Vendredi 19 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Culture

Une trentaine d’intellectuels questionnent les ‘’ indépendances africaines ’’

Single Post
Une trentaine d’intellectuels questionnent les ‘’ indépendances africaines ’’

Dakar, 9 juil (APS) – Un faste plus ou moins clinquant entoure la célébration, par des pays africains, du cinquantenaire de leur ‘’indépendance’’, une démarche à l’opposé de celle d’une trentaine d’intellectuels africains qui proposent, dans un ouvrage collectif intitulé ‘’50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique ?’’ (Editions Philippe Rey, avril 2010, 640 pages), une analyse libre et critique d’un demi-siècle d’exercice du pouvoir par les Africains eux-mêmes.

Odile Tobner, dans la conclusion de sa contribution, résume l’idée de ses collègues en écrivant : ‘’Pour la plupart de ces pays, le cinquantenaire de l’Indépendance peut se résumer en cinquante ans pour rien, sinon l’enfoncement dans la misère. Il n’y a pas là de quoi pavoiser.’’

Il n’y a pas de quoi faire la fête parce que, estime Makhily Gassama, coordinateur du livre, ‘’l’Afrique francophone n’est pas décolonisée, que le toubab est toujours là, dirigeant nos Grands Chefs, qui obéissent précipitamment ; et, quand on obéit précipitamment, on court précipitamment et quand un Grand Chef sous commandement court précipitamment, il écrase sans pitié son peuple, il l’affame et il le torture.’’

‘’Sous les couleurs de l’indépendance, insiste Djibril Tamsir Niane, le système colonial perdure et le changement politique qui place les Africains aux commandes de l’Etat apparaît comme un leurre.’’

L’historien constate que, ‘’l’Afrique malade, affamée, est le terrain d’ONG et autres organisations caritatives venues d’Europe et d’Amérique. Une honte pour l’Afrique ; un ticket de bonne conscience pour l’Europe où, sous couvert d’action humanitaire, bailleurs et gouvernants exploitent avantageusement le sol et le sous-sol de l’Afrique’’.

S’il en est ainsi, explique Bamba Sakho, c’est que ‘’les conditions d’accession à l’indépendance, négociées, dans certains cas, avec le souci de préserver les intérêts des ex-puissances coloniales – l’indépendance dans la continuité, comme l’a voulu de Gaulle pour les pays +francophones+ - et dans d’autres, nées dans l’évincement des forces progressistes nationales, portaient déjà en elles les germes d’un +sous-développement+ chronique.’’

‘’Elles ont montré a posteriori l’impossible évolution du continent, dont les économies sous contrôle, par accords de coopération asymétriques dans tous les domaines, assurent aux ex-puissances coloniales une influence majeure sur les ressources du pays’’, ajoute M. Sakho qui s’intéresse à la responsabilité de l’élite, ‘’complice par cupidité ou intellectuellement conquise, dans la configuration socio-économique actuelle du continent…’’

A ce sujet, il écrit : ‘’Si ce dispositif de domination perdure, avec parfois la complicité de la communauté dite internationale, c’est aussi parce que l’élite africaine qui devait être l’avant-garde des transformations sociales est elle-même happée par la machine +néocoloniale+ mise en place au lendemain des Indépendances formelles octroyées aux pays.’’

Pour Bamba Sakho, ‘’(…) La vassalisation acceptée, reléguant les élites au rang de serviteurs d’une puissance extérieure, et la croyance à un développement par procuration extérieure conduisent au chaos, à l’impasse africaine actuelle’’.

Musanji Ngalasso-Mwatha, lui, se propose dans son article d’étudier la réalité des indépendances africaines à travers les aspects culturels. Avec la conviction que la culture d’une communauté ‘’non seulement ne peut en aucun cas constituer un obstacle à son développement, mais qu’elle conditionne la politique et l’économie à tel point qu’il n’y a pas d’indépendance politique ou économique sans émancipation culturelle.’’

Pour le linguiste, ‘’l’une des causes majeures (…) du naufrage africain et du bilan notoirement calamiteux des cinquante premières années d’indépendance réside dans la non-émancipation culturelle du continent, dans la trop grande dépendance des modèles culturels hérités de la colonisation.’’

L’économiste Martial Ze Belinga reforge ‘’In-dépendance’’, pour dire que le continent est ‘’en dépendance’’. Le terme envisage ‘’la période de gestion dite africaine des affaires politiques depuis les années 1960 comme la suite d’un processus (en principe) déclinant mais à forte rémanence, indéterminé : non formellement coloniale, non réellement décolonisée, loin de là, l’Afrique telle qu’en elle.’’

La situation peu reluisante de l’Afrique impose des questions qu’énumère Makhily Gassama : ‘’Comment nous débarrasser de cet horrible esprit de dépendance ? Pourquoi persistons-nous à croire que le devoir impérieux de l’Occident, son devoir sacré, est de prendre en charge le développement de l’Afrique ? En vertu de quel droit ? Au nom de quel humanisme, de quelle idéologie, de quelle éthique ? Pourquoi ce fol espoir placé dans l’assistance et dans la charité des pays émergents, comme la Chine, au lieu de les imiter courageusement ?’’

Gassama relève ‘’la nécessité de lutter contre les manœuvres de la Françafrique dont l’existence exclut toute culture des droits de l’homme et de la paix en Afrique (…)’’ Sa deuxième préoccupation réside dans la régionalisation des efforts de développement (…)’’.

Pour cela, ‘’des réformes s’imposent’’, estime Kama Sywor Kamanda, qui précise : ‘’Il faut remplacer tous les réseaux religieux, idéologiques, financiers et colonialistes par des réseaux patriotiques qui favorisent les structures locales de développement. Il faut former une élite persévérante et obstinée à faire échec à toutes les méthodes de désinformation, d’humiliation et de manipulation.’’

‘’Il faut refonder l’Afrique, revoir les langues, la politique, la famille, les cultures fondamentales. Il faut rendre à l’Afrique noire ses vertus et des facultés émancipatrices, poursuit Kamanda. Il faut sortir de l’économie classique coloniale, envisager le développement sur de nouvelles bases.’’

Kama Sywor Kamanda est très critique vis-à-vis des spécialistes formés dans la pensée marxiste et libérale qui, selon lui, ont démontré leurs limites en ce qui concerne l’Afrique. Ils se sont ‘’tant égarés dans les slogans démographiques et néo-impérialistes qu’ils n’ont rien vu de la tragédie humaine et du désastre structurel des Etats africains’’, constate l’écrivain.

Et ‘’si sur le papier nos nations ont été décolonisées, la +colonisation des consciences+, sans doute la plus dévastatrice, ronge chaque individu’’, analyse Alain Mabanckou. ‘’Nous acceptions presque de manière systématique notre image dessinée grossièrement pas les colons, dit-il. Ce +portrait du colonisé+ – qui demeure encore visible de nos jours – a façonné notre manière de penser au point qu’il y aura toujours quelques individus pour soutenir que +les choses étaient meilleures avec les Blancs+’’

‘‘En réalité – et c’est ce que je retiens d’un funeste demi-siècle de prétendue autonomie –, résume Mabanckou, nous ne sommes pas les enfants des soleils des Indépendances, nous sommes les enfants de l’après-génocide du Rwanda. Un génocide qui a éclaté parce que la colonisation se perpétue par des moyens détournés’’.

Il ajoute qu’au fond, ‘’plus de cinquante années d’indépendances, l’Afrique n’a jamais été aussi tributaire de ses anciens maîtres. Et sa population aussi malheureuse…’’

Pour renverser cette funeste tendance, Bonaventure Mvé-Ondo affirme qu’il faut assurer, ‘’dans les faits comme dans les consciences, le passage d’une démocratie formelle à une démocratie véritablement vécue, où l’usager, le citoyen, a enfin la parole et participe à la gestion du bien commun.’’

Mvé-Ondo ajoute qu’il s’agit aussi de ‘’mettre un terme à la misère, de changer radicalement les conditions de vie et de travail des populations’’ avant de s’atteler à la reconstruction de l’Etat, d’un Etat enfin au service réel des populations les plus vulnérables ou les plus démunies (jeunes, paysans, femmes…)’’.

Il convient aussi de rejeter les raisonnements spécieux, et de reconnaître aux ethnies la qualité et le statut de peuple, de nation, porteuses qu’elles sont d’une culture, d’une histoire, estime Djibril Tamsir Niane. ‘’Les royaumes et empires dont nos Etats modernes ont pris les noms étaient multiethniques. Ils ont produit la brillante civilisation précoloniale, objet de dithyrambes’’, rappelle l’historien.

Aux défis de l’Etat et de l’unité, M. Niane ajoute celui de la science et des technologies. Parce que pour lui, ‘’se contenter de chanter l’art et les cultures d’Afrique serait l’effet d’un narcissisme stérile’’. ‘’Il faut relever le défi du gap scientifique, c’est la condition sine qua non du développement. Hommes politiques et intellectuels devraient le comprendre’’, explique-t-il.

L’avenir auquel appellent les auteurs de l’ouvrage se fera avec la résolution de l’équation du rapport au temps, souligne l’écrivain Tanella Boni. ‘’Sommes-nous aptes à dépasser le court terme, l’urgence, et à voir, au-delà du temps présent, quelques lignes d’horizon ?’’, se demande-t-elle.

Elle ajoute : ‘’Ce sont ces questions qui me hantent car être en quête d’avenir, c’est savoir s’orienter, savoir où aller, quel chemin emprunter pour se retrouver soi-même et atteindre les buts qu’on s’est fixés. Mais comment se retrouver quand les points de repère ont disparu ?’’

Pour Martial Ze Belinga, ‘’les in-dépendances ne disparaîtront, euthanasiées ou emportées par les ouragans de leurs méfaits que contre une prise de conscience neuve et décisive du capital stratégique de la Renaissance africaine : ses paradigmes autochtones du politique, de la production matérielle et immatérielle.’’

‘’Cette nouvelle mesure de la question africaine, panafricaine, de l’émancipation et de la souveraineté, modifie ipso facto les regards sur une Afrique de demain, une Afrique renaissante en quelque sorte génétiquement modifiée, augmentée, en elle-même retrouvée’’, assure Ze Belinga.

L’idée que ‘’tout n’est pas perdu’’, soutenue par Djibril Tamsir Niane, est confortée par la position de Spero Stanislas Adotevi, qui estime que ‘’pour réussir, nous Africains contemporains de ce siècle qui s’ouvre, nous devons savoir comment être +présents à soi+, et ainsi pouvoir, dans la sincérité avec nous-mêmes, saisir ce qui, aujourd’hui, est soi, comprendre de quoi il retourne.’’

Il s’agit de ‘’nous donner les moyens de nous scruter, c’est-à-dire de retourner les poches de nos mémoires pour enfin descendre dans le puits de l’ombre et y cueillir quelques lumières. Bref, être à même de discerner pourquoi l’Afrique fuit et se fuit. Ce qui exclut tout pessimisme’’.

 

ADC/CTN



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email