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L'Union pour la Méditerranée (UPM) : dessous géopolitiques

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L'Union pour la Méditerranée (UPM) : dessous géopolitiques

Union pour la Méditérranée, l'expression est depuis quelques semaines sur toutes les lèvres, du moins en France et dans tous les pays directement concernés. Aussi bien dans les presses nationales que dans les médias internationaux, des développements de plus en plus importants sont accordés à la volonté des pays du Nord et du Sud de la Méditerranée à s'unir pour mettre en place un partenariat économique et environnemental durable et équitable. En France surtout, les festivités du 14 juillet 2008 doivent la particularité à l’organisation, à Paris, et en marge de celles-ci, de la première grande rencontre entre pays membres de l’UPM. La poignée de mains entre les Présidents libanais et syrien a incontestablement fait renaître des espoirs que l’on croyait perdus à jamais et stimulé le courage de la plupart de ceux qui œuvrent pour une paix au Proche Orient. Cependant, si les questions de la pollution de la « Grande bleue » et de cette paix justement apparaissent comme étant les éléments centraux de la rencontre de Paris, d'autres y voient tout simplement une stratégie de communication visant à légitimer un projet politico-stratégique aux objectifs flous et jusqu'ici difficilement avouables. L'effervescence constatée ces derniers jours intervient en effet dans un contexte international très particulier marqué par le développement des filières de migrations clandestines, la montée de la menace terroriste et l’intensification des réactions anti-israéliennes. Précisons d'emblée que l’idée n’est ni de contester la sincérité des ambitions affichées par les promoteurs du projet ni de faire un procès d’intention à qui que ce soit. Il s’agit plutôt de replacer la réflexion dans le contexte international actuel et de voir quel pourrait être l'importance de ces trois éléments dans la ferme motivation des différents artisans de l’UPM et de ceux de la rive Nord surtout à vouloir concrétiser aussi rapidement une telle alliance. Ainsi, on peut se poser deux questions.
 
Et si l’UPM n’était qu’un simple bouclier contre les flux de migrants clandestins et la supposée menace terroriste venue de l’Afrique du Nord et l’Orient musulman ?
 
Il faut dire que même si on évite souvent d'y faire allusion au risque d'éveiller des soupçons, les questions géopolitiques jouent un rôle primordial dans les relations entre États. Dans le contexte actuel des relations entre l'Europe et le reste du monde d'une part et entre celle-ci et les pays méditerranéens non européens d'autre part, un projet aussi ambitieux que celui d'un partenariat réunissant l’ensemble des pays de la Méditerranée - et même au-delà - ne saurait se décider sans soulever des réflexions de nature géopolitique et stratégique. En effet, vu le rôle de zone tampon que jouent les pays de la rive sud de la Méditerranée entre l'Europe et presque tout le reste du monde sous-développé, la volonté de l'Union européenne de voir cette entité devenir, pour elle, un partenaire privilégié ne pourrait s'expliquer uniquement par des ambitions économiques ou environnementales. Ces pays pourraient en effet devenir, pour l'Europe, des éléments incontournables dans sa stratégie de lutte contre les flux illégaux de toutes sortes devenue une priorité pour Bruxelles. Ceci est d’autant plus vrai que le discours de Nicolas Sarkozy tenu le 7 février 2007 à Toulon est, surtout en ce qui concerne la question migratoire, on ne peut plus clair : « c’est dans la perspective de cette union méditerranéenne qu’il nous faut concevoir l’immigration choisie, c’est-à-dire décidée ensemble, organisée ensemble, maîtrisée ensemble »[1]. Pour ce faire ainsi, la stratégie semble vite trouvée : verrouiller les différentes portes d'entrées de ces flux, lesquelles n'étant rien d'autres que les pays des rives méridionale et orientale de la mer Méditerranéenne. Seulement, il ne suffit pas, pour y arriver, de lancer des appels à la vigilance et de se contenter de simples déclarations de bonnes intentions. L'Europe et ses dirigeants – le Président français en tête - ont bien compris qu'une solution ne saurait se décider sans la contribution effective - et dans un cadre institutionnel soigneusement taillé à la mesure des enjeux en question - des différents États de la rive Sud impliqués dans le transfert illégal de biens et de personnes. Ainsi, quoi de mieux, pour y arriver, que de rebattre la carte du co-développement désormais plébiscité et intégré sans aucune réserve par ses destinataires. En termes clairs, les pays de la rive Sud de la Méditerranée risquent de n’apparaître, dans l’UPM, que comme de simples territoires-boucliers visant à stopper ou à amortir les ruées de migrants clandestins et de trafiquants de toutes sortes vers les pays de l’Union européenne. Un tel scénario serait d’autant plus désastreux pour ces pays qu’ils devront, à la place de l’Europe, supporter ses néfastes conséquences.
                
                 
Et si l’UPM n’était qu’un prétexte pour renforcer la protection de l’ami israélien contre ses voisins iraniens et irakiens ?
 
Pour mieux analyser cette question nous allons faire comme si l’UPM n’était composée que des seuls pays riverains de la Méditerranée auxquels on ajouterait trois autres : le Portugal, la Mauritanie et la Jordanie. Comme on le sait bien, le souhait de la France dont le Président est l’initiateur et le leader incontesté de l’UPM, était, au début, que l’Union se limite à ces seuls pays[2]. D’abord, pourquoi, si tel était le cas finalement, un pays comme la Mauritanie très éloigné de la Méditerranée et pas un autre comme la Bulgarie situé – si on considère sa pointe la plus méridionale – à une trentaine de kilomètres seulement de la Méditerranée (si on considère la Mer de Thrace comme un simple prolongement de la Méditerranée) contre 20 pour la Jordanie ? Si on s’en tient au critère strictement géographique, la Jordanie pose beaucoup moins problème que la Mauritanie. Mais si on raisonne de façon géopolitique, la Jordanie joue un rôle beaucoup plus important que la Mauritanie. L’un des intérêts géopolitiques de cette dernière est qu’elle rappelle à bien des égards un des principaux rôles que joue actuellement le Mexique dans l’ALENA, c’est-à-dire servir de rempart contre la migration clandestine en provenance de toute l’Amérique du Sud et à destination de l’Amérique du Nord. C’est comme si le Maroc en tant que barrière ne serait pas suffisamment efficace pour dissuader un intrus – qui aurait déjà parcouru plusieurs centaines de kilomètres - à atteindre et à franchir le Détroit de Gibraltar. Le rôle de la Mauritanie est donc sans aucun doute de renforcer l’effet de barrière entre le Sud de l’Europe méditerranéenne et le reste de l’Afrique. Aussi le tort d’un pays comme la Bulgarie ne serait-il finalement d’être situé dans une zone sans risques géostratégiques ? On serait bien tenté de répondre par l’affirmative.
                                                                                                                                                                                          
Pour la Jordanie, son rôle pourrait dépasser le strict cadre de pays rempart contre des flux migratoires encombrants. Il faut dire que bien qu’il soit un pays de taille relative petite, la Jordanie occupe une position géostratégique importante dans le contexte actuel du Proche Orient en général et pour l’Israël en particulier. D’abord il est l’un des rares pays, sinon même le seul à avoir gardé une certaine amitié avec l’Israël, le monde occidental et ses alliés, les Etats-Unis en particulier. Il serait ainsi le seul pays prêt à collaborer à une stratégie défensive visant à protéger l’Israël contre une éventuelle attaque militaire ou terroriste en provenance de l’Iran ou de l’Irak, ou même d’Arabie Saoudite. L’Israël et ses amis ne se font pas d’illusion : les faux airs de paix qu’affichent momentanément la région ne doivent pas les détourner de leur stratégie de vigilance. Dans ce contexte de ni guerre ni paix où le sentiment religieux et l’esprit revanchard ont irrémédiablement pris le dessus sur la raison, l’ennemi ne pardonnera jamais, pas plus d’ailleurs que l’AIPAC – le plus puissant lobby pro-israëlien au monde – ne reculera dans sa croisade contre les peuples de l’Antéchrist et de l’antisémitisme actif. Des mesures de précaution s’imposent donc et se servir d’un instrument comme l’UPM comme prétexte pour isoler géographiquement l’Israël vis-à-vis de ses ennemis avec la Jordanie comme territoire-bouclier peut en être une. Rappelons que ce petit pays avait, en faveur d’Israël, joué un rôle important durant la guerre du Kippur en 1973. Egalement, sa contribution dans la croisade israélienne contre l’OLP de Yasser Arafat a été plus que déterminante. L’entente entre ces deux pays connaît son point d’orgue avec la signature, en 1994, d’un traité de paix. Ainsi, pour protéger un territoire comme l’Israël, il ne suffit pas seulement de border ses frontières d’hommes armés et de chars blindés. Il faut aussi s’assurer la protection et la stabilité du voisinage immédiat afin de retarder l’exécution d’une éventuelle menace venue de l’extérieur et d’Irak surtout. Si tel est l’objectif visé à travers l’UPM, l’opération militaire Barbarossa engagée par Hitler en 1941 contre l’URSS – bien que celle-ci avait signé un pacte de non agression avec l’Allemagne – a, d’un point de vue géostratégique, sans doute servi de leçon. L’erreur de l’URSS a été sans aucun doute de ne se préoccuper que de son propre territoire, ignorant complètement ses voisins, la Pologne surtout. Une situation très bien exploitée par les armées allemandes qui, après avoir soumis la Pologne, avaient la voie grandement ouverte pour une attaque militaire contre l’URSS. 
 
 
L’UPM : quelles conséquences possibles pour l’unité africaine ?
 
Au-delà de son rôle géopolitique dans la Méditerranée, l’UPM pourrait constituer une sérieuse menace pour la cohésion du continent africain d’une manière générale. A l’heure où celui-ci cherche à mobiliser ses énergies et à œuvrer pour la mise en place d’une Union Africaine à l’image de l’UE et des USA, une telle initiative pourrait handicaper sérieusement la réalisation des objectifs fixés en ce sens. Certains dirigeants du continent ont senti la menace même s’ils ne semblent pas encore être entendus. Les réactions des Présidents Wade du Sénégal et Kaddfi de la Libye en sont la parfaite preuve. La position de l’Europe pour l’Union africaine semble claire : l’Afrique n’a pas vocation à concurrencer l’Europe. Elle doit rester un marché et un grenier à matières premières. Les africains doivent le comprendre : les récentes déclarations à propos d’une rupture dans les relations entre l’Afrique et l’Europe et plus particulièrement entre la France et ses anciennes colonies, ne sont que de la poudre aux yeux et l’UPM ne serait rien d’autre qu’un instruments de plus parmi tous les autres qu’a utilisés l’Europe - la France particulièrement - pour mener à bien sa stratégie néocolonialiste du « diviser pour mieux régner ».
 
Ousmane Thiam 

Avignon - France 

  
[1]L’intégralité de ce discours est consultable ici : http://www.u-m-p.org/site/index.php/s_informer/discours/nicolas_sarkozy_a_toulon


[2] http://tunisiawatch.rsfblog.org/archive/2008/05/16/l-organisation-de-l-union-pour-la-mediterranee-reste-vague.html



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