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[ Contribution ] Le sexe des religions (par Mamadou Moustapha Wone, sociologue)

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[ Contribution ] Le sexe des religions (par Mamadou Moustapha Wone, sociologue)

En 2004, « Le sexe d’Allah », le livre de Martine Gozlan (reporter à Marianne et spécialiste des problèmes de Société et de Religion), a eu, comme après celui de Shalman Rushdie « Les versets sataniques », à provoquer un séisme émotionnel chez les musulmans du monde entier. Au Sénégal, ce livre  est depuis purement et simplement interdit de vente et de promotion.

« Le sexe d’Allah », on ne saurait choisir certes titre plus provocateur et « Les versets sataniques » fait réellement pâle figure devant celui-ci. On tremble même en prononçant ces quelques mots pleins d’équivoques et de susceptibilités, et la peur de voir le ciel nous tomber sur la tête, et la terre se dérober sous nos pieds, ne manque d’effleurer l’esprit de certains musulmans.

Pourquoi ? Parce qu’à travers le titre de ce livre (nous ne ferons allusion qu’au titre et non au contenu de ce livre), on touche à une zone réellement sensible et vraiment taboue dans les contrées musulmanes, « le sexe » ! Non seulement, c’est archi tabou dans ces sociétés-là, mais aussi et surtout on ne saurait être plus blasphémateur quand on parle de « sexe…d’Allah ».

Cela dit, chose paradoxale, comme à l’accoutumée, dans ce monde musulman, au lieu de voir ses intellectuels ou ses ulémas prendre ce livre et montrer à son auteur que son contenu n’a rien de sérieux et d’objectif comme l’ont fait encore une fois certains intellectuels occidentaux (Jean Michel CROS) , ce monde musulman, une fois de plus, a préféré se barricader derrière la Fatwa, l’autodafé, la satanisation. Attitudes faciles, s’il en est !

La meilleure attitude aurait été de montrer en quoi ce livre est insignifiant si on arrive réellement à lui trouver quelques imperfections. Sinon, il aurait été plus réaliste que les musulmans se remettent en cause et essayent de balayer devant chez eux avant de jeter l’anathème sur tout ce qui bouge !

Cependant, fermons cette parenthèse déjà vieille de cinq ans et essayons d’ouvrir une autre, plus vieille certainement de plusieurs millénaires, mais toujours d’actualité, à savoir la très grande part sexuée des conceptions et images sur « Dieu » et les pratiques et implications nombreuses qui en ont découlé.

Il n’est pas besoin de prime abord d’être historien des religions pour savoir que dans toutes les religions dites révélées, aucun des prophètes répertoriés d’Adam (Adama) à Mahomet (Muhammad) n’est de sexe féminin. C’est même une boutade que de le dire ! Hormis quelques rares figures féminines emblématiques, Marie (Mariam), l’épouse de pharaon du temps de Moïse,  présentées comme des saintes, aucune femme n’a jamais été désignée comme prophète. L’attitude de l’islamologue sénégalais Makhtar Seck qui a consisté à dire que « il n’ya pas de femme prophète, mais qu’elles sont les mères de tous les prophètes » peut prêter à pleurer de rire.

Ainsi, c’est un fait indéniable que dans les religions révélées, que dans les rangs des prophètes, on n’y trouve même pas un singleton de femme.

Dans la religion juive, par exemple, «l’homme juif » loue Dieu en le remerciant de l’avoir fait naitre homme, alors que « la femme juive » loue le même Dieu, en le remerciant de l’avoir conçue selon sa volonté.

Mieux dans certaines conceptions de base de certaines religions, on trouve une certaine « divinisation du mâle » ou une certaine « masculinisation de Dieu ».

Ainsi, dans la religion chrétienne, la conception de base qu’elle donne de Dieu est une conception purement et simplement « sexuée », ou à tout le moins, l’image qu’elle renvoie, laisse entrevoir cet aspect.

« Dieu le père », « Dieu le fils », on ne saurait être plus clair dans cette attitude de « déification du sexe masculin » ou de « masculinisation de Dieu ».  Si « Dieu est père », cela pourrait laisser penser que le père est supérieur partout à la mère, et que partant le sexe masculin est supérieur au sexe féminin.

Ainsi, dans ce vent d’émancipation ou d’égalitarisme qui a entrainé par exemple dans les pays anglophones un remplacement du mot « chairman » qui renvoyait au sexe masculin par cet autre « chairperson », terme sexuellement plus neutre ; on pourrait bien alors s’interroger sur la validité, la représentativité et la durée de vie de cette expression religieuse « au nom du père, au nom du fils ».

« Dieu le fils » pourrait bien faire penser que le fils est supérieur, meilleur que la fille. C’est peut être cela qui explique que pendant longtemps, le fils est toujours mieux choyé dans les sociétés judéo-chrétiennes  et que dans les pratiques quotidiennes, jusqu’ici, ce monde est fait pour et par les hommes, malgré les politiques de « discrimination positive ».

Ainsi, dans la religion chrétienne, de prime abord, c’est-à-dire dans sa conception fondamentale, on note une certaine image de Dieu sous des formes masculines. Cela se traduit aussi dans les faits. Jusqu’ici, le clergé n’est formé que d’hommes. On ne peut être jusqu’ici une femme prêtre, malgré le coup de boutoir que l’on tente de faire, et la pensée d’un pape-femme n’effleure l’esprit de personne malgré le dévouement de certaines d’entre elles comme Mère Teresa ou sœur Emmanuelle. 

Pour ce qui est de la religion musulmane, il faudrait reconnaitre que dans la conception de base qu’elle donne de Dieu, on ne peut noter une certaine image de masculinisation de Dieu. Sa conception de base c’est « au nom de Dieu, le clément et le miséricordieux ». Même si on peut épiloguer à perte de souffle sur la « clémence » et la « miséricorde », c’est-à-dire essayer de donner, de décrypter, de décrire l’image de ces attributs, ou même s’il est difficile de se départir malgré tout de cette image anthropomorphique de Dieu, on reconnaitra que Dieu est « asexué » ici.

Cependant, dans la religion musulmane, on reconnait que Dieu accorde une certaine prééminence de l’homme sur la femme. Jusqu’à présent, les musulmans tiennent sans ambages ce discours. Certaines expressions décrivant ou montrant que la femme n’est point l’égale de l’homme sont légion. Ainsi, dans le Coran, s’il est fait quelques fois mention que les hommes qui entrent au paradis auront avec eux des « urul aïni » avec des seins à jamais juvéniles, pour ce qui est des femmes, la nature de leur récompense est passée sous silence.

Toujours dans cette lignée, il est expressément dit dans le Coran qu’en cas de désobéissance, l’homme pourrait châtier la femme, que l’homme peut être polygame contrairement à la femme. Et dans la charia, le témoignage de  deux femmes équivaut à celui d’un seul homme, parce qu’elle oublierait vite et se laisserait plus facilement distraire que l’homme.

Ainsi, dans certains versets ayant trait à l’héritage, on voit qu’il y est accordé à l’homme, une part doublement supérieure  à celle de la femme. Certains exégètes développent que c’est parce que l’homme est chargé d’entretenir la femme qu’il a cette part double qui ne serait donc pas une faveur, mais une juste équité des choses. Mais dans les temps actuels où l’on note de plus en plus que beaucoup de femmes entretiennent leurs maris, qu’elles ont tendance à faire ce que font les hommes ; faudrait-il alors abroger cette répartition, ou faudrait-il retourner les femmes au foyer pour maintenir cette répartition ?

Il  n’est pas besoin de disserter longtemps pour faire montre que chez les musulmans aussi, la société y est patriarcale, si bien que le divorce n’y est valable que si l’homme le prononçait. La femme ne peut que le demander à son mari. La femme est ainsi faite qu’elle est toujours à la disposition de l’homme.

Et toutes ces prérogatives que nous avons citées et d’autres que nous n’avons pas relevées, reposent sur la religion qui a contribué à tort ou à raison à asseoir une ascendance plusieurs fois millénaire des hommes sur les femmes.  

Dans le monde musulman, comme dans celui-là chrétien, le sexe des religions est très aisé à reconnaitre, il est masculin ! On n’a pas besoin d’échographie pour le savoir.

Cette domination tire sa nature et sa légitimité à partir des religions, ou à tout le moins, cette domination tire certainement sa légitimation en partie à partir des interprétations religieuses. Ainsi, dans ces deux mondes, la culture, la civilisation, la vie quotidienne, presque tout s’y passe jusqu’ici avec cette négligence que « plus de la moitié des hommes sont des femmes. »

A l’heure actuelle où au Sénégal et partout dans le monde, l’on milite pour l’égalité des sexes, serait-il bon de rappeler à l’instar de Simone de Beauvoir que « on ne naît pas femme, on le devient », mais qu’aussi, « on ne naît pas homme, on le devient ». Ainsi, peut être, l’expression sénégalaise « goorgoorlu » aura à ses côtés et en toute fierté et avec le même entendement, une expression qui irait bien aux femmes « jigeenjigeenlu » ou à défaut « nitnitlu », c’est plus approprié ainsi. Mais, pour cela, ne faudrait-il pas passer par une relecture des textes fondamentaux des religions ? Ces religions, terre promise de la misogynie ! 

Mamadou Moustapha WONE

Sociologue

BP: 15812 Dakar-Fann

[email protected]



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