Le "Retour de Parquet", également désigné sous l'appellation "Ordre de mise à disposition", constitue une pratique profondément enracinée dans le système judiciaire sénégalais, bien qu’elle ne soit pas formellement codifiée dans le Code de procédure pénale. Cette pratique suscite des interrogations quant au respect des droits des personnes mises en cause et à l’équilibre entre les impératifs de l’enquête et les garanties procédurales. Cette analyse a pour but d’explorer les causes juridiques et factuelles qui sous-tendent le recours à cette pratique par le Procureur de la République et les Cabinets d’instruction.
1. Causes Juridiques et Factuelles
1.1. Limitation des délais de garde à vue
Lorsqu’un suspect est en garde à vue et que les délais légaux sont sur le point d’expirer, les enquêteurs ont l’obligation de le déférer au parquet. Toute détention au-delà de ces délais serait considérée comme arbitraire ou illégale, constituant une violation grave des droits fondamentaux. Le retour de parquet permet alors, de facto, de prolonger la détention sous couvert d'une nouvelle phase procédurale, sans pour autant être explicitement fondé sur un texte légal.
Exemple : Un individu suspecté de vol qualifié est placé en garde à vue. Au terme des 48 heures, s'il apparaît que le dossier nécessite des investigations supplémentaires, le procureur peut ordonner un retour de parquet, permettant ainsi de poursuivre l’enquête sans enfreindre les délais légaux de garde à vue.
NB : Il faut noter que, les délais de la garde à vue sont de 96 heures pour les infractions liées au Terrorisme et celles à l’attentat à la Sureté de l’Etat et connexes ;
1.2. Nécessité d’une enquête complémentaire
Dans certaines affaires, le procureur ou le juge d’instruction peut estimer que des éléments essentiels font défaut pour justifier une inculpation ou orienter l’enquête de manière précise. Le retour de parquet offre alors la possibilité de maintenir le suspect sous surveillance tout en poursuivant les investigations nécessaires.
Problème factuel : Le procureur ou le juge d’instruction peut se retrouver dans une situation où les éléments à charge ne sont pas suffisants pour une inculpation. Libérer le suspect à ce stade pourrait compromettre l’enquête, par exemple en permettant la destruction de preuves, la fuite du suspect, ou l’intimidation de témoins.
Solution pratique : Le retour de parquet permet de prolonger la période d’enquête tout en maintenant le suspect sous surveillance judiciaire. Cela permet de finaliser les actes d’enquête nécessaires avant de prendre une décision éclairée.
Exemple 1 : Dans une affaire de cybercriminalité, un suspect est arrêté pour piratage informatique. Les enquêteurs doivent analyser des données complexes avant de pouvoir établir la responsabilité du suspect. Le procureur peut ordonner un retour de parquet pour permettre la poursuite de ces analyses sans relâcher le suspect.
Exemple 2 : Dans une affaire de fraude financière, des documents critiques sont en cours d’analyse et des témoins clés ne sont pas encore entendus. Le procureur peut placer le suspect sous ordre de mise à disposition, permettant ainsi à la police de poursuivre ses investigations.
1.3. Préservation de l’ordre public et de l’intégrité de l’enquête
Dans des affaires particulièrement sensibles, le procureur peut considérer que la libération immédiate du suspect pourrait compromettre l’ordre public ou l’intégrité de l’enquête. Le retour de parquet ou l’ordre de mise à disposition permet de neutraliser ces risques en attendant que la situation soit mieux maîtrisée.
Exemple : Lors d’une arrestation pour terrorisme, le procureur peut ordonner un retour de parquet pour prévenir toute fuite d’informations sensibles ou pour sécuriser des preuves encore non exploitées.
2. Une Pratique Non Codifiée mais Jurisprudentielle
Bien que le Code de procédure pénale sénégalais ne reconnaisse pas officiellement le retour de parquet, cette pratique est devenue courante, voire jurisprudentielle, dans la gestion des affaires pénales. Contrairement à la France, où une pratique similaire est connue sous le nom de "petit dépôt", le Sénégal n’a pas formalisé cette procédure, ce qui contribue à son caractère controversé.
2.1. Absence de cadre légal clair
L’absence de codification explicite de cette pratique suscite des interrogations quant à sa légitimité. Les avocats et les défenseurs des droits humains critiquent souvent le retour de parquet comme une atteinte aux droits fondamentaux, notamment le droit à la liberté et à une procédure équitable.
2.2. Usage controversé et critique
Le recours systématique à cette pratique est perçu par certains comme une manière de contourner les garanties légales offertes aux personnes mises en cause. La critique principale est que le retour de parquet prolonge la détention sans base légale solide, créant ainsi une situation où le suspect est maintenu sous contrôle sans être formellement inculpé.
2.3. Conséquences juridiques des actes pris après le retour de parquet
Il est crucial de noter que tous les actes d’enquête réalisés après un retour de parquet peuvent être frappés de nullité, car ils sont effectués en dehors du cadre légal strict de la garde à vue, ce qui pose un problème de validité juridique des éléments collectés pendant cette période.
NB : En cas de Retour de Parquet, les mis en cause sont confiés à un autre commissariat ou à une autre brigade de gendarmerie qui n'a pas conduit ou mené l'enquête préliminaire.
EL AMATH THIAM, JURISTE – CONSULTANT.
Président : « JUSTICE SANS FRONTIERE »
Adresse : [email protected]
2 Commentaires
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En Août, 2024 (06:27 AM)Apprenti Juriste
En Août, 2024 (21:26 PM)Le régime de garde à vue est utilisé lorsque les enquêteurs détiennent des éléments tangibles envers le suspect c'est à dire l'enquête montre que à 70% la culpabilité du suspect)
Quant au régime d'audition libre: les enquêteurs ne détiennent aucune preuve aucun élément tangible prouvant la culpabilité du suspect. ils ont simplement besoin de la version du suspect.
Maintenant la différence entre les deux régimes en matière de liberté :
durant la garde de vue le suspect ne pourra pas quitter les lieux , il est mis à la disposition des enquêteurs et La durée de la garde à vue est de 24 heures, mais cette durée peut être abrégée ou prolongée.
Concernant l'audition libre le suspect n'est pas retenu dans les lieux , il peut quitter les lieux à tout moment. cela dépend de son bon vouloir.
je ne suis pas juriste mais je m'intéresse car nul n'est censé ignoré la loi
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