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[ Contribution ] L’Alternance et l’Agriculture : la continuité sans la rupture

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[ Contribution ] L’Alternance et l’Agriculture : la continuité sans la rupture

Le régime issu de l’alternance du 19 mars 2000 s’est illustré dans le domaine de l’agriculture par une série de mesures politiques au sommet qui laissent pantois les techniciens qui ont vécu, voire conduit, l’évolution du secteur depuis 1960. Au CNCR, la seule plateforme d’Organisations Paysannes avant 2000, les membres nagent dans le dépit face à la résurgence de pratiques politiques qu’ils croyaient d’un temps révolu. Les responsables des six autres plateformes paysannes nées de « l’explosion démocratique » de 2000, comme pour exister, saluent en public une volonté politique sans précédent d’un « chef de l’Etat visionnaire » mais arrivé tard au pouvoir. Pourtant en privé, et face à leurs membres mécontents ou à leurs bailleurs confus et navrés, ils nuancent leurs propos ou tout simplement les remisent.

Et tous se posent une même question : Les performances obtenues dans le secteur après 2000, expliquent-elles ou justifient-elles ce fort réengagement de l’Etat ?

Il faut savoir que l’agriculture, dans tous les pays du monde, sert à 4 choses : i) nourrir la population ; ii) créer des emplois et des revenus pour les ruraux ; iii) exporter pour des devises ; iv) préserver et valoriser les ressources naturelles (sols, eau, climat). Aucun de ces rôles n’est aujourd’hui rempli, et il est encore difficile d’entrevoir des signes d’espoir.

Deux illustrations :

  • En 1960, le pays produisait 96% de sa nourriture, aujourd’hui il importe 60% de ses besoins alimentaires. Cette tendance se poursuit encore et la dépendance alimentaire s’accentue, rendant évanescents l’idée et l’espoir d’une souveraineté alimentaire même à moyen terme.

  • En 1960 l’agriculture entrait pour 90% de la valeur des exportations, aujourd’hui cette proportion est réduite à sa portion congrue (8 – 10%).

Au plan économique l’alternance n’a pas non plus amélioré les performances d’avant 2000. Au contraire ! Entre 1994 et 2000 le taux de croissance moyen du PIB s’était stabilisé à 5,5% sans jamais descendre sous la barre des 5% ; tandis que de 2001 à 2007 ce taux moyen est tombé à 5,1% avec 2 chutes en 2002 et 2006 à 1% et 3% respectivement. Ce qui s’interprète comme un retour à la vulnérabilité de l’économie depuis 2000, alors que la période antérieure avait montré des indices d’une relative résistance aux chocs exogènes.

C’est dans ce contexte de retour à la vulnérabilité que le ministère de l’Agriculture a décrété l’objectif d’autosuffisance en riz en 2012, en lançant le Programme National d’Autosuffisance en Riz (PNAR). C’est son devoir, et c’est ce qui est attendu d’un pouvoir élu. Mais s’il est possible de réaliser cette performance, la conserver est tout à fait incertain. Car la méthode utilisée pour y parvenir consiste à i) distribuer des équipements (tracteurs et GMP) et des intrants subventionnés aux producteurs, ii) réhabiliter les anciens périmètres rizicoles abandonnés, et iii) lever l’hypothèque de la dette des agriculteurs auprès de la CNCAS. Elle procède d’une approche classique qui prétend qu’en donnant tous les moyens de production aux producteurs ils réalisent les objectifs qui leur sont édictés ! C’est une erreur. Pour preuve :

  • L’économie de traite qui a fonctionné sur ce modèle pendant un siècle (1860 à 1960) n’a jamais transformé l’agriculture en profondeur. Juste quelques augmentations conjoncturelles de productions agricoles, qui profitaient plus aux industries et à la main d’œuvre en métropole ; pacte colonial oblige.

  • Le Programme Agricole instauré par SENGHOR et DIA, a permis de réaliser des performances jamais égalées (1,2 million de tonnes d’arachides en 1976). Mais celles-ci ont été vite enrayées par les sécheresses, les chocs pétroliers, et la mondialisation des années 70. Ce Programme consistant à distribuer des intrants, du crédit et des équipements aux producteurs à chaque campagne hivernale, puis à racheter la production à des prix fixés d’avance, a été même abandonné en 1979 en application des mesures d’ajustement structurel du secteur en crise.

Le Programme Agricole sera repris en 1999, comme mesure de relance de l’Agriculture au sortir de l’Ajustement Structurel qui a permis de restructurer le secteur. Il sera poursuivi sans changement, ni dans l’approche ni dans la philosophie, au-delà de 2000 alors que sa pertinence et son efficacité étaient déjà mises en doute. Mieux les autorités de l’alternance ont multiplié et généralisé les quantités distribuées par campagne. Pire, elles ont construit toute la politique du secteur autour de cette vision simpliste consistant à « faire encore plus de la même chose », alors qu’il s’agit de faire les choses autrement. L’illustration est donnée par les programmes spéciaux du Président, la Goana, le Plan REVA. Les résultats sont connus : les bons impayés de 2002, les faibles taux de croissance de 2003 (pluies hors saison), de 2006 et 2008 (mauvaises pluviosités), la crise alimentaire de 2008 (flambée des prix du pétrole et des céréales importées). Face à ce constat amer et indéniable, les autorités agacées par les critiques, leur opposent l’argument que « nous avons fait pour ce secteur ce qu’aucun autre gouvernement n’a fait », en citant les milliards dépensés et les quantités distribuées au monde rural. Qu’il en soit ainsi, cela n’est pas le problème à résoudre, car les 4 fonctions ne sont pas remplies, ni ne sont pas en voie de l’être. Au contraire !

Les paysans quant à eux ne sentant pas leur situation s’améliorer, se croient tourner en bourrique dans ce discours de milliards. Leurs organisations représentatives émettent sans cesse des objections et réserves énervantes pour les pouvoirs publics, qui finissent par les accuser de connivence avec l’opposition politique. La participation, fort justifiée, du CNCR aux assises nationales a mis le feu aux poudres. Le ministre de l’agriculture a décidé la rupture des relations avec cette organisation paysanne, et demandé par lettre à ses services et aux partenaires d’en tirer les conséquences en l’excluant de tous les financements publics. Avant de revenir quelques jours plus tard sur la décision suite à une médiation civile.

Manifestement les politiques agricoles en cours ne convainquent pas les acteurs du secteur, elles ne changent pas les tendances négatives de l’agriculture (baisse des productions et des exportations, hausses des importations, malaise paysan, pauvreté rurale, etc.) et elles coûtent des milliards, dans un contexte de crise économique et financière à l’issue incertaine. Cette voie est sans issue, et les « légers mieux » obtenus çà et là, risquent d’être l’arbre des petits succès qui cache la forêt de la faillite qui guette le secteur.

Alors il ne faut pas se leurrer des chiffres euphoriques de l’Agence REVA sur l’emploi des jeunes ruraux : investir 350 millions (ferme de Jilakh) pour employer 200 jeunes est irréaliste. Car c’est un coût de revient de 1.750.000 F pour un emploi créé, c’est-à-dire 175 milliards (soit le double du budget du ministère de l’agriculture) pour insérer 100.000 jeunes. Ce chiffre correspond au nombre de jeunes ruraux recherchant un premier emploi chaque année. Pour comparaison depuis sa création en 2000, le FNPJ doté d’un budget total de 10 milliards, incluant son fonctionnement, n’a créé que 12.500 emplois, représentant 2,5% de l’effectif à insérer. Le scandale du « barsa wala barsaaxx » a sans surprise éclaté en 2006.

Il est indispensable de cerner cette réalité globale au départ avant de décider d’engager les investissements ! Car le but n’est pas simplement de créer des emplois jeunes mais bien de résoudre le problème du chômage massif des jeunes ruraux, pour tenir l’objectif de lutte contre l’émigration clandestine. C’est par conséquent une erreur d’approche consistant à compter des emplois créés (au risque de s’en suffire) au lieu de travailler sur le nombre de jeunes restants sans emplois malgré, ou après, les efforts faits (pour éradiquer le chômage). Tel est le péché mignon des politiques agricoles des gouvernements successifs depuis 2000.

L’autre erreur réside dans le sens donné à la notion de « développement agricole » qui est recherché. Ce qui est fait depuis avant 1960, centré sur les campagnes agricoles, l’assimile au développement des productions agricoles. C’est ainsi qu’on a pu réussir des hausses erratiques de productions, mais les exploitations agricoles qui les fournissent sont restées très peu évoluées et fragiles. Rendant ainsi aléatoires et fugaces les réalisations du secteur. De ce point de vue le développement agricole est intimement lié au développement des exploitations agricoles familiales. Cette conception implique que les investissements agricoles soient dirigés vers les structures des exploitations agricoles, pour les améliorer et les consolider. Ces structures d’exploitation reposent essentiellement sur les 4 facteurs à combiner pour produire en agriculture : la Terre, l’Eau, le Travail, le Capital.

L’approche à la base de la campagne agricole, des programmes spéciaux, de GOANA, et du PNAR, ne travaille que sur le facteur Capital (intrants, équipements). Le REVA met en place les « pôles d’émergence agricole » où les investissements sont réalisés hors de l’exploitation agricole familiale, dans des champs exploités en commun par les associations d’usagers. Les limites de cette approche sont connues : quand ça appartient à tous personne n’en prend soin.

Les autres facteurs qui déterminent la durabilité de la production agricole sont visiblement escamotés dans les politiques publiques passées et actuelles du secteur. Les résultats sont là :

  • En l’absence d’une politique foncière performante, les 500.000 exploitations agricoles, sont majoritairement (80%) de taille très petite (3 à 5 ha) à petite (5 à 8 ha) et surpeuplées (8 à 10 personnes, pour 4 à 6 actifs). Donc structurellement déficitaires du point de vue même de leur couverture vivrière.

  • Faute d’une politique solidaire de prix garantis, les campagnes de commercialisation sont mal organisées (bons impayés, marchés parallèles, méventes, etc.) et les prix aux producteurs sont dictés par les marchés mondiaux, spéculatifs et non transparents. La main d’œuvre agricole, mal rémunérée, migre massivement vers les autres secteurs, avec de maigres chances de s’y insérer, car généralement peu qualifiée.

En définitive les politiques actuelles, à l’instar des précédentes, réussiront probablement des augmentations de quantités produites, notamment le riz en 2012, mais ne sont pas susceptibles de réaliser le développement de notre agriculture, qui reste leur unique finalité pertinente.

Cette analyse n’est ni une découverte ni une révélation car la plupart des organisations de producteurs militent pour un développement agricole basé sur la modernisation de l’exploitation familiale. Une d’entre elles est déjà avancée, avec le soutien de ses partenaires, sur un projet expérimental de « suivi de la productivité des exploitations familiales ». Comme l’y encourage l’esprit des réformes des années 90. Il vise à tester un modèle adapté de développement agricole, susceptible d’alimenter le discours sur l’agriculture paysanne et d’inspirer les politiques publiques. Mais comme à son habitude, l’Etat, engoncé dans ses certitudes, est absent du processus de cette expérience. Orgueil technocratique ou vanité républicaine ?! Voilà le nœud gordien de l’Agriculture de l’Alternance.



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