur statut, au sein de leur communauté d’origine, s’est beaucoup amélioré bien qu'au départ du phénomène migratoire les jugements sociaux aient été plus discriminants.  

      Les gains, rapportés par les migrantes internationales, sont source de progrès économique et social pour les familles. Elles sont un facteur de stabilité et de ciment familial. Les enfants, en passe, de devenir des adultes, apprécient bien l’activité de leurs mères qui les nourrissent bien, les habillent et leur offrent des demeures confortables. Elles leur donnent également la chance d’étudier dans les meilleures écoles et universités européennes ou américaines. La réussite et l’aura des migrantes ne font qu’augmenter le désir à migrer chez les jeunes.  

      De plus, au niveau social, la migration internationale a engendré  des changements dans les rapports hommes/femmes. Depuis le déclenchement du phénomène, au milieu des années 1980, beaucoup de changements notables ont été notés dans les relations hommes/femmes.  

      En effet, les migrantes sont devenues des pourvoyeuses de revenus pour les familles. Elles participent de plus en plus aux discussions et prennent part aussi aux décisions familiales. C’est ainsi qu’une interlocutrice, rencontrée à Paris lors de nos enquêtes nous livre ces propos « j’ai maintenant une certaine influence au niveau de la famille, surtout dans ma belle-famille. Grâce à la migration, j’ai pu acquérir une certaine autonomie financière vis-à-vis de ma famille et celle de mon mari ».1 Les migrantes, grâce à leurs activités commerciales ou aux salaires gagnés dans les pays d’immigration, ont un peu plus de pouvoir. Leur position se renforce et de nouveaux rapports sociaux se mettent en place au sein des ménages, bafouant parfois les modes de fonctionnement régis par la communauté d’origine, réduisant les inégalités entre les hommes et les femmes. Les mentalités bougent du fait de la monétarisation de l’économie et de la migration des femmes. Les revenus sont budgétisés, planifiés pour assurer le minimum à l’unité familiale; le reste est ensuite destiné à maintenir voire à consolider les relations sociales qui, auparavant, absorbaient l’essentiel des revenus des femmes. 

      Cette situation nouvellement créée par la migration internationale féminine et individuelle est loin d’être acceptée par certains hommes. Elle est dans certains cas à l’origine des conflits et des scènes de ménages fréquents qui éclatent dans les familles des émigrés en France. Les conflits dans le couple suffisent pour que les époux soient assignés devant les tribunaux afin d’obtenir le divorce, d’acquérir une certaine liberté, et accessoirement de bénéficier d’une pension alimentaire. Selon Kane (2003), psychosociologue, « les rôles économiques se trouvent redistribués, la gestion du ménage obéit à un certain bicéphalisme. Mais les statuts de l’un et de l’autre (des conjoints) sont maintenus, du moins en apparence. A cause du bouleversement des rôles opérés dans le foyer, la femme parle sur un autre ton, les inflexions de sa voix prennent celles d’un vrai chef de famille. L’homme se retrouve à faire l’amer constat que le solipsisme qu’il cultivait et qui le poussait à penser qu’il n’y avait d’autre réalité que la sienne, n’était que duperie. En d’autres termes, il sait que lui seul ne porte pas les chausses. Le foyer est ainsi installé dans une crise d’autorité. L’époux est obligé de jouer le jeu. Devant la nouvelle donne, née de la redistribution des rôles, le pari procède de l’évitement systématique des sanctions sociales, avant d’ajouter que l’homme agit ainsi pour préserver les apparences formelles ».2

      La migration internationale des femmes mariées sans leurs époux est source de toutes sortes de difficultés dans la vie des couples. D'un côté, les hommes monogames dont les épouses ont émigré, souffrent du manque d’affection et parfois de considération de leur semblable surtout en milieu soninké où ils sont considérés comme des maris dominés par leurs épouses. Les propos, tirés de notre entretien avec Monsieur C. B. à Bakel, et dont l’épouse a migré en France constituent une parfaite illustration, « je ne peux pas continuer à vivre comme ça. Il y a la pression de la famille qui pèse sur moi, car mes frères et, surtout, ma grande sœur, m’obligent à me remarier ».3 Les enfants souffrent également de cette affection maternelle qui leur manque tant. Le séjour prolongé des mamans dans les pays d’immigration est difficile à supporter par les tout-petits.

      De l'autre côté, les femmes migrant sans leurs époux sont soumises à  des pressions familiales et doivent faire face à des forts préjugés sociaux comme nous l'indique les propos d'une migrante interrogée, la quarantaine révolue qui a abandonné son domicile conjugal pour émigrer en France, pour elle  « quand je suis arrivée en France, je suis hébergée par ma sœur et son mari. Le fait de quitter mon mari ne plaît à personne dans ma famille et surtout laisser mes enfants derrière moi pour émigrer toute seule, ce qui n’a pas empêché certaines personnes dont des proches de me traiter de « thiaga » c’est-à-dire de pute ou de mauvaise femme. Six mois après, le mari à ma sœur m’a appelé pour me dire qu’il y a un retraité qu’il connaît bien au foyer, qui cherche une femme. Je lui ai dit que je ne veux pas me marier maintenant et que personne ne peut m’obliger à me remarier si ce n’est de mon propre gré. S’il y a un choix à faire, il viendra de moi car je suis une grande dame vaccinée. Il a mal digéré ma réponse et il a fait intervenir ses amis et des parents à Paris pour me convaincre mais en vain. L’homme en question ne perçoit que 500 euros de pension de retraite et il ne peut même pas subvenir à mes propres besoins à plus forte raison m’aider à satisfaire ceux de mes cinq enfants laissés au pays. Je ne vais pas casser mon mariage au pays pour venir en France et y épouser un homme qui va me replonger dans la même galère. Si, c’est le cas je préfère reprendre avec le père de mes enfants. Je suis partie de mon foyer car je suis la seule à connaître ce que j’ai enduré pendant plus de 20 ans de mariage. Mon souhait est d’avoir des papiers et de trouver du travail pour préparer l’avenir de mes enfants ».4  

      La migration est synonyme de liberté et d’autonomie comme nous l’apprend Bardem (1993) « la liberté que les femmes migrantes ont acquise par le canal de la migration illustre le développement d’une certaine forme d’individualisme, lui-même générateur de nouvelles solidarités non plus hiérarchiques et obligées mais tendanciellement horizontales, égalitaires et assises sur de nouvelles bases de type contractuel. Les relations naturelles assignées se trouvent, en quelque sorte, sélectivement réinterprétées par un consentement librement accepté à partir de redéfinitions statutaires conquises, voire imposées ».5  

      Enfin, l’acquisition par les migrantes d’une certaine autonomie passe le plus souvent par des ruptures. Si les unes se soustraient aux alliances matrimoniales traditionnelles contractées dans les sociétés de départ, d’autres les rompent dans le pays d’accueil par un divorce, ou font du mbarann (mot wolof qui renvoie à une femme qui a beaucoup d’amants). Il faut souligner que d’après le rapport du troisième recensement général de la population et de l’habitat de 2002, la fréquence du divorce dans la population tend à prendre de l’ampleur avec une plus grande exposition des femmes à ce phénomène, surtout, lorsque leur âge est compris entre 10 et 35 ans.  Ces ruptures en partie due aux migrations féminines sont signes d'une fragilité sociale.  

     La présence des femmes sur la scène migratoire a beaucoup d'impacts sur les plans économiques, socio-culturels et dans les rapports hommes/femmes. La migration internationale féminine s'est considérablement développée depuis son déclenchement au milieu des années 1980. Elle s'inscrit dans le cadre des courants migratoires qui se dessinent actuellement à l'échelle mondiale et bénéficie de la féminisation massive des emplois.

Monsieur FALL Magatte en collaboration aved Dr. Dianka Daouda

Docteur en géographie (PH.D)
spécialité:géo-population,immigration,pauvreté et développement
TEL 514-839-7415 <63>e-mail:[email protected]
[email protected] 



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email