Monsieur le Procureur de la République, ne vous arrêtez pas en si bon chemin !

Après ses « révélations » sur l’état de santé du président de la République au cours d’une conférence de presse donnée le lundi 29 novembre 2010 au siège de la Raddoh, Mme Mame Marie Faye a été convoquée à la Division des Investigations criminelles (Dic). Si on en juge par la « Une » des différents organes de presse de ce jour (jeudi 02 / 12 / 10), sa situation ne serait pas très enviable. Accusée d’offense au Chef de l’État, d’atteinte à la Sûreté de l’État et de diffusion de fausses nouvelles, elle risquerait d’être placée sous mandant de dépôt.

Je n’ai pas de jugement de valeur particulier sur les « révélations » de Mme Mame Marie Faye. Je n’en ai pas les compétences. D’ailleurs, je me suis toujours gardé de me prononcer sur la santé du président de la République. Je ne suis pas médecin comme Me Ousmane Sèye, Sitor Ndour, Amadou Lamine Ba et Serigne Mbacké Ndiaye. Je n’ai pas non plus, comme eux, le dossier médical du président Wade à portée de main. Eux affirment, chaque fois que de besoin, et de façon péremptoire, que l’état de santé de l’homme est excellent. Rappelons quand même la déclaration de chacun de ces individus qui se portent garants de la santé de fer du président de la République :

Invité  du journaliste Assane Guèye à Yoon wi du jeudi 12 août 2010, Sitor Ndour répond à une question sur la santé de son champion : « Dafa ne cocc ; man naa took juróom ñatti waxtu, te du jóg sax gaanuwaayi ! » Ce qui peut être traduit en français ainsi : « Sa santé est excellente : il peut rester huit heures de temps sans même se lever une seule fois pour aller uriner. »

Serigne Mbacké  Ndiaye répète à l’envi qu’« il se porte merveilleusement bien ». Amadou Lamine Ba n’est pas en reste, selon qui Me Wade « se porte comme un charme ». Le dernier à entrer dans cette danse du ventre, c’est Me Ousmane Sèye, « rassembleur » de tous les mouvements citoyens bleus. Il affirme, lui, que Me Wade « moo gënë sawar fuuf gone gu am fukki at ak juróom ñatt ». En d’autres termes, Me Wade « est de loin en meilleure forme qu’un adolescent de 18 ans ».

Si vraiment, par extraordinaire, ces quatre courtisans de la République avaient raison, Me Wade serait carrément un extra terrestre et Mme Mame Marie Faye aurait tout faux. Et elle est sur le point de payer chèrement sa « témérité ». Si vraiment la justice va jusqu’au bout avec cette dame, je me permettrai d’avancer qu’elle a bon dos. Les délits dont elle est accablée sont certainement très graves. En tout cas, si elle est condamnée sur la base desdits délits, nombre de nos compatriotes devraient se préparer à défiler devant la Dic et à finir en prison. En effet, des accusations de loin plus graves que celles qui valent à la dame d’être attraite en justice, ont été publiquement portées contre le président Wade, lui collent à la peau et le suivent comme son ombre.

Le bouillant Talla Sylla, profitant du sit-in organisé par les jeunesses du « Front Siggil Senegaal » le 19 mai 2008 devant le siège du Pit, lance cette bombe: « Me Wade doit être arrêté, car c’est un criminel qui a fait assassiner Me Babacar Seye et a tenté de me faire assassiner. » C’est quand même gravissime ! Comme d’habitude, les avocats du diable minimisent et évoquent la folie du jeune leader du Jëf Jël.

Le journaliste Abdou Latif Coulibaly n’est quand même pas fou lui aussi ! Dans son livre « Sénégal, Affaire Me Seye : un meurtre sur commande « (L’Harmattan, décembre 2 005), il conclut ses investigations par une accusation non moins lourde : « Me Wade et ses proches sont les commanditaires de l’assassinat du juge Me Seye. » Ne pouvant accuser tout le monde de folie, les « cuillères » de Me Wade préfèrent s’abriter cette fois derrière une indifférence, un silence assourdissant.

Si, d’aventure, Talla Sylla et Latif Coulibaly étaient tous les deux fous, le Pr Bathily ne l’est pas encore, je crois. Á l’occasion d’une conférence de presse organisée devant le siège de son Parti le mercredi 14 mai 2008, le leader de la Ld / Mpt « crache du venin sur le président de la République »¹. Le professeur a, en effet, martelé avec toute la fougue qui le caractérise : « Hier, il a signé l’assassinat de Me Seye, aujourd’hui, Wade est au summum de la sénilité. » Le même silence assourdissant accueille cette encore terrible accusation.

Enfin, pour boucler la boucle, répliquant à des accusations de Me Wade qui le touchaient directement (le 1^er mars 2007), son vieil ami Amath Dansokho, qui ne rate aucune opportunité pour le pilonner, lâche : « S’il y a quelqu’un qui doit aller en prison, c’est  Wade, parce qu’il est le plus grand voleur.»²

Je passe sous silence de nombreuses accusations, aussi graves les unes que les autres : détournements des 15 millions de dollars de fonds taïwanais, alimentation en milliards de francs Cfa et par des voies illégales des fonds spéciaux de la présidence de la République, le très nébuleux « Protocole de Reubeusse » qui cache l’un des plus gros scandales de l’immonde gouvernance libérale, le montage financier du Monument de la « Renaissance » africaine, etc.

Me Wade a été accusé de toutes les vilénies. Devant les accusations publiques les plus graves et les plus dégradantes, l’Exécutif et la Justice ont souvent préféré garder le silence, silence coupable que mon frère, ami et ancien professeur Fadel Dia, assimile à un mensonge d’État. Pendant ce temps, des compatriotes « orphelins de mère » sont entendus par le Dic et livrés à la Justice, presque pour des peccadilles.

Nous citoyens et citoyennes, nous attendons de la Justice qu’elle soit juste et cohérente. Je n’ai pas le sentiment que ce soit jusqu’ici le cas. Si Mame Marie Faye est arrêtée, Abdou Aziz Coulibaly, Talla Sylla, Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho et de nombreux autres compatriotes qui ont eu à accabler Me Wade d’accusations particulièrement graves, doivent l’être à leur tour. Je l’ai déjà indiqué, pour des broutilles, on traîne à la Dic des « orphelins de mère » comme moi, alors que de gros délinquants de la République exercent à des niveaux les plus élevés de l’État bleu et se la coulent douce, au grand jour, avec l’argent du contribuable. Nous les connaissons et avons souvent cité leurs noms et étalé publiquement leurs graves forfaits. Suivez ma plume ! Le plus tonitruant et la plus visible d’entre eux sont respectivement Farba Senghor et Awa Ndiaye. Sur terre, en mer ou dans les airs, cette délinquante est toujours à côté du président de la République. Quant au premier, il fait aujourd’hui presque office de second du PDS, et passe le plus clair de son temps à nous couvrir d’injures.

Pour revenir à Mme Mame Marie Faye, Il n’y avait vraiment pas lieu de la placer sous mandat de dépôt, si toutefois c’est confirmé. Elle accuse le président Wade de n’être plus en mesure d’exercer sa fonction, pour des raisons de santé déficiente. Les vuvuzela qui grenouillent et grouillent jour et nuit autour de l’homme miracle sont sûrs du contraire : il se porte à merveille. Qu’à cela ne tienne ! Le président de la République n’a qu’à rendre public un bulletin médical, délivré par un cabinet indépendant (avec plusieurs médecins spécialistes)     pour nous convaincre définitivement qu’il a une santé de fer, et peut continuer de gouverner le Sénégal après 2012, à l’âge de 88 ans. Il mettrait ainsi fin à toutes spéculations stériles et confondrait en même temps Mme Mame Marie Faye et tous les autres qui, comme elle, doutent encore de ses capacités physiques, intellectuelles, psychiques, psychologiques et mentales.

Dans cette affaire, il n’y avait vraiment pas de quoi fouetter un chat, surtout si on considère les nombreuses autres accusations qui ont toujours accablé le président Wade. Elle m’inspire quand même une idée : celle d’interpeller les « sages » de la Conseil constitutionnel. Sans doute, leur champ de compétences est-il très réduit. Cependant, l’appréciation de l’état de santé des candidats potentiels à la magistrature suprême est bien de leur ressort. L’exercice de la fonction présidentielle est très contraignante, et sur plusieurs plans, surtout sur celui de la santé. Les juges de la Conseil constitutionnel doivent examiner minutieusement les différentes pièces qui composent les dossiers de candidature à cette importante fonction. L’idéal serait qu’ils exigent de chacun des candidats un bulletin médical délivré par un cabinet indépendant, crédible, et qu’ils (les juges) auront eux-mêmes choisi. Ils devront également faire montre de grande vigilance par rapport à la déclaration écrite de patrimoine. Celle-ci doit constituer, avec le bulletin médical, une pièce maîtresse du dossier de candidature à la magistrature suprême.

Enfin, pour en terminer avec cette affaire Mame Marie Faye, ce serait dommage si elle devait être condamnée, pour les « révélations » qu’elle a faites. Des dizaines, des centaines de ses compatriotes qui gravitent autour du président de la République, hument tranquillement l’air et mènent au grand jour une vie de pacha, alors qu’ils traînent depuis de nombreuses années, de lourdes casseroles qui devraient leur valoir plusieurs années d’incarcération.

Encore une fois, ce que nous, citoyens et citoyennes attendons d’une Justice, c’est qu’elle soit sereine, cohérente et juste dans ses décisions. Elle doit être la même pour les grands comme pour les petits, pour les riches comme pour les pauvres, pour les hauts placés comme pour les gens au bas de l’échelle sociale. Je n’ai pas le sentiment qu’il en soit ainsi dans notre pays, où elle serait plutôt à deux vitesses.

Pour autant, je ne me permettrai jamais de donner des leçons à nos magistrats. Je n’émets donc qu’un avis, celui d’un citoyen, d’un justiciable : les magistrats ne devraient jamais perdre de vue qu’ils exercent un Attribut de Dieu et que chaque affaire jugée ici bas le sera dans l’au-delà. Cheikh Ahmadou Bamba l’avait très tôt compris. Alors qu’il n’était encore qu’adolescent, il laissa sur le lit de son père un  bout de papier où il était écrit : « Le plus honnête des juges aura des comptes à rendre à Dieu. » La tradition raconte que, dès que le père prit connaissance du contenu de la lettre, il renonça immédiatement et définitivement à ses fonctions de kaadi (juge traditionnel) auprès de Lat Joor Ngone Latyr Jóob.

Ils devraient, en outre, s’acquitter avec mesure et discernement de leur mission de protection de la fonction présidentielle. Nous avons un président qui banalise lui-même cette importante fonction, et à qui il arrive souvent  de se laisser aller selon ses inspirations et humeurs du moment. Il peut alors dire n’importe quoi et de n’importe qui. Même de nos honorables magistrats à l’occasion de séances solennelles devant leurs pairs africains.

Cet homme devient de plus en plus vulnérable, gênant et dangereux. C’est lui qui offre généreusement du grain à moudre à ses contempteurs. Mérite-t-il qu’on traque de paisibles citoyens dont le seul tort est de pointer du doigt les plaies béantes de son infecte gouvernance ?

En particulier, il aura 88 ans bien sonnés en 2012, fin de son deuxième mandat.  Á deux ans et demi de cette échéance, il s’est déclaré aux États-Unis d’Amérique, candidat à sa propre succession. Pour un mandat de sept longues années ! Ne sommes-nous pas alors fondés à nous interroger sur son âge, et sur ses capacités à nous gouverner à près de 90 ans ? Il n’existe quand même aucun homme, aucune femme qui se présente à une élection présidentielle à cet âge ! Cette candidature est inédite et proprement curieuse. Elle ne devrait laisser personne indifférent. Même déclarée par extraordinaire recevable, elle serait carrément inacceptable.  

MODY NIANG, e-mail : [email protected]