PLEIN SUD - Infidélités

Un ami est quelqu’un qui vous veut du bien. Et pour cela, il n’hésite pas à vous dire dans le blanc des yeux ses quatre vérités, aussi crues qu’elles puissent être. C’est ce que l’adage appelle « qui aime bien, châtie bien ». Au cours de sa conférence, trop courte selon les vœux de la foule qui se pressait jusqu’aux portes de l’Institut islamique de la Grande mosquée de Dakar, Tariq Ramadan ne s’est pas privé de se comporter en ami. Le philosophe et professeur d’islamologie de l’université de Notre Dame (Indiana, Usa) a mis le doigt sur les infidélités à l’éthique musulmane dans une salle remplie de fidèles et d’illustres représentants de maisons religieuses. Des infidélités dont nous sommes honteusement coutumiers, dont nous nous repentissons un jour pour mieux recommencer le lendemain sous les yeux - impuissants ? – de nos guides religieux. Il ne faudrait pas seulement penser ces infidélités sous l’angle exclusif de la morale sociale. Elles sont largement pratiquées dans le champ politique et c’est d’ailleurs de ce point de vue que les infidélités au message musulman sont le plus apparentes. La laïcité telle qu’elle est conceptualisée dans le monde chrétien est une notion des plus controversées dans le monde musulman. Elle ne correspond pas à une réalité ni à un vécu historiques chez les musulmans. On ne peut dès lors se déclarer laïque dans la religion de Mahomet (PSL).

Le schisme entre la religion et le pouvoir temporel dans l’espace européen chrétien n’a pas d’écho dans l’islam. Cette rupture intervenue entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel a été vue comme une évolution positive, un progrès social et politique qui a libéré des millions d’individus et par-dessus tout l’exercice du pouvoir de la pesante tutelle cléricale d’autrefois. Mais dans le monde musulman, les sphères temporelle et spirituelle ne sont pas étrangères l’une de l’autre. Elles participent de la même manière de voir le monde dans lequel on vit. Elles ne sont pas dissociables l’une de l’autre. Elles sont mêmes confondues l’une dans l’autre. Parce qu’il ne saurait pas y avoir un espace spirituel empreint de moralité et de spiritualité, un lieu de bien et de sobriété. Tandis que l’espace temporel serait le lieu de toutes les permissivités et de toutes les forfaitures, le lieu d’exercice du cynisme et de l’opportunisme : qu’importe le flacon pourvu qu’il y ait de l’ivresse. Ce qui a correspondu à un progrès social dans l’Europe chrétienne ne l’est pas dans l’islam.

Dans la théorie islamique, l’exercice du pouvoir ne saurait être dissocié de la pratique du bien, de la vérité et de l’intérêt général. Le temporel et le spirituel cheminent ensemble pour le bonheur des croyants. Il ne sert à rien de se comporter frénétiquement comme une grenouille de bénitier, de fréquenter les lieux de culte toute la journée ou de se lancer dans les grandes théories si une pratique personnelle ne vient pas confirmer votre attachement au message islamique. Loin des théories, la fidélité à l’éthique musulmane requiert de commencer par soi même la pratique avant de demander aux autres de le faire. Commençons par nous même avant d’attendre quoi que ce soit du voisin ou des politiques qui nous gouvernent. L’islam et la politique ne sont pas des ennemis conjurés. Ils gagnent même à se réconcilier. Dans sa pratique, le fidèle musulman exprime sa fidélité en réconciliant l’islam avec la politique. Cela signifie que sa foi doit le pousser à combattre la corruption dans la vie politique, l’analphabétisme dans la société, les inégalités, la pauvreté, et les discriminations faites aux femmes. Ou toutes autres questions de société. S’accommoder de la corruption ou de la pauvreté est en porte-à-faux avec l’éthique islamique. Au passage, on peut remarquer avec Tariq Ramadan que les sociétés musulmanes sont celles qui abritent les plus grands scandales en terme de progrès social : les taux d’analphabétisme féminin, les inégalités sociales et la pauvreté féminines