Maternité de l’hôpital Central indigène, inauguré le 1er mai 1914 ©Quantum
Maternité de l’hopital A. Le Dantec (ex-Hopital Central Indigène détruit en 2022 après plus de 13 ans de travaux de restauration © Jean Claude ThoretLes villes dans la ville : de la ségrégation raciale à la ségrégation par l’avoir
Dakar comme toutes les villes coloniales furent des espaces de ségrégation raciale. Les Européens dans les quartier dits Plateaux (Dakar-Plateau, Kayes-Plateau, Abidjan-Plateau) et les africains maintenus à distance dans des villes réservées exclusivement à eux afin de préserver la santé des Européens. Entre Dakar et la Médina, l’actuel quartier Rebeuss était réputée non aedificandi et la prison centrale Rebeuss était implantée dans cette zone tampon pour rappeler au peuple le pouvoir de surveiller et de punir. Pour arriver à ségréguer les populations lébous, des règlements d’urbanismes et sanitaires ont été édictées. Interdiction de construire en pisé, incendie des cases indigènes au moindre cas de maladie contagieuses, interdiction de piler ou de ses livrer à des cérémonies festives bruyantes.
L’épidémie de peste de 1914 a servi de prétexte pour créer la Médina de Dakar et d’y reloger les populations africaines. Une zone non constructible est établie entre la ville européenne et la médina. Les infrastructures mises en place répondent à cette politique. Les camps militaires Mangin et Archinard à la périphérie de la ville européenne sont érigés pour faciliter les cordons sanitaires et les quarantaines des indigènes. Le même dispositif de pont levis avait été érigé à Abidjan entre le Plateau et Treichville.
L’hôpital central Indigène, inauguré en 1914 est dédié aux soins des tirailleurs et des populations indigènes et la polyclinique Roume inauguré en 1932, est également une véritable sentinelle de surveillance de l’état de santé des populations africaines. Ces deux institutions furent également des lieux de formation des premiers médecins africains.Il convient de souligner que l’Ecole de médecine de Dakar, premier embryon de l’enseignement supérieur en AOF sera, de sa création en 1918 jusqu’en 1931, hébergée dans l’enceinte de l’hôpital central indigène. A partir de cette date, elle a été transférée au Rond-point de l’Etoile derrière l’actuelle Assemblée nationale dans les locaux occupés actuellement par I'Institut africain de développement économique et de planification (IDEP). Des élèves comme Félix Houphouët Boigny y firent leurs humanités. La salle qui tenait lieu de morgue et de travaux pratiques de dissection de corps humains pour les élèves existe encore de nos jours.
A cause de l’instrumentalisation des crises sanitaires par les politiciens (Blaise Diagne en 1914), le gouverneur général de l’AOF décide séparer la ville de Dakar de la colonie du Sénégal en créant la circonscription de Dakar et dépendances en 1924. Celle-ci devient la Délégation de Dakar en 1946. La politique déguerpissement, sera poursuivie dans les années 1950 avec la création de Grand Dakar, Pikine Dagoudane etc.
Senghor et la politique de la ville interdite
Au moment de l’indépendance, les politiques de la ville de Dakar ont toujours conservé les mêmes perspectives inégalitaires mais cette fois par une politique de darwinisme social. L’ancienne capitale de l’AOF illustre parfaitement le lieu où le pouvoir s’affirme et s’exerce sous la forme la plus subtile et parfois la plus crue. Les fous, les lépreux, les colporteurs et les hordes de villageois fuyant la misère des campagnes firent les frais de la stigmatisation. Senghor fut le premier à parler d’encombrement humain dans Dakar lors d’un congrès de son parti. Un arrêté de 1972 portant création d'un Comité national de lutte contre l'envahissement de Dakar par les colporteurs, lépreux et aliénés. Le terme "d'encombrement humain" est par la suite très vite officialisé lors d'un Conseil National du parti de Senghor, l'Union progressiste sénégalaise. Ce terme traduit à lui tout seul la manière dont se fait la gestion de l'espace urbain par la puissance publique. Elle a donné lieu à une politique répressive des comportements sociaux tels que le vagabondage, la mendicité et les petits métiers de rue qui furent transformés en "délits" et justifièrent des mesures à l’égard notamment des lépreux et des malades mentaux. Dans les discours officiels, les termes de bidonvilles comme une pathologie urbaine sont utilisés pour désigner les quartiers comme Fass Paillottes. Cette ville proche de Dakar fera l’objet de multiples incendies dont certaines jugées suspectes. La politique d’« haussmanisation » de Dakar n’a finalement pas épargné Fass qui fut transformé en HLM. Ces dernières années, Dakar est devenue une ville monstrueuse, sans âme où le béton et la pollution continuent de disputer droit de cité dans un espaces urbain aride et insalubre où les marchands de sommeil et trafiquants de tout genre impriment leur vision du monde.
Face à ces visions d’horreur, les ministères de l’urbanisme et de la culture du Sénégal ont le devoir de concevoir des politiques d’aménagement de l’espace public porteuses de sens. Par une stratégie d’inscription spatiale et paysagère de la mémoire dans la construction de l’identité nationale. Cela passe par la mise en cohérence de l’espace et la protection des lieux de mémoire de sorte que les habitants puissent se réapproprier leur ville, raconter son histoire et la transmettre à leurs enfants. Peut-être que la mairie de Dakar devrait songer à produire un dictionnaire des lieux de mémoire de la ville avant que le vacarme des pelleteuses n’impose le triste silence des ruines.
Dr Adama Aly PAM, Historien, archiviste paléographearcheo1996@gmail.com
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