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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Contribution ] L’école des Libéraux va mal : les preuves

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[ Contribution ] L’école des Libéraux va mal : les preuves

Dans mon avant-dernière contribution, je m’engageais à revenir plus largement sur les maux qui gangrènent le système éducatif sénégalais et à montrer, en m’appuyant sur des faits précis, que ce système ne s’est jamais porté aussi mal que pendant ces dix dernières années. Et cette situation ira sûrement de mal en pis avec les Libéraux et leurs alliés, qui sont fascinés par le nombre et sacrifient sans état d’âme la qualité sur l’autel de la quantité.

C’est désormais un secret de Polichinelle : le principal cheval de bataille des Wade et de leurs tonitruants courtisans, c’est de nous jeter à la figure le nombre des infrastructures qu’ils ont réalisées en dix ans, en comparaison des réalisations dans le même sous-secteur par les Socialistes en 40 ans. La construction d’écoles est devenue pour eux comme une course effrénée. Comme si le système éducatif se réduisait à des infrastructures physiques ! Loin de moi, évidemment, l’idée de négliger celles-ci. Il en faut bien sûr, mais elles ne constituent que des éléments, certes importants, parmi de nombreux autres dans un ensemble cohérent où tout se tient. Elles doivent se réaliser de façon rationnelle, autant que faire se peut, en fonction de deux instruments importants : la carte scolaire et la planification. La carte scolaire en particulier doit être considérée, non pas comme une simple carte géographique des écoles existantes dans un pays à un moment donné – elle ne serait alors qu’un inventaire –, mais plutôt comme un exercice fécond de planification à court ou moyen terme des ressources éducatives au niveau national, régional ou local. Elle détermine, en tenant compte de la politique démographique et d’éducation comme des réalités socio-économiques d’un pays, le nombre d’écoles à construire, leurs coûts, leur superficie, la population qui les fréquente, le nombre d’enseignants qu’il faudra former, etc. Les classes doivent donc être construites prioritairement dans les localités où la demande existe, c’est-à-dire, en fin de compte, là où on est sûr de trouver une population suffisamment nombreuse pour les remplir au moins pendant vingt ans. Leur implantation ne se fait pas sur un coup de dé, mais en accord avec tous les partenaires que sont les services de la carte scolaire et les hommes de terrain (inspecteurs d’enseignement, syndicats d’enseignants, associations de parents d’élèves, élus locaux, etc). La carte scolaire et la planification comportent bien d’autres vertus qu’il serait long de développer ici.

Malheureusement, les Wade et leurs alliés n’ont cure de ces importants outils. Wade père en particulier n’aime pas les études, la planification, l’évaluation et la reddition de comptes. Il a déclaré publiquement avoir conseillé au Directeur général de l’Onudi qu’il recevait en audience le 30 mai 2007, de « ne plus faire d’étude mais de passer directement à l’action comme (il fait) au Sénégal ». On n’est pas étonné donc quand nos gouvernants se lancent, tête baissée, dans la construction de classes à la tête du client, souvent à la veille d’élections pour s’attirer les bonnes grâces d’un porteur de voix, pour retourner dans leur escarcelle une localité perdue. Même quand les moyens n’existent pas et que la demande est loin d’être évidente, ils construisent quand même à la hâte un collège d’enseignement moyen (Cem) dit de proximité ou un lycée, souvent sans infrastructures d’accompagnement : ni eau, ni électricité, ni sanitaires, ni personnel d’appui, ni bureau pour les enseignants et les chefs d’établissements. Parfois, on se contente d’un simple abri provisoire balayé des l’installation des premières tornades. Il y en aurait au moins sept cents (700) sur toute l’étendue du territoire national.

Souvent, on se retrouve sans professeur en octobre et on se rabat sur les tout nouveaux bacheliers de la localité, qui attendent d’être orientés à l’Université. Il y a vraiment de quoi s’inquiéter si on considère le niveau actuel, particulièrement médiocre, de nos bacheliers sortis émoulus de nos lycées. Ces derniers établissements, pour nombre d’entre eux, sont créés dans les mêmes conditions politiciennes et clientélistes que les collèges. Souvent, sous la pression du notable, du chef religieux ou du responsable politique du coin, le Cem est transformé en lycée, sans autres formes de procès[1]. Les élèves de la ou des secondes créées, « squattent » les locaux du Cem ou des établissements environnants. Quand, à l’ouverture, il n’y a pas de professeurs d’enseignement secondaire, on se rabat sur les professeurs sur place : rarement des professeurs d’Enseignement moyen (Pem), le plus souvent des bacheliers ou des cartouchards. Ces derniers sont manifestement mal à l’aise dans tous les enseignements, principalement dans les disciplines scientifiques. Il arrive souvent que des élèves déplorent que des professeurs soient incapables de corriger des exercices de mathématique, de physique, de chimie ou de sciences de la vie et de la terre.

On constate la même course effrénée vers la création d’universités. « Les Socialistes nous ont laissé deux universités, le pays en compte cinq aujourd’hui », les entend-on souvent dire en bombant le torse. En réalité, d’universités dignes de ce nom, il n’y en a que deux au Sénégal : l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) et l’Université Gaston Berger. Les autres ne le sont que de nom : ce sont des universités forcées, parfois virtuelles. L’« Université » de Thiès en particulier, créée en 2005, est encore péniblement en chantier cinq ans après. Il a fallu d’ailleurs que les étudiants observent une grève de la faim, pour que les chantiers qui étaient arrêtés reprennent. Le Centre universitaire régional de Bambey a été érigé en « université » sur un coup de tête des étudiants. Celui de Ziguinchor connaîtra sûrement la même « promotion » fulgurante.

L’Ucad étouffe, avec plus de 60000 étudiants pour seulement 6000 lits. Des étudiants y sont jusqu’à dix par chambre et, à cause de cette promiscuité prononcée, la tuberculose s’y développerait dangereusement. Les 35 milliards – sans doute plus – déjà inutilement engloutis dans l’Université du Futur africain (Ufa) de Sébikotane dont le chantier est envahi par les herbes, pourraient être utilisés à y améliorer notablement les conditions de travail et à construire d’autres universités : une à Ziguinchor par exemple (pour la Région naturelle de Casamance) et une à Kaolack qui polariserait, en attendant de meilleurs jours, Tambacounda, Fatick, Diourbel, Kaffrine. Tambacounda, Matam et leurs régions pourraient être rapidement servies d’ailleurs avec le budget du sénat qui sert à entretenir cent (100) sénateurs parasites. On peut réaliser aussi facilement cet objectif et même aller au-delà, en supprimant les trois quarts des agences nationales inutilement budgétivores et les coûteuses conventions pour loger des gens sortis de nulle part.

En mettant fin au gaspillage des Libéraux, on peut facilement économiser des dizaines, voire des centaines de milliards à injecter dans des secteurs aussi vitaux que la santé et l’éducation. Ces gens-là continuent tranquillement leur festin et se lancent dans des choix populistes, clientélistes et politiciens. C’est exactement le cas quand le politicien Wade chante sur tous les toits, surtout étrangers, qu’il fait orienter tous les bacheliers à l’université et attribue la bourse ou l’aide à tous les étudiants. Ce choix est inopportun et populiste : l’université n’est pas faite pour accueillir tous les bacheliers. C’est un pôle d’excellence qui devrait recevoir les meilleurs d’entre eux à qui la bourse serait prioritairement accordée, les autres bénéficiaires étant les plus démunis, mais ayant le niveau requis[2]. Les autres seraient orientés vers des filières plus courtes, par exemple vers les lycées techniques et les centres de formation professionnelle réhabilités, avec tous les équipements nécessaires, en partenariat avec l’entreprise. Si nous mettons un terme au gaspillage, nous pouvons y arriver et aller même au-delà, en en construisant de nouveaux dans toutes les régions.

Il faudrait, en plus de ces initiatives, prendre des mesures courageuses : en particulier, relever notablement les droits d’inscription des étudiants et dépolitiser le choix des recteurs. Ces derniers sont des citoyens certainement libres de leurs actes, mais l’idéal n’est pas qu’ils se lancent dans la marre politicienne. Ils devraient être plutôt au-dessus de la mêlée. Les Madani Sy, Souleymane Niang, Moustapha Sourang ne faisaient pas de la politique.

Le principal n’est donc pas d’injecter un pourcentage du budget national, fût-il important, dans le système éducatif et de le porter toujours en bandoulière. Le budget est un moyen qui doit aider à réaliser des résultats qualitatifs. Ce que ne semblent pas comprendre les Wade et leurs courtisans. Venu prendre part à la préparation d’une « Stratégie de développement de l’Enseignement supérieur (…) », le fonctionnaire de la Banque mondiale (Bm) Jamil Salmi critique sans complaisance notre enseignement supérieur en mettant en relief quatre travers : pléthore d’étudiants, insuffisance d’infrastructure, mauvaise répartition des dépenses, taux d’échec élevé. Il se fait plus concret en relevant que : « Le Sénégal dépense 1,2 % du Pib en dépenses publiques dans l’enseignement supérieur. Avec ça, vous arrivez à 800 étudiants pour 100000 habitants. L’Ile Maurice dépense 3 fois moins en pourcentage de son Pib et ils ont le double du nombre d’étudiants pour 100000 habitants. » Il donne ensuite l’exemple de la Côte d’Ivoire. Il aurait pu donner celui de la Tunisie et de nombreux autres pays qui dépensent bien moins que nous pour de bien meilleurs résultats. M. Salmi a pointé un doigt accusateur sur nos taux d’échec qui sont très élevés, ainsi que sur le déséquilibre des dépenses à l’université dont les 62 % sont des dépenses sociales au détriment des dépenses pédagogiques. A sa suite, le directeur des Opérations de la Banque mondiale au Sénégal enfonce le clou en mettant un accent particulier sur les mêmes maux : le paradoxe d’un pays qui met beaucoup d’argent dans le secteur pour peu de résultats, des étudiants qui vont à l’université pour y échouer (20 % de réussite contre 80 % d’échecs), mauvais professeurs qui forment des enseignants médiocres qui, à leur tour, forment des élèves et des étudiants médiocres, un enseignement supérieur qui pourrait être, finalement, « un multiplicateur de médiocres », etc[3]. Il doute même des fameux 40 % qui ne seraient, selon ses collègues qui travaillent à Dakar, que 32 % du budget de fonctionnement. Les deux fonctionnaires de la Banque mondiale ont déploré de nombreux autres maux qu’il serait long de développer ici.

Le ministre Kalidou Diallo a été obligé, la mort dans l’âme, de reconnaître que « l’efficacité interne et externe des systèmes d’éducation et de formation est peu satisfaisante ». Inefficacité qui se matérialise, poursuit-il, par « les taux d’abandon et de redoublement encore élevés. Ce qui, en plus de constituer un énorme gaspillage de ressources, impacte très négativement sur les taux d’achèvement au niveau des différents cycles et particulièrement au primaire »[4]. Il ne s’arrête pas en si bon chemin et avoue que « l’offre de formation professionnelle est encore limitée, avec un niveau d’insertion des diplômés assez faible (…) ».

Le premier Ministre ira, lui aussi à Canossa, en ouvrant la 9ème Revue annuelle du Pdef les 26-27-28 avril 2010 à Ngor Diarama. Il reconnaît humblement qu’« en dépit des efforts financiers appréciables du Gouvernement et de ses partenaires, les résultats obtenus sont encore en deçà de nos attentes » car, « les évaluations révèlent encore des difficultés réelles qui ralentissent ou freinent le processus de développement du secteur à tous les niveaux ». Et, parmi ces difficultés, il met particulièrement l’accent sur la lenteur dans la construction et l’équipement des salles de classes qui entraînent la persistance des abris provisoires à tous les niveaux (plus de 21% en 2009), les taux d’abandon et de redoublement encore très élevés, l’offre de formation professionnelle encore limitée et le niveau d’insertion des diplômés insuffisant. En somme, il reprend mot pour mot les insuffisances notoires dont le Ministre Kalidou Diallo a fait état un peu plus haut.

On pourrait dire que la cause est entendue. Je suis tenté cependant d’ajouter un autre mal du système en rappelant que, lors des journées pédagogiques de l’Association des professeurs de français du Sénégal (Aspf) tenues les 28 et 29 avril 2010 à la Place du Souvenir africain, le président Baytir Ka a révélé qu’au cours de ces dernières années, « plus de 80 % des candidats au Bfem ont zéro en dictée et (que) très peu réussissent leur épreuve de dissertation ». Et il invite gravement ses collègues à réfléchir sérieusement sur leurs méthodes, leurs contraintes et leurs erreurs. Et il a raison de s’inquiéter : nos élèves sont faibles, très faibles en français. Ils le sont pratiquement partout ailleurs puisque cette discipline est transversale. Ils sont faibles, pour l’essentiel, parce leurs maîtres le sont aussi tout autant, pour nombre d’entre eux.

Voilà la triste réalité de l’école sénégalaise, qui est loin de celle qu’on nous présente avec beaucoup de bruit. Si ce texte n’était pas déjà trop long, je m’appesantirais encore plus longuement sur de nombreuses autres plaies béantes qui gangrènent le système éducatif sénégalais et en limitent notablement l’efficacité. Je pense au recours massif à des vacataires et à des volontaires de l’éducation qui ne constituent guère une solution durable, au rétrécissement de l’année scolaire qui n’est pas seulement le fait des grèves, à la pléthore d’enseignants en divagation payés à ne rien faire, à l’irruption de l’argent dans le système (réclamation à outrance d’indemnités diverses et de perdiem, xar matt qui se fait souvent au détriment de l’école publique, course à la création de Gie et d’écoles privées), etc. Je ne terminerai pas sans dire un dernier mot sur ce fameux « quota sécuritaire » qui a fait beaucoup de mal au système, à l’instar des recrutements directs (hors concours), massifs et clientélistes des années 1978-1983, et des 400 « ailes de dinde » de Djibo L. KA, éphémère ministre de l’Education nationale (en 1990).

L’école sénégalaise va donc mal, très mal et a besoin d’être repensée sans démagogie, gérée autrement et vigoureusement reprise en main. Un pourcentage du budget national, fût-il très important, n’y suffit pas. Encore moins les interminables discours d’autosatisfaction des Wade et de leur tonitruante cour sur le nombre des collèges, lycées et universités qu’ils ont construits.

MODY NIANG inspecteur de l’Enseignement élémentaire à la retraite, E-mail : <147>[email protected]

 


[1]  Même les lycées construits le sont souvent dans la précipitation et manquent pratiquement de tout pour nombre d’entre eux.

[2]  Un élève qui a eu en terminale une moyenne de 7 ou de 8, et qui réussit péniblement au second tour du baccalauréat, réussira difficilement à l’université.

[3]  Youssoupha Mbow, le Coordonnateur du Cercle des enseignants socialistes n’est pas plus tendre avec l’Ucad qui est devenue, selon lui, « une garderie d’adultes (où) on entre avec le Bac et (où) on sort avec le Bac sans perspective d’avenir  ». A propos de la course effrénée des Libéraux vers la création coûte que coûte d’universités, il se pose, à juste titre, cette question : « Comment peut- on créer des universités tous azimuts sans des mesures d’accompagnement ? Comment peut-on transformer une écurie de chevaux en université ? » Il faisait ce constat à l’occasion d’un point de presse tenu le vendredi 7 mai 2010 pour préparer un panel sur le thème : « École sénégalaise de 2000 à 2010 : état des lieux et perspectives. » 

[4]  Le taux brut de scolarisation (Tbs) atteint 92,5 % en 2009. Cet effort est cependant fortement relativisé par le faible taux d’achèvement qui est de 59,6 la même année. Je renvoie le lecteur à l’intervention de Mme Linda English, Directrice adjointe au Bureau de l’Initiative Fast-Track pour l’Education pour tous (Ept) de la Banque mondiale, à l’occasion de la rencontre avec les responsables de la Coalition des Organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep). L’accès, même à 100 %, n’est donc pas le principal.



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