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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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La politisation du droit au Sénégal

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La politisation du droit au Sénégal

Le Sénégal ne glisse-t-il pas vers la dictature ? La dictature ne signifie pas forcément des scènes de violence et d’effusion de sang. D’ailleurs, l’avènement de la démocratie et de la paix exige parfois qu’à un moment crucial de l’Histoire, des hommes et des femmes sacrifient leurs biens et leur vie pour la cause. Il en est ainsi de la Révolution Française et de bien d’autres événements similaires qui prouvent que la liberté n’est pas une donnée préexistante qu’il faut réclamer, mais une faculté qu’il faut conquérir.

Il y a dictature lorsque des perroquets grossiers, perchés sur les sièges de l’Assemblée nationale, font de la Constitution un cahier de brouillon en la raturant et manipulant sur ordre de leur parti et dans un dessein étranger à l’intérêt général. Il y a dictature lorsque la télévision dite nationale est confisquée par de ternes troubadours, maîtres dans l’art de travestir la vérité, de truquer les images, bref de déformer l’information pour plaire au parti au pouvoir. Il y a dictature lorsque la Direction des investigations criminelles est instrumentalisée pour briser la liberté d’expression et intimider toute personne hostile au pouvoir en place. Il y a dictature lorsque des vampires des deniers publics, chômeurs jusqu’en 1999 et milliardaires depuis 2000, dilapident impunément l’argent de braves contribuables dans des manifestations partisanes où se développe un méprisable culte de la personnalité. Il y a dictature lorsque le pouvoir exécutif donne l’ordre à la justice d’emprisonner les ennemis du parti et de libérer les alliés potentiels du parti. Bref, il y a dictature lorsqu’un groupe d’individus à qui le peuple souverain a solennellement confié son pouvoir, confisque ce pouvoir, en fait un bien propre, voire familial, et l’utilise à sa guise, suivant la boussole de ses seuls intérêts privés, en s’appuyant injustement sur la force publique.

Personne ne peut dire aujourd’hui avec exactitude quand les élections auront lieu au Sénégal. Celles de 2006 ont été repoussées pour faire des économies et financer le recasement des sinistrés, suite aux fortes pluies de 2005. Ainsi donc, s’il pleut beaucoup en 2006, ce que tout le monde souhaite dans un contexte sahélien, il y aura de nouveaux sinistrés et les élections couplées de 2007 seront repoussées jusqu’en 2008, et ainsi de suite. De cette belle pédagogie du gouvernement, il faut retenir deux choses :

- la survenance des élections républicaines au Sénégal est suspendue aux intempéries climatiques ;

-  les députés peuvent allonger leur mandat à chaque fois que le président le décide. Donc en allant aux urnes, le corps électoral ne sait pas pour combien de temps ses représentants resteront élus. Dans l’affaire dite des chantiers de Thiès, la présidence maintient avoir autorisé des dépenses jusqu’à hauteur de 25 milliards. Le ministre des Finances défend publiquement et de manière constante qu’il a dépensé 40 milliards. Mais il n’a jamais été inquiété par la justice. Il a même été «blanchi» par la présidence au moment où l’ancien Premier ministre est incarcéré pour avoir dépassé les 25 milliards autorisés dans ces mêmes chantiers... Les membres de la Commission nationale des contrats de l’Administration (Cnca) qui ont approuvé les contrats litigieux relatifs aux chantiers de Thiès, n’ont jamais été convoqués à la Dic. La justice s’est donc, et de façon manifeste, montrée illogique et partisane. Si la justice est injuste, qui la jugera ? Ce parti pris flagrant, qu’il faut analyser comme un manque de considération pour le peuple sénégalais, nous invite à retenir deux leçons :- l’Assemblée nationale est libre de choisir les personnes à mettre en accusation parmi celles qui sont citées dans le rapport de l’Ige, donc de manipuler et de politiser la vérité juridique ; - la justice ne s’applique qu’aux personnes qui n’ont pas été préalablement blanchies par le pouvoir exécutif.

Certains soutiennent que, dans cette affaire, il faut laisser la justice faire son travail. Ils ont raison, mais à condition que la justice reste libre, neutre et républicaine. Or, dans tous les dossiers judiciaires en cours impliquant des ennemis du parti au pouvoir, on note une curieuse et suspecte coïncidence entre le discours gouvernemental et le comportement des juges. Certains magistrats donnent même l’impression de s’acharner à liquider coûte que coûte des ennemis du parti au pouvoir, avec ou sans respect des procédures légales, avec ou sans preuve. Et, à propos de l’atteinte à la sûreté de l’Etat, les observateurs vigilants ont si bien perçu la politisation d’un dossier vide que c’est au président de la République, et non pas à la justice, qu’ils demandent de libérer l’ancien Premier ministre.

Dans l’affaire du bateau Le Joola où l’on dénombre près de 2 000 morts, la justice a entretenu un silence aux échos assourdissants, sombrant lui aussi dans le naufrage. Le président de la République a avoué, publiquement et sans détours, la responsabilité des services de l’Etat impliqués dans la gestion du bateau qui se sont montrés manifestement négligents avant et pendant ce drame cruel. Mais aucun des responsables de ses services parfaitement identifiés n’a été inquiété par la justice. Pourtant, lorsqu’un simple automobiliste tue un piéton par inadvertance, il est immédiatement et nécessairement arrêté. Même s’il est relâché par la suite, il est d’abord arrêté et jugé. De cette affaire gravissime et hâtivement classée, il faut également retenir deux leçons : - la parole du président de la République n’a pas de valeur pour les juges ;

- on peut au Sénégal, se rendre coupable, par négligence, de la mort d’innocentes personnes et dormir tranquille.

Dans l’affaire Sud Fm, sous l’instigation de sinistres vautours détraqués par un pouvoirisme quasi-pathologique, des hommes dits de loi ont pénétré illégalement dans des locaux privés, sans mandat ni de perquisition, ni d’arrêt, ni même d’amener, pour fermer la radio et embarquer tout le personnel sous prétexte que les journalistes ont publié les propos d’un rebelle jugés subversifs, alors qu’au même moment, les dirigeants de cette rébellion barbare qui a coûté la vie à des centaines de nos concitoyens, y compris des femmes, enfants et vieillards innocents, se pavanent sur le territoire national et sont même reçus à grande pompe dans des réunions officielles… Ils font même l’objet d’une «politique de charme[1]» de la part du gouvernement.

Sur bien des dossiers, la supercherie est tellement gauche et manifeste qu’elle frise la désinvolture. Le moins informé des Sénégalais sait que le couplage des élections n’est qu’une ruse maladroite pour repousser les élections législatives, d’abord pour semer la confusion dans l’esprit des électeurs en invitant le président de la République, seule constante de son parti, dans la campagne législative et présidentielle couplée, et ensuite, pour se donner le temps de transformer les brassards rouges en drapeaux bleus, ces drapeaux partisans brandis dans des manifestations officielles par des militants ignares, sans qu’aucun cadre du parti n’intervienne pour leur apprendre à distinguer la République du parti (...) 

Ce n’est pas critiquer exclusivement le pouvoir libéral, car le défunt pouvoir socialiste s’était, lui aussi, rendu coupable de dérives graves. Mais il y avait dans l’ancien régime, un minimum de d’élégance, de discrétion et de mesure. Ce régime, quoique frappé par l’usure du pouvoir, avait au moins le mérite de nommer des ministres présentables et fréquentables, dont certains, de par leur charisme, inspiraient aux citoyens le respect de l’Etat. Aucun gouvernement au monde n’a les mains totalement propres, mais quand on décide de faire le mal, il faut le faire avec les règles de l’art, il faut bien le faire (...) 

Malgré ces dérives inédites, le peuple sénégalais reste passif, amorphe et incapable de défendre ses libertés par les moyens que lui offre la Constitution. Peut-être alors qu’il n’a que les dirigeants qu’il mérite.

 



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