[ Contribution ] Serigne Bara Mbacké, un abonné aux vieilles lunes !

Au Sénégal, depuis une vingtaine d’années, le croissant lunaire est une des pommes de discorde pour la communauté musulmane. Cette communauté s’émiette et s’épuise en argumentations et en explications à chaque orée des grandes fêtes principalement.

A l’apparition du croissant lunaire, principalement pour le mois de ramadan, c’est encore et toujours des «  appels de muezzins » (pour ne pas dire des sons de cloches) dissonants.

Chacun, chaque partie, chaque communauté, chaque confrérie dirait-on, bien intentionné et étant sûr de détenir la vérité, défend sa position sur le pourquoi ils ont commencé avec les autres ou sur le pourquoi ils ne l’ont pas fait. Et ce avec un petit brin de malice au coin des lèvres, ou parfois avec véhémence.

Et encore une fois, à écouter les parties, on est carrément désarmé, désarticulé, tellement le discours qui est tenu de part et d’autre, ne souffre d’aucune ambiguïté.

Certains diront par exemple qu’ils ont décidé de jeûner parce que d’autres ont pu apercevoir le croissant, et que fort de cela, ils ne peuvent pas ne pas jeûner. D’autres diront que cela n’est pas suffisant, il faudrait l’apercevoir après l’avoir scruté, et bien l’apercevoir sinon s’assurer que le mois qui précède termine carrément sa course pour entamer quoique ce soit.

Tous disent s’appuyer sur la tradition prophétique et se considèrent comme le digne imitateur de cette tradition. Encore une fois le « gouvernement des morts sur les vivants » serait de rigueur. Sans cela point de vérité, et point de salut !

Soit ! N’en disconvenons pas ! Mais puisqu’on n’est pas dans le secret des dieux, essayons de prendre le problème autrement, en prenant soin de ne pas prendre partie. En effet, c’est parce que les uns et les autres prennent partie ; d’aucuns pour le local, d’autres pour le confrérique, d’autres encore pour le national, et d’autres enfin pour le général que l’on est dans ce quiproquo.

Fondamentalement, le problème des musulmans sénégalais est à l’image des autres musulmans du monde. Il s’agit essentiellement d’un problème d’ajustement et de réformes. Sans cela cette situation laissera toujours cette impression de mésentente alors qu’il ne s’agit objectivement que de désarticulation, de déphasage.

Reprenons le cas du croissant lunaire !

Ici, au Sénégal, on conviendra facilement que ce ne serait pas un problème de foi ou d’absence de volonté pour s’unir autour de l’essentiel, ces questions sont tellement subjectives qu’on ne va pas s’y enliser. Ce serait plutôt un problème de mise à niveau ou de remise à niveau.

Pendant longtemps, les sociétés sénégalaises ont fonctionné avec un horizon qui ne dépassait pas les frontières du village ou du terroir. Ainsi, pouvait-on voir des fêtes de korité, de Tabaski, de Tamkharit et autres célébrer à des moments légèrement différents. Mais ces célébrations de fêtes à des moments différents ne posaient pas trop de problèmes parce que :

• les moyens de communication n’étaient pas assez développés pour contracter le temps et l’espace, et ainsi permettre une prise de conscience ou à défaut une concordance ou une communautarisation des événements.
• l’idée de nation ou d’état nation (pour ce qui est de ce pays et même des autres) n’avait pas encore tout son sens, et on ne raisonnait pas en terme d’unité nationale, mais d’appartenance parentale ou de proximité géographique. Et cette idéologie nationale n’a pas encore tout son sens. Les appartenances ou les compartimentages n’avaient pas les mêmes configurations que l’on a aujourd’hui.

De ce fait, il y a encore des survivances tenaces qui nous rappellent ce qui se faisait avant et pourquoi cela se faisait.

Ainsi, plus clairement si Thierno Mountaga se permettait de jeûner ou de rompre parce qu’au Mali on avait aperçu le croissant lunaire, ce ne serait pas par solidarité religieuse - parce qu’il peut arriver et il est bien arrivé que la Mecque jeûne ou rompt sans qu’il le fasse - mais ce serait plutôt par solidarité parentale, parce qu’il avait  une famille au Mali (son demi frère y vivait).

De même si Sérigne Bara Mbacké ne jeûne pas ou ne rompt pas, parce qu’à Touba on n’aurait pas aperçu le même croissant, ce ne serait pas par solidarité ou désolidarité religieuse ou nationale, mais ce serait là aussi par solidarité locale ou parentale.

Ainsi, c’est du pareil au même tous les deux. Cependant, ils constituent des références qui seront forcément suivies par les uns et par les autres, même si ces deux guides n’ont pas comme référence la nation sénégalaise ou plus largement la communauté musulmane dans son ensemble.

Aussi, le problème, il n’est pas religieux - d’autres faits l’ont assez confirmé - c’est un problème d’ajustement ou de réajustement. Devrions-nous nous solidariser avec le national, le local, le parental ou le musulman ?

A l’heure actuelle, avec les moyens de communication que l’on a, si on doit se solidariser avec le musulman, la ummah, tous les deux sont sur la touche. Le croissant, il est un et indivisible jusqu’ici, à moins d’en créer un autre à la pâtisserie, ainsi si la Mecque jeûne ou rompt pourquoi pas le Sénégal et vice-versa ?

Mais, si nous devrions nous solidariser avec les façons anciennes ou traditionnelles, tous les deux sont objectifs.

Encore, il est à souligner que le problème ne relève pas de la foi, mais des traditions qui peuvent avoir comme base le parental ou le local (géographique), même s’il faut noter paradoxalement que le livre de référence des uns et des autres en l’occurrence le Coran stipule que tous les croyants sont des parents. Et que donc cette parenté ne relève donc ni du géographique, ni du sang, ni du confrérique, ni de l’étatique.

Aussi, ne sert-il à rien de se frustrer quand cette solidarité n’a pas encore atteint le palier national, même si c’est compréhensible, même si le national aussi n’est qu’une autre forme de compartimentage ni meilleur, ni moins bon que les autres traditionnelles.

Il faut se rendre à l’évidence que l’actuel guide des mourides,  n’a pas comme référence la nation sénégalaise (ce qui n’est pas un reproche de notre part) ; il ne la connaît même pas objectivement. Il ne la connaît pas pour plusieurs raisons :

• les religions ne connaissent pas de frontières en principe
• Sérigne Bara n’a pas été moulé dans cette idéologie nationale (le Sénégal n’a que 49 ans, et il en a plus de 80 ans)
• Et enfin, parce que jusqu’ici, le croissant n’a pas été clairement et vraiment pris en compte pour une synchronisation par la ummah islamique.

Il apparaît clairement que la société musulmane sénégalaise, à l’instar des autres musulmans, est en réel déphasage avec les réalités du moment. Que ce soit avec le problème du croissant lunaire ou avec les différentes formes d’aumône, ou avec les façons de livrer les sermons hebdomadaires du vendredi, etc. une réadaptation s’impose au risque de s’enliser ou de créer des conflits ou des tensions et frustrations futiles et inutiles.

Le croissant lunaire n’est pas apprécié à l’aune de l’unité musulmane, mais à l’aune de l’unité ou de la solidarité parentale (confrérique) ou territoriale, malgré les avancées des technologies de l’information et de la communication. Même s’il est vrai que pour qu’une chose soit vraie, il faudrait qu’elle se transforme en religion. 

Mamadou Moustapha WONE

Sociologue

BP : 15812 Dakar-Fann

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Sénégal