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[ Contribution ] Leçon de la crise alimentaire de 2008 : elle fut d’abord sénégalaise avant d’être mondiale.

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[ Contribution ] Leçon de la crise alimentaire de 2008 : elle fut d’abord sénégalaise avant d’être mondiale.

Il y a de cela une année, les images poignantes de manifestations de rues initiées par les associations de consommateurs soutenues par des leaders célèbres de l’opposition, faisaient le tour du monde. L’opinion mondiale, sans hésiter, conclut aux « émeutes de la faim » comme celles intervenues en Cote d’Ivoire, au Burkina Faso, en Haïti, etc. Ce fut un coup dur pour notre pays, relégué au rang des pays fragiles, contrairement à l’image d’une nation sûre et stable économiquement que cherche à lui construire notre diplomatie dynamique. Les autorités prises de court, ont d’abord tenté de nier, puis de minimiser, ensuite de crier à une manipulation politique, sans convaincre une opinion nationale et internationale persuadée que la situation est à prendre au sérieux. Devant l’évidence, elles admettent la réalité de la crise, mais l’imputent à la situation mondiale qui échappe à tout contrôle. Cela est vrai mais en partie seulement.

1 – Pourquoi les prix alimentaires ont augmenté dans le monde ?

Les prix mondiaux des céréales (riz, blé, maïs) dont le Sénégal est importateur net, ont plus que doublé, en passant de moins de 300 $US la tonne en 2006 à plus de 600 $ en 2008. Cette hausse brutale intervient après une décennie (95 à 2006) de prix anormalement bas et stables (300 $/T) du fait d’une politique systématique de subventions agricoles et de dumping pratiquée par les grands pays du nord. En violation flagrante des principes et règles qui gouvernent le commerce mondial tels qu’édictés par l’OMC. La crise financière survenue en 2006, amplifiée par la crise de l’immobilier aux USA et conjuguée avec la flambée du baril du pétrole, ont favorisé une arrivée massive d’investissements dans l’agriculture qui induit une hausse des prix.

Face à l’issue incertaine de la crise les pays exportateurs de céréales (Inde, Pakistan, Thaïlande, Chine) ont préféré restreindre leurs ventes pour accroitre leurs stocks de sécurité intérieure. Cela s’est traduit par une baisse de l’offre qui a engendré la hausse des prix sur le marché mondial. Cette baisse de l’offre a été accentuée par l’augmentation de la consommation intérieure consécutive à une augmentation du nombre et du niveau de vie de la population dans ces pays émergents. Les catastrophes naturelles (sécheresse, inondations, tempêtes) signalées en 2006 et 2007 au Brésil, en Russie, en Inde, en Australie, ont aggravé le déficit de l’offre céréalière sur le marché mondial et fait flamber les prix.

Le développement de la culture des agro-carburants sur des terres reprises aux cultures céréalières dans les pays industrialisés est aussi identifié par la banque mondiale comme un facteur déterminant de la hausse des prix alimentaires mondiaux.

2 – Pourquoi les prix ont augmenté au Sénégal ?

Naturellement les prix mondiaux sont transmis mécaniquement sur le marché sénégalais des produits concernés. Les prix du riz, du lait en poudre, du pain, ont enregistré une hausse moyenne de 35 à 40% en l’espace de 6 mois (de janvier à juillet). L’Etat a fortement atténué cette hausse en renonçant aux taxes douanières sur ces produits et subventionnant même le riz. Les commerçants de leur côté ont dû accepter une réduction de marges bénéficiaires pour conserver leurs clientèles.

Le Mil et le Maïs pourtant produits au Sénégal ont néanmoins vu leurs prix monter sur les marchés ruraux et urbains en raison du phénomène de substitution. En effet la forte hausse du prix du pain a amené les consommateurs urbains à reporter leurs préférences sur les produits issus des céréales locales (fondé, et couscous au diner et petit déjeuner). Ceci a entrainé un accroissement de la demande qui induit une augmentation des prix des céréales locales. Ce déficit de l’offre céréalière locale a été creusé par les mauvaises récoltes de l’hivernage 2007.

Des tensions saisonnières cycliques notées sur les marchés céréaliers locaux pendant la période dite de soudure (juin à septembre) ont joué également à doper les prix alimentaires. Pendant les récoltes les producteurs ruraux pauvres vendent, à bas prix, une partie prélevée sur leurs stocks vivriers pour subvenir aux besoins en numéraires de leurs familles (scolarité, cérémonies diverses). Avant les récoltes suivantes ils reviennent en masse sur les marchés pour racheter ces mêmes céréales et nourrir leurs familles, créant ainsi un effet de hausse saisonnière sur les prix.

3 – En quoi la crise est-elle donc sénégalaise d’abord ?

La transmission de la hausse des prix mondiaux ne s’est pas faite de la même manière dans tous les pays. Le Mali voisin a connu une hausse relativement modérée à faible des prix de ces produits, car il produit 90% de ses besoins alimentaires contrairement au Sénégal qui importe 60% de siens. Le Burkina Faso a pu absorber l’onde de choc en décidant d’interdire les exportations de céréales vers les pays voisins. Chez nous c’est ce statut d’importateur net qui a amplifié le choc des prix extérieurs et l’a transmis jusqu’aux ménages les plus pauvres en campagne comme en ville. Ce mouvement est facilité par la forte propension des ménages sénégalais ruraux comme urbains, à consommer des céréales importées tel que le riz et le pain qui entrent pour 48% dans la composition des mets familiaux. Cette forte progression du riz importé et du blé dans les habitudes alimentaires des ruraux s’explique par l’insuffisance et l’irrégularité de la production nationale, et par les imperfections notées dans les marchés céréaliers locaux dominés par des groupes de commerçants spéculateurs.

4 – Le Sénégal pourra-t-il sortir de la crise ?

Le monde lui-même n’a pas vu venir la crise et les multiples solutions expérimentées pour la juguler ne réussissent pas encore à dissiper le scepticisme des acteurs économiques. Notre pays est dans le même cas. Pire le seuil de cette dépendance alimentaire qui détermine la vulnérabilité de notre socio-économie, a été franchi depuis 1998 sans émouvoir nos décideurs qui se sont comportés comme si de rien n’était. Pourtant le pays avait déjà entamé sa marche vers une crise alimentaire inéluctable dont la situation mondiale n’a été qu’un révélateur et un accélérateur.

Face à la crise, les pouvoirs publics ont réagi par 3 types de mesures : i) réduction voire suspension de taxes et droits de douanes ; ii) subventions à la consommation ; iii) relance de la production avec le Programme National d’Autosuffisance en Riz en 2012. Les deux premières ont rapidement étalé leurs limites quand la crise persiste. La troisième montre que les ressources importantes à mobiliser le seront au détriment d’autres filières importantes comme l’arachide dont les producteurs recevront moins de semences (30.000 tonnes) cette année que l’année dernière (70.000 tonnes). En plus si l’on réalise l’autosuffisance riz en 2012, la conservera-t-on au-delà vu que notre pays est dans une phase de transition démographique entamée depuis 1975 et qui ne s’achèvera pas avant 2050 ?

Faap Saly FAYE

Ingénieur Agronome

[email protected]



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