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[ Contribution ] L’arachide à 165 F/Kg : leurres et lueurs d’une subvention

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[ Contribution ] L’arachide à 165 F/Kg : leurres et lueurs d’une subvention

Le prix de l’arachide est fixé à 165 F/kg, l’Etat y a contribué pour 45 F de subvention, et la campagne de commercialisation a démarré le 15 novembre au lieu de janvier comme les années passées. Et à la date du 17 novembre déjà 2,5 milliards sont injectés pour payer cash les achats. Le gouvernement qui tient à ce que ses bons actes soient connus et reconnus, communique à outrance sur les bienfaits d’une campagne inédite à l’actif de la GOANA 2.

Mais là où les autorités se tapent la poitrine, les paysans eux font la moue. Un responsable du CCPA, principale organisation paysanne autour de l’arachide, s’est déclaré déçu de ce prix qui ne couvre même pas leurs charges de production estimées à 192 F/Kg. Il s’en est pris au CNIA qui aurait fixé le prix à 120 F à partir d’informations sur les cours mondiaux des huiles. L’opinion se perd dans ce débat.

Pour louables que puissent paraitre ces mesures, elles ne doivent pas conduire à oublier l’enjeu véritable qui reste la relance filière arachidière en crise profonde, qui entrainerait dans son envol un secteur agricole en panne de longue durée.

Il faut savoir que la détermination du prix au producteur a toujours été un enjeu de pouvoir dans la filière. L’Etat et les huiliers français se sont fait la guerre dessus en 1971 quand il fallait agir sur le prix pour compenser la baisse des revenus des paysans frappés par les sécheresses et la mondialisation naissante. Le gouvernement découvrant que ces huiliers manipulaient à leur guise l’information qu’ils monopolisent sur les prix internationaux pour imposer le prix au producteur, décidait de s’arroger cette prérogative contre leur gré. Le bras de fer déboucha sur la délocalisation de l’usine Petersen polluante du centre ville vers le site de Bel Air, et sur la décision de nationalisation des industries de transformation de l’arachide. En représailles ces industriels lancèrent en Europe une campagne de dénigrement de l’arachide sénégalaise accusée de contenir une substance cancérigène dite aflatoxine. Campagne qui fit perdre au Sénégal 60% de ses parts du marché européen et contraint les usines à s’équiper de matériel lourd de détoxification de l’arachide pour reconquérir leur place à l’exportation. Il en résulte un accroissement des coûts de production des entreprises déjà surdimensionnées, qui seront répercutés en grande partie sur le prix au producteur qui connaitra une baisse, annulant ainsi les efforts de relance de la filière.

Ce récit rappelle la situation actuelle au CNIA où les paysans, bien que représentés par un collège, semblent ne pas se retrouver dans cette technique ingénieuse de fixation du prix au producteur. Ils soupçonnent le Comité de jouer le jeu des intérêts des industriels qui le dominent, et pensent que l’Etat préfère laisser faire. Ce sentiment est bien sûr étayé par le mode de calcul qui ne prend en compte que les éléments de coûts à partir de la collecte des graines achetées jusqu’au port d’arrivée de l’huile exportée. Excluant ainsi les charges du producteur paysan dont le prix perçu devient la variable d’ajustement de la rentabilité des entreprises de la filière. C’est un choix politique tacite qui n’est pas porteur de développement pour une filière agricole. Pour s’en convaincre notons que les 2 révolutions (agricole et verte) qui ont façonné les agricultures riches du monde se sont appuyées sur des hausses ininterrompues des prix aux producteurs sur une longue période. Cette hausse s’est opérée soit par un marché libre où la demande était excédentaire, soit par des soutiens publics garantissant des revenus croissants aux agriculteurs. Dans notre contexte de révolution rurale promue par les pouvoirs publics, cela ne doit pas être ignoré. Déjà en 1995 le prix au producteur de l’arachide était de 145 F/Kg, là où le kilo de riz est passé dans la même période de 135 F à 400 F.

En décidant d’octroyer 45 F/kg au producteur, le gouvernement s’est-il assuré de la véracité de ce prix international de 120 F qui est annoncé ? A-t-on conscience qu’avec les 13,5 milliards de subvention les huiliers (SUNEOR et NOVASEN) ont les 300.000 tonnes nécessaires pour rentabiliser leurs usines, tandis que les paysans restent en deçà de leurs coûts de production. En subventionnant 300.000 tonnes sur une production estimée à 1.175.000 tonnes, va-t-on abandonner le reste (plus de 600.000 tonnes) aux marchés parallèles qui imposeront de mauvais prix aux producteurs, déjà lésés par le prix officiel ? Car le 3ème  opérateur industriel de la filière qu’est le Complexe Agro-Industriel de Touba (CAIT) a une capacité beaucoup plus faible que les huiliers.

Voilà des questions de fond qui sont absentes du débat médiatique et qui conditionnent l’efficacité de ces mesures de campagne et leur impact sur la viabilité de la filière. Cette viabilité n’est possible que si les prix agricoles permettent aux producteurs de couvrir leurs coûts et dégager des bénéfices suffisants pour satisfaire leurs besoins monétaires et investir pour les productions à venir. La satisfaction mitigée avec laquelle les paysans ont accueilli cette mesure de subvention, traduit chez eux le sentiment qu’ils ne sont pas encore dans cette perspective.

Tant que les producteurs n’auront pas les moyens pour investir dans leurs exploitations, à partir de leurs revenus, et non de dons ou d’aides, les investissements collectifs effectués par l’Etat dans le secteur seront d’un effet limité et fugace. C’est une loi économique séculaire en agriculture.

Dans cette filière, il apparait clair que le problème profond réside dans la structure des prix aux différents acteurs. L’arachide achetée à 165 F le Kg au paysan qui l’a produit à 192 F, est rendu à l’huilier à 200 F. Ce dernier le revend sur le marché international sous forme d’huile et de tourteau à 400 F/kg (équivalent à 1200F le litre d’huile), puis importe de l’huile végétale (colza, soja, palme) moins chère pour le marché sénégalais. Cela se passe de commentaire !

L’écart de prix entre l’huile importée et l’huile d’arachide exportée fait l’objet de prélèvement dont le mécanisme tout comme l’utilisation échappent au contrôle des producteurs, même ceux membres du CNIA. En théorie c’est une taxe d’égalisation pour assurer la compétitivité des huiles locales et financer le fonctionnement du CNIA, en réalité elle est utilisée par l’Etat pour résoudre ses problèmes de trésorerie. Cette pratique l’a déjà opposé  à l’Union Européenne qui avait exigé et obtenu d’être remboursée son apport de 3 milliards à la création, en 1998, du compte de soutien au CNIA, doté initialement de 5 milliards.

S’ils avaient cette même force dans la filière, les paysans pourraient contrecarrer cette pratique, fort tentante vu l’état des finances publiques, et réorienter l’essentiel de ces ressources vers le prix au producteur. Ce qui est loin d’être le cas, et c’est un des goulets d’étranglement de la filière. Les commerçants de l’UNACOIS ont perçu l’enjeu en se battant contre la récente mesure d’interdiction de l’importation de l’huile de palme asiatique à partir de la Côte d’Ivoire.  

Faap Saly FAYE

Ingénieur Agronome



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