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Silence : la Senelec étouffe le pays

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Silence : la Senelec étouffe le pays

Madame Ndiaye est abattue. Le mardi 14 mars dernier a été une des plus dures journées de sa vie de ménagère. Mariée à un Sénégalais vivant en Italie, elle a toujours admirablement géré sa maison. Le 5e jour de chaque mois, après l’agence de transfert d’où elle retire l’argent envoyé par son mari, elle répète les mêmes gestes. C’est le même scénario depuis 6 ans maintenant : après l’agence de transfert d’argent, direction le marché pour faire ses provisions du mois (poissons, poulet, viande de bœuf et de mouton, légumes,…), puis direction la maison où la bonne a déjà rincé le frigo et le congélateur dans lesquels Mme Ndiaye range avec minutie ses provisions. La conscience tranquille, elle sait que ces denrées lui permettent de tenir tout le mois sans trop de soucis. Hélas. Mardi, une fâcheuse affaire a brisé ce rythme.

Une trop longue coupure d’électricité imposée par la Senelec a eu raison des denrées qu’elle avait stockées. L’ampleur des dégâts a suscité l’émoi dans le proche voisinage de Mme Ndiaye dont la maison est devenue, à l’espace de quelques heures, la caisse de résonance de toutes les frustrations causées par la Société nationale d’électricité aux familles. «Vous voyez ce que la Senelec nous fait endurer ? Depuis plusieurs semaines, l’électricité nous est fournie au compte-gouttes. Je disais à ma bonne que la pire des conséquences des trop longues coupures serait la perte de mes denrées. Ma crainte est avérée.» Les larmes aux yeux, cette brave dame d’une trentaine d’années nous narre son malheur tout en chargeant dans une charrette des sachets en plastique contenant viande, légumes,… «Tout ceci n’est bon que pour la poubelle», répète-t-elle. Oui, elle n’a que ses yeux pour pleurer.

Mme Ndiaye va narrer sa mésaventure à son mari, mais ce dernier, qui planifie tout, ne lui fera pas un autre transfert. En attendant le 5 avril, elle devra se débrouiller au jour le jour pour faire bouillir la marmite et donner à manger à six bouts de bois de Dieu. “Dieu est grand”, répond-elle à la question de savoir comment elle compte s’y prendre pour combler les dégâts. Comme pour la consoler, une de ses voisines y va conter ses déboires : «A cause des coupures d’électricité, je n’ai pas pu saisir et im-primer un document qui devait me rapporter l’équivalent de 5 mois de travail. J’ai passé ma journée d’hier à chercher un quartier où l’électricité était disponible. Après plus d’une heure de recherche en taxi, seul un cybercafé était ouvert dans un quartier où, surprise, le jus était disponible. Ma joie a été de très courte durée. Comme dans un mauvais rêve, il y a eu coupure juste au moment où j’ai pris 4 tickets qui me donnaient le droit d’utiliser l’ordinateur pendant 4 bonnes heures nécessaires pour terminer mon si précieux document. Au bout de 43 minutes, le noir total. Envolé, mon rêve de finaliser le document et de l’envoyer à mon correspondant en Espagne. Envolé, mon espoir de conclure une bonne affaire.» Le comble, ajoute la voisine de Mme Ndiaye, «mon partenaire ne peut comprendre que pendant 3 jours je lui répète qu’il n’y a pas d’électricité». Elle précise : «Mon correspondant me demande toujours : “Est-ce vrai que vous habitez la capitale du Sénégal ?» Bien sûr qu’elle habite Dakar, capitale du Sénégal, qui se veut pays émergent. Que peut cette dame contre la Senelec qui lui impose délestages et coupures à tout bout de champ. Elle va perdre son marché sans compensation aucune.

Ces deux cas ne sont qu’une goutte dans le torrent de larmes que la Senelec fait verser depuis plusieurs semaines maintenant dans les foyers, commerces et entreprises du Sénégal. Le pire est que les victimes ne savent vers qui se tourner pour se plaindre. Les ménages, les entreprises, les ateliers, les salons de coiffure et couture, les garages, les centres de formation, les écoles, cliniques,… encaissent coupures et délestages sans broncher. Ils n’ont pas assez de jus pour râler ou protester. «Mieux vaut garder son souffle. S’énerver ne sert à rien», lance cette personne du 3e âge.

RECRUDESCENCE DES AGRESSIONS

Face à cette situation, les associations consuméristes sont rangées aux oubliettes. «Associations de consommateurs ? Vous pensez qu’il en existe au Sénégal ? Non, vous vous trompez. Le Sénégal regorge d’associations qui ne défendent le consommateur que sur le papier. Je n’exagère pas si j’affirme que ces associations ne se font entendre que quand leurs membres les plus zélés pensent que la défense d’une cause peut leur rapporter quelques avantages», parole d’un monsieur d’une quarantaine d’années qui ne trouve que ces mots pour exprimer ses maux et son dégoût.

Comme pour insister encore sur les désagréments, une autre personne raconte l’insécurité qui règne dans un quartier de la banlieue dakaroise du fait des coupures. «C’est dur ce qui arrive à Mme Ndiaye, mais dans certaines localités du pays, les coupures entraînent de véritables drames. Ma mère habite la banlieue de Dakar avec mes frères et sœurs. J’avais pour habitude de rendre visite à ma mère tous les vendredis après 17 heures. Mais depuis plusieurs jours, je ne suis en contact avec elle que par le canal du téléphone. Je ne peux lui rendre visite, car avec les coupures, l’insécurité a pris des propositions inquiétantes dans le quartier. Six jeunes filles y ayant été victimes d’agressions en l’espace d’une semaine, tous les habitants se terrent dès 19 heures. Avec les coupures, des agresseurs font leur loi dans le quartier. C’est terrible.» La dame continue sur un ton qui cache mal son inquiétude : «Le pire est à craindre. Des jeunes du quartier ont marre de cette situation. Ils ont décidé tout bonnement de faire leur propre police pour faire régner la sécurité.»

Cette brave mère de famille a raison d’être inquiète. Elle sait que quand la population veut faire sa propre police, c’est la porte ouverte à toutes les bavures. Comble du désespoir, les Sénégalais ont l’impression que les responsables de la Senelec les prennent pour ce qu’ils ne sont pas. «J’ai pouffé de rire quand, il y a quelques mois, en pleine circulation, un garçon m’a glissé un prospectus sur lequel la Senelec rappelle aux consommateurs qu’ils ont l’obligation de payer l’électricité utilisée. Bien sûr qu’il faut payer. En retour, que fait la Senelec quand elle prive d’électricité ceux qui paient leurs factures ? Que fait-elle quand elle ne respecte pas ses engagements vis-à-vis des clients que nous sommes. Rien, bien sûr», soutient ce vieux venu compatir à la douleur de Mme Ndiaye.

Comme une traînée de poudre, le malheur de Mme Ndiaye a fait le tour de la cité et suscité de nombreuses réactions. Ceci traduit, si besoin en était, les rancœurs que nombre de Sénégalais nourrissent contre la Senelec. Et les critiques pertinentes ne manquent pas contre cette société et ses dirigeants.

IMPOSER LE RETOUR DES MORATOIRES

Le directeur général de la Senelec, dans sa tentative très gauche de justifier l’injustifiable, disait lors d’une des rares conférences de presse qu’il tenait : «Samuel Sarr n’est pas la Senelec.» Une façon pour lui de dire qu’il n’est pas responsable de ce que sa société fait vivre au peuple sénégalais et aux hôtes étrangers qui vivent parmi nous. Quand il s’agit de signer des chèques, de virer des milliards de la Senelec sur un compte personnel, de jouir de tous les avantages liés à l’exercice de la fonction, oui M. Sarr est le chef de la maison Senelec. Pour le reste, il faudra aller voir ailleurs s’il y est.

Aujourd’hui, dans les pays où le citoyen est roi, la production et la distribution de l’énergie électrique sont élevées au rang de priorités, avec tout ce que le mot renferme en termes d’investissement, de politique cohérente, et de gestion professionnelle et rigoureuse.

Au Sénégal, malgré les discours, la distribution permanente de l’électricité n’est nullement une priorité. On déploie des ressources humaines et matérielles énormes pour traquer les mauvais payeurs, harceler les retardataires, laisser un vieux retraité être la risée du voisinage en le privant de jus. Le consommateur peut être pressé comme un citron. Ses soucis et ses difficultés du moment comptent pour du beurre. Quand on ne le fait pas poireauter des heures pour payer sa facture, on le prive d’électricité à tout bout de champ. Et malgré tout, il est tenu de se débrouiller pour payer ses factures à temps. Et en ces périodes de délestages et coupures quasi permanents, les factures de l’abonné sont aussi salées que celles qu’il recevait aux rares périodes durant lesquelles le courant était disponible à toutes les heures. Quel paradoxe. Quel système de facturation permet ces aberrations ?

A l’image des voisins de Mme Ndiaye, les consommateurs ne peuvent accepter les sempiternelles promesses que la Senelec sert depuis longtemps. «Des travaux ne peuvent justifier ce calvaire. La Senelec a l’obligation de copier sur les autres pays où les réseaux sont chaque jour modernisés sans que le client n’en souffre. Attendre octobre pour espérer voir la situation revenir à la normale est le sacrifice de trop», proteste ce monsieur, la sueur au front. Il continue en proposant la riposte.

Pour lui, comme un seul homme, les consommateurs doivent prendre leurs responsabilités et apporter la réplique à la Senelec. «La Senelec nous impose coupures et délestages jusqu’en octobre, nous devons, en retour, lui imposer comme compensations, le retour des moratoires et la revue à la baisse des factures jusqu’à ce que la situation revienne à la normale.» C’est inquiétant quand les citoyens vont jusqu’à chercher des alternatives, parce que l’autorité doit pouvoir pallier les insuffisances du service public. On dit qu’au Sénégal tout va pour le meilleur des mondes, alors que jamais les ténèbres n’ont autant envahi les foyers. Quand l’obscurité persiste, les esprits s’échauffent et bonjour les dégâts.

L’autre dit qu’il n’est pas la Senelec, les consommateurs prennent acte et demandent un capitaine courage pour la Société nationale d’électricité. La nuit est trop longue. Que la lumière jaillisse de l’esprit d’un nouveau Directeur général qui saura allier mise en œuvre d’un plan de modernisation et défense des intérêts du consommateur.



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