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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Contribution ] Monsieur le président, êtes-vous vraiment la personne la mieux indiquée pour porter certaines accusations ?

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[ Contribution ] Monsieur le président, êtes-vous vraiment la personne la mieux indiquée pour porter certaines accusations ?

Dans une interview accordée à Mamadou Seye, envoyé spécial du quotidien national "Le Soleil" à Belfast (Irlande du Nord), Me Wade répond ceci à une question sur la dissolution de certaines collectivités locales : « Tous les conseillers des collectivités dissoutes, les dirigeants surtout, devraient être aujourd’hui en prison. Je suis formel. On ne parle pas de ce qu’ils ont fait. Il y en a ceux qui ont vendu des terres, alors que ni le maire, ni le président de conseil rural n’ont le droit de vendre des terres. En dehors de cela, il y a des détournements de deniers publics, il y a des détournements d’aides étrangères. Il y a des blocages. Ça c’est prévu par la constitution. Maintenant, ceux qui ne sont pas d’accord peuvent aller devant les tribunaux ».

De la bouche du président Wade, ces propos étonnent vraiment et appellent des questionnements. Cet homme-là est-il vraiment bien placé pour prononcer de tels propos ? Persiste-t-il à nous prendre pour des moins que rien ? Retient-il le minimum de souvenirs de sa propre pratique quotidienne ? Nos concitoyens qu’il accable ici sont-ils plus coupables que lui ? Ces accusations qu’il porte sur les conseillers et les dirigeants de collectivités locales dissoutes sont très graves. Et, selon, lui, ils « devraient être aujourd’hui en prison ». Pourquoi n’y sont-ils pas déjà ?

Rares sont les personnes, en tout cas tant soit peu averties, qui accorderont le moindre crédit à ces menaces voilées de l’homme qui nous dirige. Il a déjà raté l’occasion d’envoyer en prison les conseillers et présidents incriminés. C’est ce qui explique d’ailleurs son emploi du conditionnel : « Ils devraient ». N’est-ce pas lui-même qui, le 9 janvier 2 007, s’appuyant « sur des rapports du Ministère de l’Intérieur et de l’Inspection générale d’État », interpellait des présidents de conseils ruraux qui vendaient des terres sans en avoir la compétence ? Et il leur lançait cette curieuse déclaration : « Si j’avais suivi la loi, certains d’entre vous iraient en prison. » C’était au Méridien Président et, le même jour, la télévision nationale est revenue sur cette fameuse déclaration dans son journal de 20 heures .

Je crois donc que les responsables de collectivités locales dissoutes peuvent dormir à poings fermés : jusqu’à preuve du contraire, ils n’iront pas en prison . Nous avons entendu le président Wade, en maintes autres occasions, menacer de traduire en justice des compatriotes, sans que les menaces soient suivies d’effets. Il en a été ainsi de l’affaire dite des Industries chimiques du Sénégal (Ics).

On se rappelle que le 8 mars 2 006, Me Wade est allé à Paris rehausser de sa tonitruante présence la cérémonie de dédicace du livre d’un certain Mamadou Alpha Barry, et dont le titre est « Abdoulaye Wade, sa pensée économique, l’Afrique reprend l’initiative » . L’événement s’est déroulé au Sénat français. Le lendemain, il a tenu un point de presse au cours de laquelle il est longuement revenu sur les difficultés que connaissaient les Ics. Après des déclarations fracassantes qui n’avaient pratiquement épargné personne, Me Wade prononça ce sévère réquisitoire contre l’entreprise en difficulté : « Les ICS sont en situation de banqueroute. On nous a caché la vérité : il y a de la prévarication et des détournements. Je viens de faire un audit qui est sur ma table et dont on me dit, parce que je ne l’ai pas encore lu (sic, ndla), qu’il montre des choses tout à fait extraordinaires ». Et Me Wade de poursuivre, le ton vraiment menaçant : « Je vais lire cet audit et je vais le donner au tribunal pour qu’on juge ces gens qui ont mis le Sénégal dans cette situation ». Qu’en est-il aujourd’hui de cette affaire ? Qui en entend même parler ?

Les prévarications et les détournements qu’il donne ici l’impression de flétrir, ne le dérangent pas le moins du monde. Au contraire, depuis le 1er avril 2 000, il les couvre, il les couve, il les entretient. Il en fait autant de la corruption. Abordant cette plaie sénégalaise, africaine, dans son discours à l’occasion de la Rentrée solennelle des Cours et Tribunaux le 10 janvier 2 007, il la banalise en ces termes : « La corruption existe dans tous les pays et si on en parle tant au Sénégal, c’est à cause de la vitalité démocratique au Sénégal qui permet aux journalistes de les dénoncer sans courir le risque d’être tués ou d’aller en prison. » Et notre vieux président de poursuivre le plus naturellement du monde : « Ces scandales sont des accidents de parcours qui seront digérés au fur et à mesure. » Et voilà le tour joué ! Tout cela est vraiment énorme et le président s’en sort toujours sans frais !

Les conseillers et présidents de collectivités locales dissoutes ont donc vraiment bon dos et, à leur place, j’aurais interpellé le président en ces termes : « Êtes-vous vraiment bien placé, Monsieur le président, pour dissoudre nos collectivités pour motifs de ventes illicites de terrains et de détournements de fonds publics ? » Et ils seraient bien fondés à lui poser cette question. Combien de terrains ont-ils été vendus ou cédés (qui sait ?) depuis le 1er avril 2 000 ? Dans quelles conditions les nombreuses réserves foncières de Dakar ont-elles été déclassées et que sont-elles devenues ? Qu’en est-il aussi des précieuses terres du domaine maritime, de celles de l’ex-Champ de Courses, du Stade Assane Diouf ? Quel Sénégalais, à part Wade père, Wade fils et le maire de Dakar a-t-il la moindre information sur les transactions concernant ces terres-là ?

Les conseillers et présidents de collectivités locales dissoutes ont encore vraiment bon dos quand Me Wade, que nous connaissons bien désormais, les accuse de détournements de fonds publics et d’aides étrangères ! Que ne lui rétorquent-ils pas ceci : « Dites-nous, Monsieur le président, avant de nous accuser aussi gravement, qu’en est-il de ce fameux butin de plusieurs dizaines de milliards de francs qui empoisonnent vos relations avec votre "fils d’emprunt" ? » Ils peuvent aller plus loin encore en lui demandant l’origine des dizaines d’autres milliards que ce même "fils d’emprunt" a révélé avoir géré dans le cadre des fonds spécifiques , alors que le montant autorisé annuellement dans ce cadre par l’Assemblée nationale, excède rarement 640-650 millions de francs Cfa.

Ils pouvaient même frapper un plus grand coup encore en évoquant l’un des plus gros scandales de la gouvernance libérale : le fonds taïwanais de 7,5 milliards de francs Cfa, dont l’objectif déclaré dans des correspondances officielles était la réalisation de projets sociaux . Cet important fonds aurait été détourné et planqué dans une banque de Nicosie (Chypre), où il n’aurait d’ailleurs que transité. On nous annoncera plus tard que le président Wade a fait « don » au gouvernement de la République de la substantielle somme de 6 milliards que l’ex-Premier ministre Macky a distribués à un certain nombre de ministres. Tenez-vous bien, « pour la réalisation de projets sociaux » ! C’est, tout au moins, la version officielle à laquelle personne ne croit vraiment. Pour ce qui me concerne, je m’accrocherai toujours à la certitude que Macky Sall a accepté de jouer un jeu dangereux : jusqu’à preuve du contraire, les 6 milliards n’ont jamais été rapatriés et demain, l’ex-Premier ministre et les ministres qui ont accepté de nous jouer ce cinéma risquent bien de faire partie de ceux qui rendront compte.

Je reviens donc à ma question de départ : Me Wade est-il la personne la mieux indiquée pour porter publiquement certaines accusations ? Sûrement pas, car il traîne ses propres casseroles, des casseroles qui sont plus graves encore que des détournements de fonds publics. C’est pourquoi, je m’étonne toujours quand il nous parle chaque fois avec assurance, en tout cas en apparence au moins, sans la moindre gêne. Me Wade est président de la République, un président réélu – c’est un fait, on n’y peut rien - à la fin de son premier mandat. Il est, en outre, âgé au moins de 82 ans. Il devrait donc être le père, l’incarnation de toute la Nation et des institutions de la République. Il devrait être au-dessus de la mêlée, le recours, le rassembleur de toutes les filles et de tous les fils du Sénégal. Il est malheureusement le contraire de tout cela. C’est manifestement le président d’un clan qui, par son comportement, ses propos et ses choix de tous les jours, entretient en permanence la tension dans le pays. Ses promesses et engagements accrochent de moins en moins. Personne n’y accorde plus aucun crédit. Waxi Wadd, du ma ci duma sa ma doom. Cette expression est devenue désormais courante.

Il y a plus grave encore concernant l’homme qui nous dirige : des accusations particulièrement graves lui collent à la peau, le suivent comme son ombre. Dès le début de son septennat, il a jeté le doute dans nos esprits en prenant les trois actes suspects et troublants que l’on sait, et qui étaient relatifs au lâche assassinat de Me Seye. Talla Sylla allait en rajouter en portant publiquement contre lui de terribles accusations, que ses courtisans ont vainement cherché à banaliser, en évoquant « la folie » du jeune leader. Aujourd’hui, Talla Sylla est revenu à la charge, plus catégorique encore. Profitant du sit-in organisé par les jeunesses du « Front Siggil Senegaal » le 19 mai 2 008 devant le siège du Pit, décoche contre lui cette terrible flèche empoisonnée : « Me Wade doit être arrêté, car c’est un criminel qui a fait assassiner Me Babacar Seye et a tenté de me faire assassiner. » C’est quand même gravissime ! Les avocats du diable de Me Wade peuvent encore malgré tout s’abriter derrière la supposée folie du leader du Jëf Jël. Le journaliste Abdou Latif Coulibaly n’est quand même pas fou lui aussi, en tout cas pas à ma connaissance. Dans son livre « Sénégal, Affaire Me Seye : un meurtre sur commande « (L’Harmattan, décembre 2 005), il conclut ses investigations par une non moins grave accusation : « Me Wade et ses proches sont les commanditaires de l’assassinat du juge Me Seye. » Ne pouvant accuser tout le monde folie, les « cuillères » de Me Wade préfèrent s’abriter cette fois derrière une indifférence, un silence assourdissant.

Si, d’aventure, Talla Sylla et Latif Coulibaly étaient tous les deux fous, le Pr Bathily ne l’est pas encore, je crois. Á l’occasion d’une conférence de presse organisée devant le siège de son Parti le mercredi 14 mai 2 008, le leader de la Ld / Mpt « crache du venin sur le président de la République » . Le professeur a, en effet, martelé avec toute la fougue qui le caractérise : « Hier, il a signé l’assassinat de Me Seye, aujourd’hui, Wade est au summum de la sénilité. » C’est le même silence assourdissant qui accueille cette encore terrible accusation. Enfin, pour boucler la boucle, répliquant à ses accusations qui le touchent directement, son vieil ami Amath Dansokho, qui ne rate aucune opportunité pour le pilonner, lâche : « S’il y a quelqu’un qui doit aller en prison, c’est Wade, parce qu’il est le plus grand voleur. » Me Wade est quand même le président de la République, sur qui on ne devrait pas se permettre de porter n’importe quelle accusation ! Des compatriotes ont été arrêtés, entendus par le Dic et livrés à la Justice, presque pour des peccadilles, si on les compare aux graves accusations portées contre Me Wade depuis de nombreuses années. Sans que ni lui-même, ni ses « cuillères », ni la Justice ne lèvent le plus petit doigt. Des deux choses l’une : ou Talla Sylla, Abdoulaye Bathily, Abdou Latif Coulibaly et consorts (y compris certains journaux qui ont fait de graves révélations sur les fonds politiques, le fonds de taïwanais, le « Protocole de Reubeuss, etc) racontent des histoires et il faut alors les traduire en justice ; ou ils ont raison et Me Wade n’a plus sa place à la tête de l’État sénégalais.

Nous ne sommes vraiment pas fiers d’avoir comme président un homme dont le nom reste étroitement lié à des scandales aussi graves les uns que les autres. Ses minables « cuillères » auraient mieux fait de nous éclairer sur ces nombreuses et ténébreuses affaires, plutôt que de s’acharner sur un homme qui a fini de faire depuis longtemps l’unanimité autour de son nom, aussi bien comme éminent professeur qu’homme politique intègre. Le lecteur imagine bien qu’il s’agit de Monsieur Amadou Matar Mbow, ancien Ministre de l’Éducation nationale, ancien Directeur général de l’Unesco.

Chaque fois que je fais état, dans un texte, des forfaitures qui entachent gravement la gouvernance libérale et son chef, je ne peux m’empêcher de penser à l’excellente contribution de mon ancien professeur et ami Fadel Dia, parue dans Nouvel Horizon n° 527 du 16 au 22 juin 2 006 et dont le titre très suggestif est : « Lettre ouverte aux sous-traitants de l’Alternance… et à tous les chefs de claque de la nouvelle pensée unique ». Mon très cher ami et ancien professeur, aussi compétent que discret, conclut sa contribution en ces termes : « Oui, on ne doit pas se taire lorsqu’un livre paraît qui parle de complot, de crime et d’assassinat, et que l’accusé principal, nommément cité, n’entreprend aucune action ni pour en démentir le contenu, ni pour contraindre l’auteur à reconnaître ses torts devant la Justice. » M. Dia faisait manifestement allusion au livre d’Abdou Latif Coulibaly sur « l’Affaire Me Seye ». Il donne le coup de grâce au principal accusé en citant, pour en terminer définitivement, l’écrivain russe Evtouchenko qui écrivait : « Quand la vérité est remplacée par le silence, le silence est un mensonge. »

Nous ne pouvons pas continuer de vivre en permanence envahis par le doute, dans ce silence assourdissant qui s’apparente au mensonge. Plus qu’au mensonge, au crime. Nous comprenons surtout difficilement, que l’homme qui est au cœur de ce mensonge, passe le plus clair de son temps à charger les autres et à les accuser de tous les péchés d’Israël. Comme s’il était un modèle ! Il est vrai qu’il a la part belle et peut tout se permettre, parce que bénéficiant d’une chance inouïe : celle de régner sur le peuple sûrement le plus indolent de la terre. Un peuple prêt à tout accepter et sans broncher. Jusqu’à l’inacceptable.



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