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[ Opinion ] Les élections locales sont-elles utiles au Sénégal ?

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[ Opinion ] Les élections locales sont-elles utiles au Sénégal ?

Dimanche, le pays va voter pour les élections locales. Chaque parti ou coalition de partis, admis à recueillir le suffrage des Sénégalais, a fini de déployer des efforts et des moyens conséquents pour convaincre et pour rallier un grand nombre d’électeurs.
Toute élection est, par essence, démocratique dans la mesure où le suffrage universel constitue une conquête, une victoire contre le suffrage censitaire fondé su l’avoir ou sur le savoir. En effet, on supposait que seuls ceux qui étaient fortunés et instruits pouvaient avoir une capacité de discernement leur permettant de faire un vote juste et utile.
Le suffrage universel peut être remis en cause (cf Philipe Braud le suffrage universel contre la démocratie) mais, il demeure la pierre angulaire sans laquelle tout l’édifice républicain s’effondre.
Au Sénégal, la décentralisation a été introduite depuis la période coloniale avec les «quatre Vieilles» (Dakar, Gorée, Rufisque, Saint-Louis).et elle a connu une évolution fulgurante marquée par plusieurs étapes importantes (1960 ; 1966 ; 1972 ; 1990 ; 1996…). Donc, cela fait plus d’un siècle qu’on vote au Sénégal. Cependant, l’expérience en matière électorale ne rime pas toujours avec la perfection voire le perfectionnement du système électoral.
En effet, la décentralisation sénégalaise présente tellement de limites, d’écueils et d’insuffisances qu’on ne pourrait les aborder sans verser dans l’énumération fastidieuse. Cependant, il serait intéressant de citer les écueils les plus saillants au-delà des limites récurrentes relatives à la faiblesse des moyens matériel, humain, financier et à la lourdeur de la tutelle (ou le contrôle de légalité même allégé).
Ces écueils peuvent être abordés sous un triptyque à savoir le cumul des mandats et des fonctions (I), la gestion gabégique et clientéliste des Collectivités locales (II), et le pouvoir de dissolution dévolu au président de la République (III).

I- Le cumul des  mandats et des  fonctions
Dans son acception la plus partagée, le cumul est le fait pour une personne d’exercer un pouvoir à des niveaux différents. Le cumul n’est pas uniforme. En effet, il peut être horizontal, vertical, oblique… Dans tous les cas, le cumul est relatif à des mandats et / ou à des fonctions.
Pour Christophe Guettier, le cumul des mandats n’est pas un remède à un mal. C’est le «mal lui-même» c’est ce qui fait que, dans certains pays, le mandat unique est consacré (Danemark). Aux Etats-Unis, au Portugal, en Espagne, en Italie on a formellement interdit le cumul des mandats.
Pour Kadialy Gassama, «la notion même de cumul est chargée négativement, elle renvoie à l’anormalité : si, par extraordinaire, le cumul devrait s’exercer, il serait par défaut… qu’il s’agisse de dettes, de fonctions, de femmes ou toute autre chose qu’on peut imaginer, le cumul n’est pas souhaitable».
Qui plus est, les cumulards n’ont pas le don d’ubiquité. Par conséquent, ils ne peuvent pas servir «deux maîtres à la fois». Dans cette optique, Yves Nény affirme : «Il y a une impossibilité pratique d’exercer convenablement les fonctions législatives et les fonctions électives locales.» Malheureusement, au Sénégal depuis 2002, le cumul a été renforcé. On peut être à la fois député et maire. Pour se donner bonne conscience ou pour donner la vraie fausse impression qu’il travaille, le cumulard s’appuie sur des collaborateurs. Ces derniers deviennent donc, les principaux responsables des affaires pour lesquelles ils n’ont pas, en principe, été habilités à intervenir. Cela pose toute la problématique de la légitimité de l’élu car, le collaborateur n’a aucune légitimité politique.
A cet effet, Pierre Olivier Caille affirme «qu’il n’est pas satisfaisant, en démocratie, que l’Administration remplace l’autorité politique élu». Il en est ainsi quand la fonction de maire est exercée par le Secrétaire municipal.
Au Sénégal, certains maires qui exercent d’autres fonctions ou mandats peuvent rester, un mois voire plus, sans retourner dans leurs localités qu’ils doivent en principe administrer. La gestion d’une municipalité nécessite une présence quotidienne pur «tâter» le pouls de sa localité afin d’apporter, en cas de besoin, les remèdes nécessaires et efficaces. Elle s’accommode mal d’une absence prolongée ou d’une présence sporadique et épisodique.
Le cumul des mandats et des fonctions peut aussi faire naître des conflits d’intérêts. Ainsi, un député-maire peut être tenté de déposer une proposition de loi sur des sujets qui intéressent, en particulier, sa circonscription. De même, un ministre-maire peut privilégier sa Commune pour l’octroi d’une subvention accordée par l’Etat.
Le cumul peut aussi freiner l’élargissement de la classe politique. En effet, pour Pierre Olivier Caille, «le cumul des mandats conduit à la fermeture de la classe politique, une minorité d’élus accaparant les principales fonctions politiques». Certains auteurs n’ont pas hésité à parler de «noblesse de représentation» de «tribalisme municipal» de «seigneuries électives» voire de «dynasties familiales».
Le cumul des mandats agit donc, comme un véritable mode de sélection du personnel politique qui renferme le système sur lui-même, une sorte de darwinisme politique.
En effet, avec ce darwinisme politique seuls les cumulards se partagent entre eux les pouvoirs, les mandats, les fonctions, les avantages matériels et financiers etc. On doit tendre au Sénégal vers une interdiction du cumul pour le renouvellement de la classe politique afin de permettre aux jeunes et aux femmes de s’impliquer d’avantage dans la chose politique. Par conséquent, il faut imposer un âge maximal pour exercer des mandats, consacrer le renouvellement successif avec interdiction de briguer plus de deux mandats.
L’accès aux fonctions et aux mandats étant un principe constitutionnel, on ne peut pas interdire à un citoyen de postuler à un mandat ; mais s’il se trouve en situation de cumulard, il doit opter pour un mandat ou une fonction au détriment d’un (e) autre suivant son libre choix et sa libre conscience.
Au Sénégal, on doit donc tendre vers la suppression du cumul et consacrer cette formule simple mais pertinente un homme = un mandat = un renouvellement = une indemnité.

II- La gestion  gabégique et clientéliste des Collectivités locales
L’une des plaies les plus béantes et répugnantes de la décentralisation sénégalaise est relative à sa politisation extrême (cf Les sept plaies de la décentralisation, Jean Emile Vie, Economica, 1989 ; 76p.).
En effet, au Sénégal tout commence et tout finit par la politique politicienne. La décentralisation n’a pas échappé à cette règle érigée en dogme au pays des baobabs. Elle est dénaturée dans sa philosophie, transgressée dans son organisation et pervertie dans son fonctionnement. Malick Diagne ne dit pas le contraire lorsqu’il affirme, «les Collectivités locales sont le plus souvent des permanences politiques locales avec, à la tête, des responsables politiques locaux fonctionnant au profit du parti au pouvoir et accordant un rôle prépondérant à une gestion clientéliste avec un personnel municipal pléthorique et peu qualifié, des dépenses de fonctionnement surdimensionnées et des investissements faibles».
Cette plaie de la politisation est béante. Elle entraîne le favoritisme, le clientélisme et le népotisme ; rend opaque la passation des marchés publics en violation flagrante et délibérée des textes régissant la matière. Enfin, elle freine le développement local dans la mesure où les rares ressources dont disposent les Collectivités locales servent à couvrir les dépenses de fonctionnement qui grèvent la portion la plus importante du budget. Les dépenses d’investissement qui devraient servir à améliorer le bien-être des populations sont la plupart du temps, renvoyées aux calendes grecques. A moins que, par la magie de la coopération décentralisée, certains partenaires extérieurs viennent combler ce gap. Mais, pour cela il faudrait avoir un carnet d’adresses bien fourni ; ce qui n’est pas le cas de la majeure partie des exécutifs locaux qui brillent par leur incompétente, leur manque de vision, leur carence administrative et managériale.
Le dernier boulet qui neutralise la décentralisation sénégalaise et l’empêche de prendre son envol est relatif au pouvoir de dissolution unilatéral dévolu au président de la République.

III- Le pouvoir de  dissolution dévolu au president de la République
Aux termes des articles 52, 173, 235 de la loi 96-06 du 22 mars 1996 portant code des Collectivités locales, lorsque le fonctionnement, respectivement, d’un Conseil régional, d’un Conseil municipal ou d’un Conseil rural se révèle durablement impossible, sa dissolution peut être prononcée par décret, après avis du Conseil d’état.
Ce pouvoir de dissolution unilatéral dévolu au président de la République est en porte-à-faux avec la philosophie de la décentralisation. La suppression de la tutelle et son remplacement par le contrôle de légalité s’accommode mal avec cette tutelle napoléonienne qui plane, comme une épée de Damoclès, sur la tête des Collectivités locales.
L’usage politicien que pourrait en faire le président de la République ne peut être occulté par des arguments aussi fallacieux que saugrenus les uns des autres. La dissolution des Collectivités locales comme Thiès, Mbour, Kédougou, Kayar, HLM, Golf Sud, Sangalkam, Malicounda… ne peut être justifiée par des préoccupations purement pratiques et pragmatiques.
A quoi donc serviraient les élections locales si le président de la République pourra, du jour au lendemain, prononcer la dissolution des Collectivités locales qui ne seraient pas sous sa coupe ; et y installer des délégations spéciales par l’entremise de son ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales.
Ce pouvoir de dissolution doit être une prérogative reconnue à une autorité juridictionnelle qui devrait en mesurer tout le sens et toute la portée.
En effet, en cas de blocage manifeste ou d’impossibilité de fonctionnement total, l’autorité de la tutelle devrait adresser une mise en demeure à l’organe exécutif ou délibérant concerné. Si à l’expiration d’un délai quelconque, cette mise en demeure est restée infructueuse et n’est donc pas suivie d’effets escomptés, l’autorité de tutelle saisit la juridiction compétente. Il reviendrait à cette dernière d’apprécier la nécessité et l’opportunité d’une éventuelle dissolution.
Par ailleurs, il faut noter un autre écueil de la décentralisation sénégalaise relatif aux modes de scrutin : majoritaire et proportionnel. Le fait de mettre un pourcentage équivalent (50%) aussi bien pour le scrutin majoritaire que pour le scrutin proportionnel, ne milite pas en faveur d’une représentation diversifiée où toutes les sensibilités pourraient s’exprimer dans les assemblées locales. Ce pourcentage favorise le parti sorti vainqueur au niveau du scrutin majoritaire (pour la majeure partie le parti au pouvoir). Il faudrait dont le corriger en instituant, par exemple 30 à 40 % au scrutin majoritaire et 60 ou 70 % au scrutin proportionnel.
Cela aurait le mérite de lutter contre une assemblée presque monocolore et, instituerait une minorité de blocage afin que les décisions soient légitimes et bénéfiques pour les populations concernées.
Pour finir, il faudrait bien méditer les propos pleins de sagesse de Desmousseaux : «On ne gouverne avec succès ni les hommes ni les affaires par routine ou par hasard, qu’il faut y être préparé par des études ou des méditations antérieures. Les lumières ne rendent pas vertueux mais sans elles, la vertu est inutile en administration».

Ousmane DIAGNE - Doctorant en Droit Spécialiste en Décentralisation Diplômé de l’Ugb et de Paris I Sorbonne / [email protected]



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