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Economie

CAMPAGNE ARACHIÈRE 2006 Entre colère et désespoir

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CAMPAGNE ARACHIÈRE 2006 Entre colère et désespoir
En l’absence de propositions d’achat de leur récolte d’arachide de la part de l’Etat, les paysans se tournent vers les marchés hebdomadaires. Et s’ils n’y bradent pas carrément leur production, ils rentrent bredouilles pour continuer à vivre les affres d’une campagne agricole encore calamiteuse.

Il est presque midi en cette journée du samedi, 25 mars 2006. Dinguiraye, localité située à une cinquantaine de km de la ville de Kaolack, est en proie à une chaleur d’étuve. Une atmosphère étouffante qui est étrangement sans conséquence sur l’activité de ses habitants. Cette bourgade abrite en effet, le samedi, un grand marché hebdomadaire (louma) très couru par une population cosmopolite composée de vendeurs, mais aussi d’acheteurs en provenance des localités environnantes. La présence, en ces lieux, de sacs remplis d’arachides en cette période de l’année, attire de prime abord tout nouvel arrivant. A la recherche d’un interlocuteur, nous ne croyions pas si bien faire en nous rapprochant d’un homme assis à côté d’un des nombreux tas de sacs d’arachides entassées des deux côtés de la route menant à Taïba Niasséne. Les premiers échanges se résument à une question de sa part. En effet, l’individu d’une cinquantaine d’années environ, nous demandera - certainement au vu du matériel de notre reporter-photographe - si nous étions des journalistes. Une question à laquelle, bien sûr, nous avons répondu par l’affirmative. Avant de lui expliquer que nous étions sur place pour nous enquérir du déroulement de la campagne arachidière. Suffisant pour que les langues se délient. Cheikh Guéye, c’est son nom, n’y est pas allé par quatre chemins pour apprécier négativement la présente campagne arachidière. Il déclare, dans une pointe de dépit, que : "la campagne ne marche pas parce que le gouvernement n’achète pas l’arachide ". C’est pourquoi, explique-t-il, " nous sommes obligés de venir dans ce louma pour trouver un éventuel acheteur ". Cependant, ce recours désespéré, selon Cheikh Guéye, ne permet pas toujours à ces pauvres paysans laissés à eux-mêmes de se tirer d’affaire. La plupart du temps, déclare-t-il, ce sont les bana bana qui fixent leur prix selon l’abondance de l’offre et la situation du moment.

En effet, suant à grosses gouttes certainement à cause de la chaleur, Modou Bitèye, un autre paysan assis à ses côtés, soutient qu’avec la grève de la Sonacos, les prix ont chuté dans certains coins du bassin arachidier jusqu’à 90 Fcfa le Kg. Et, Cheikh Guéye, tout ému, de déclarer qu’"il y a certains qui, en désespoir de cause, ont vendu à ce prix parce qu’ils n’avaient pas le choix ".

A ce moment de la journée, Cheikh Guèye qui est venu tôt le matin du village de Keur Habibou Niasse, situé à 9 km de Dinguiraye, n’avait pas encore vendu un seul kilogramme de son arachide, de même que la plupart de ses autres compagnons d’infortune. Ces derniers viendront, par petits groupes, se joindre à nous. Et certains parmi eux, après s’être imprégné du sujet de la discussion, ne se font pas prier pour s’y inviter. C’est le cas de Baba Dramé du village de Ndiobéne Walo, situé à 15 Km de Dinguiraye. Baba qui s’est présenté comme un fervent partisan du Parti démocratique sénégalais (Pds), manifestera toutefois, à travers ses paroles, un profond dépit à l’égard du gouvernement qu’il accuse carrément d’être à l’origine de " la situation difficile " qu’il vit avec ses proches. "J’ai déposé 5 tonnes d’arachides au point de collecte et l’on m’a donné un bon de 1,2 tonne et depuis le 15 janvier, je n’ai encore rien reçu", confie-t-il. Et pour prouver sa bonne foi, il montre le bon en question. Avant de poursuivre pour faire part des difficultés aiguës qu’ils rencontrent quand il y a un mariage ou un baptême à célébrer dans leur village. Pis, pour acheter des médicaments ou de la nourriture, Baba Dramé déclare qu’ils sont obligés d’envoyer leurs épouses dans les loumas pour vendre le bétail qui leur reste.

Bara Tambédou qui, lui, est chauffeur et cultivateur en même temps, déclare avoir vendu ces 500 kg de récolte d’arachide aux bana bana au prix de 110 Fcfa le kg parce que, soutient-il, avec la longue attente, ses graines avaient commencé à se détériorer. Et ne sachant pas quand la situation allait se décanter, il a préféré ne courir aucun risque, même en vendant à perte. Mais, la position de Tambédou n’est pas partagée par ses autres camarades. Ces derniers ne veulent pas entendre parler de certains prix qu’ils jugent trop dérisoires en échange du produit de leur dur labeur de plusieurs mois. C’est pourquoi, nombreux sont les paysans qui, bien que dans le besoin, ont systématiquement refusé les 115 F Cfa le Kg d’arachide proposés ce jour-là par les rares bana bana présents à ce marché hebdomadaire. Ces derniers, la mort dans l’âme, ont donc préféré rentrer bredouilles plutôt que de brader le produit de leur récolte. D’ailleurs, en allant au village de Kolma Dior Dior, situé à quelques kilomètres de Dinguiraye en direction de Taïba Niassène, plusieurs charrettes remplies de sacs d’arachides rebroussaient chemin. Triste spectacle que celui de ses nombreux paysans obligés de rentrer bredouilles faute d’acheteurs. A cette déception de devoir rentrer sans vendre sa marchandise, il faut ajouter les dépenses que certains paysans sont même obligés de faire pour se rendre au louma. En effet, pour certains, il leur faut débourser au moins 1000 F CFA pour les besoins du transport à l’aller comme au retour pour eux et leurs sacs d’arachides.

Pourtant, dans cette grisaille, Idrissa Guèye de Taïba Niassène déclare, lui, avoir vendu toute sa production qu’il situe à 3 tonnes d’arachides au prix de 150 F cfa le Kg. Il déclare aussi être rentré dans ses fonds. Ce que lui dénient d’autres paysans qui l’accusent même d’être là pour véhiculer de fausses informations. Mais le veinard Idrissa Seck persiste et signe : ce sont les paysans qui ne veulent pas vendre leur arachide. Une accusation que tous nos interlocuteurs trouvent infondée. Ils soutiennent, au contraire, que c’est le gouvernement, à travers les opérateurs agréés par la Sonacos, qui ne veut pas acheter l’arachide. Certains, plus pessimistes comme Moustapha Niasse de Taïba Niassène, pensent que le gouvernement n’achètera pas leur arachide. Parce que, la quantité qui reste dans les villages est beaucoup trop importante à ses yeux, surtout en cette période de l’année où la campagne tire déjà à sa fin. C’est pourquoi le 15 avril prochain, ils comptent, de manière symbolique, brûler chacun une partie de leur récolte sur la route nationale pour bien traduire leur désespoir.

 

 

CAMPAGNE DE COMMERCIALISATION

L’aubaine des bana banas

Avec les difficultés que connaît la campagne, l’activité de décorticage s’est beaucoup développée à Taïba Niassène. Mais pour autant, elle ne règle pas le problème des paysans. Au contraire, ce sont les bana banas qui en tirent le plus profit.

Après la visite du village de Kolma Dior Dior, cap sur Taïba Niasséne vers les coups de 14 heures. Ce coin, en dehors du fait qu’il est une localité où vivent de grands cultivateurs et, par conséquent, de grands producteurs d’arachides, a une certaine particularité. En effet, en dehors des seccos retrouvés sur place, la localité abrite plus de 20 machines qui décortiquent chacune entre 7 et 11 tonnes d’arachides par jour. Si, toutefois, il n’y a pas coupure d’électricité. Une activité qui s’y est grandement développée dernièrement à cause des difficultés que les paysans rencontrent pour vendre leur production à la Sonacos. Les producteurs d’arachides de Taïba Niasséne, ainsi que ceux de certains villages environnants, préfèrent maintenant décortiquer leur arachide pour pouvoir le vendre à des bana banas venus de Touba. Mais, cette nouvelle orientation n’est pas de tout repos. Les paysans qui viennent pour décortiquer leur récolte d’arachide afin de pouvoir la vendre aux bana banas ne gagnent pas souvent au change. Ces derniers leur proposent, pour le Kg d’arachide décortiqué, entre 230 à 255 F Cfa. En général, d’après Mamadou Niasse, un paysan qui a opté pour cette solution, ils perdent parfois jusqu’à 35 Fcfa sur le kg d’arachide. Et le cas échéant, le propriétaire de la machine à décortiquer a de fortes chances de ne pas voir la couleur de son argent, de même que les femmes travaillant pour son compte.

Cette nouvelle activité qui semble, a priori, avantager ces propriétaires de machines à décortiquer qui, en temps normal, gagnent 1050 Fcfa pour chaque sac de 100 Kg traité dont 300 Fcfa pour les femmes, ne l’est donc qu’en apparence. Le problème de la mévente demeure entier. Mais ces derniers qui devaient se plaindre du fait qu’ils travaillent parfois à perte, compatissent pourtant à la situation que vivent les producteurs d’arachides. Pour la bonne et simple raison que la plupart d’entre eux sont aussi des paysans et se résignent à vivre les difficultés qui découlent de cette campagne arachnide cahoteuse. C’est le cas de El Ibrahima Niasse dit Baye qui pense que c’est le manque de volonté de l’Etat et la mauvaise campagne qui sont la cause de tous leurs malheurs. Et de donner l’exemple de la diminution du nombre de pèlerins habitant le coin pour expliquer combien le paysannat s’est appauvri. Cette année, selon Baye, seules deux personnes sont parties à La Mecque à Taïba Niasséne. Là où, 7 à 8 pèlerins se rendaient chaque année aux lieux saints de l’islam.

Pour mieux illustrer son propos sur les difficultés liées à la présente campagne, il nous déclare même détenir des bons qu’il n’a pu encaisser jusqu’à présent. Des bons qu’il semble même avoir perdu puisqu’il les cherchera longtemps dans la valise en fer rangée sous son lit, mais en vain. Preuve que ce dernier ne semble plus accorder aucune importance à ces bons parce que gagné par le désespoir. Il nous parlera, également, des seccos qui sont toujours remplis d’arachide à cette période de l’année. Un fait que nous avons pu vérifier quand nous avons visité un des seccos de Taïba Niasséne où, effectivement, se trouve en souffrance un énorme tas d’arachides et des centaines de sacs déjà remplis attendant un hypothétique chargement. Le gardien du secco nous confiera même que les ouvriers chargés de faire ce travail de remplissage des sacs sont rentrés chez eux, faute de travail. Son frère qui nous rejoindra par la suite dans la chambre tiendra pratiquement le même discours. Mais lui, contrairement aux autres, n’a pas décortiqué son arachide pour le vendre. Il a préféré le brader à 90 F Cfa le Kg et soutient même que d’autres ont vendu à 75 F Cfa le kg d’arachide à des bana banas.

Mais c’est connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres. En effet, pendant que les paysans peinent à trouver un acheteur, les bana banas eux se frottent les mains. Ils fixent les prix et, par conséquent, achètent quand ils veulent et de la manière qu’ils veulent. Tandis que les paysans, eux, ont perdu tout pouvoir sur leur récolte, sauf certains qui refusent encore de brader, au risque de voir certaines bestioles attaquer leur arachide et le détruire. Pourtant, un commerçant comme Ibrahima Gaye de Touba, rencontré devant la porte d’un dépôt d’arachide à Taïba Niasséne, compatit à la " situation difficile " que vivent ses clients. Il explique que " même si nous sommes des bana banas, nous avons des parents qui sont paysans et nous-mêmes avons pratiqué ou pratiquons jusqu’à présent cette activité ". Cependant, Ibrahima Gaye reconnaît néanmoins qu’il tire un profit de son activité. Puisque pour chaque voyage, il a un bénéfice de 25 mille F Cfa. Pendant ce temps, le paysan, lui, trinque et broie du noir.



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