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ENQUETE SUR LES DESSOUS DE LA CRISE A L’AEROPORT LEOPOLD SEDAR SENGHOR : PARFUM DE « CRASH » DANS LES AIRS

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ENQUETE SUR LES DESSOUS DE LA CRISE A L’AEROPORT LEOPOLD SEDAR SENGHOR : PARFUM DE « CRASH » DANS LES AIRS

Lorsque Karim Wade prenait les rênes du ministère de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures, tous les espoirs étaient permis. Interprétant cette arrivée sur le tarmac du fils du Président Wade comme la rampe de lancement de ce dernier vers le pouvoir, ils l’ont accueilli à bras ouverts. Tapes «amicales» à l’épaule, blagues, etc. A l’arrivée, c’est la grande désillusion des syndicalistes et travailleurs du secteur aériens, qui expérimentent la dure réalité des faits. A l’image des gueules de bois qui accompagnent les soirées trop fortement arrosées. Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? Qui tire réellement les ficelles ? Quels sont les enjeux du bras de fer qui se joue à l’aéroport transformé en champ de bataille, avec des acteurs comme les Aéroports du Sénégal (Ads), l’Agence nationale de l’Aviation civile du Sénégal (Anacs), la Haute autorité de l’aéroport, le Syndicat unique des transports aériens du Sénégal, l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna). L’Obs a essayé d’en savoir un peu plus.

24 avril 2002, la géante africaine de l’aéronautique, Air Afrique, rend l’âme après une longue «agonie». Une nouvelle que ses concurrents du ciel, dont Air France, ont accueillie avec joie. C’est à cette date que la procédure de liquidation principale de la société est engagée à Abidjan. La même procédure est initiée à Dakar, après des divergences de fond, constatées. Madické Niang, alors conseiller du Président Abdoulaye Wade, n’ayant pas réussi à trouver un accord avec les autres Etats actionnaires, le Sénégal fait cavalier seul. Il engage sa propre procédure de la liquidation qui va s’étaler en trois phases.

La longue marche vers le déclin…

Dans un premier temps, le cabinet Price Waterhouse d’Aziz Dièye est désigné comme mandataire par le Syndic principal d’Abidjan. Mais très rapidement, ce Syndic est écarté au profit du cabinet Sorex d’Alia Diène Dramé, désigné cette fois-ci par le Tribunal régional de Dakar pour, avance-t-on comme argument au niveau de l’Etat, «défendre les intérêts de l’Etat et des travailleurs sénégalais». Les Syndics Oumar Sambe et Moctar Bâ vont rentrer plus tard en scène.

Les enjeux sont énormes. Il s’agit certes d’intégrer dans le circuit plus de 800 travailleurs de la défunte Air Afrique répertoriés dans les dossiers. Parmi eux, 726 ressortissants sénégalais titulaires de Contrats à durée indéterminée et 81 contractuels à durée déterminée. Mais l’intérêt le plus manifeste, c’est l’énorme patrimoine laissé sur la terre ferme par ce géant de l’aéronautique, à l’époque fleuron bien visible de l’intégration africaine. Il s’agit des niveaux rez-de-chaussée et 1er étage d’un immeuble sis à la place de l’Indépendance cédés à la Cnca à 1,6 milliard de FCfa, d’une dizaine de villas au Point E, des bâtiments et terrains, des Centres de Formation et de Maintenance (objets de litiges entre L’Etat et les Syndics), du matériel d’assistance en escale, vendu aux sociétés Sénégal Handling Services (Shs) et Aviation Handling Services (Ahs), qui ont intégralement payé les 650 millions de FCfa, des actions détenues dans les Hôtels Téranga et Sénégal Tours, de deux avions A 300-B4, etc. Au total, le patrimoine à liquider s’élève à 42 milliards de FCfa, en termes comptables bruts.

A l’époque, alors que le régime de l’alternance commençait à bien poser ses tentacules dans plusieurs secteurs juteux de la vie économique nationale, le Président Wade avait plutôt le regard tourné vers le Maroc. Où un partenariat avait été noué déjà avec la Royal Air Maroc (Ram) pour créer Air Sénégal International (Asi) qui effectue son premier vol le 23 février 2001. L’Etat du Sénégal fait miroiter aux travailleurs de la défunte Air Afrique ce nouveau projet. Mais parallèlement, l’offensive est lancée dans le Service d’assistance au sol, sans qu’on sache qui tire réellement les ficelles, les vrais actionnaires étant plutôt dans l’ombre. Deux sociétés, Sénégal Handling Services et Aviation Handling Services, atterrissent sur le tarmac. Elles ne font travailler qu’une petite poignée de l’important personnel que la défunte Air Afrique a laissé sur les carreaux. Reçu en audience par Me Wade en novembre 2002, le Syndicat opte pour une sorte de «coexistence» pacifique contre des promesses d’éponger les droits dus aux travailleurs. Celles-ci ne seront pas tenues. Plus tard, lorsque Air Sénégal International décolle, seule une poignée de travailleurs d’Air Afrique sont embauchés. Ce personnel s’est retrouvé au chômage, après la faillite organisée de la boîte. Ils sont aujourd’hui 520 employés d’Asi, les intérimaires compris, à avoir grossi les rangs des «damnés du ciel», selon les termes d’un spécialiste des questions aéronautiques.

Au total, ils sont 1 300 employés (Air Afrique et Air Sénégal international confondus) à réclamer leurs droits à l’Etat du Sénégal, selon des sources syndicales. Le règlement de ces cas est évalué à plus de 7,5 milliards de FCfa. Un pactole qui aurait pu être pris en charge par l’énorme patrimoine d’Air Afrique. Aujourd’hui encore, près d’un milliard de FCfa dort dans les comptes des Syndics, sans que les travailleurs, dont certains vivent un véritable drame social, ne puissent en bénéficier.

Karim Wade sur scène

Et pourtant, malgré ce tableau bien noir, les travailleurs de l’aéroport de Dakar ont placé beaucoup d’espoir en Karim Wade. Lorsque ce dernier prend les commandes des Transports aériens, l’enthousiasme commence à germer dans le cœur des acteurs du secteur de l’aéronautique au Sénégal. Le département des Transports aériens a vu passer beaucoup de ministres. Madieyna Diouf (qui a supervisé le processus de liquidation d’Air Afrique au Sénégal), Youssoupha Sakho (présentement directeur de l’Agence de régulation des marchés publics), Ousmane Masseck Ndiaye (Président du Conseil économique et social), Farba Senghor, Habib Sy et enfin Karim Wade. Ce dernier veut impulser une nouvelle dynamique, lorsqu’il arrive à la tête de ce département. C’est du moins ce qu’il déclare. «Nous avons été naïfs», concède un responsable syndical. Qui ajoute : «Nous avons pensé que, compte tenu de l’agenda politique qu’on lui prête, il allait poser des actes majeurs dans le secteur pour que cela lui serve de rampe de lancement politique. Mais nous nous sommes rendus compte que nous avons été roulés dans la farine.»

Roulés dans la farine ? En tout cas, après sa passation de service avec Habib Sy, c’est à l’aéroport qu’il se rend en premier. Les travailleurs se souviennent encore de cette date du 6 mai 2009 où Karim Wade est allé à leur rencontre à l’aéroport Léopold Sédar Senghor. «C’était impressionnant, il avait marché du siège de l’Agence nationale de l’aviation civil du Sénégal (Anacs) à celui d’Air Sénégal avec les responsables syndicaux pour leur promettre qu’ils allaient être embauchés dans la nouvelle société Sénégal Airlines. Et que celle-ci devait prendre son envol dans les mois qui allaient suivre», confie nos interlocuteurs. Un spectacle qui avait été sanctionné par un concert d’acclamations. Depuis, c’est la grande désillusion. Aucun dossier n’avance réellement, malgré la mise en place d’un fonds introduit dans un projet de loi portant modification du Code de l’Aviation civile ; loi  votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, en sa séance du 11 août 2005 et promulguée par le chef de l’Etat, le 26 août 2005. Cette loi autorise le prélèvement de 2% sur le chiffre d’affaires des sociétés d’assistance (SHS et AHS) et d’auto-assistance (Air France et Air Sénégal International) pour financer le paiement des droits dus aux travailleurs. Plusieurs fois invités en réunion, les syndicalistes ont vu les sommes proposées par l’Etat passer de 7,5 milliards de FCfa à 3,5 milliards. Sans que cela ne soit suivi d’effet. Pis, c’est une guerre totale qui s’est engagée entre les syndicalistes et le ministre d’Etat.

Des Emails envoyés au ministre d’Etat

Et aujourd’hui, l’homme à abattre n’est autre que Baïla Sow, le Secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs aériens et des activités annexes du Sénégal (Sutaas). Pourtant, M. Sow entretenait de bonnes relations avec les autorités, surtout lorsque le pouvoir a eu besoin du coup de pouce des syndicalistes pour chasser les Marocains. Preuve de la crispation constatée, une lettre bien salée que Baïla Sow a fait parvenir dans le mail personnel de Karim Wade pour lui exprimer toute sa déception suite aux multiples promesses non tenues, selon des confidences ; et confirmées, par de sources proches de Karim Wade. Une missive vue comme une sorte de casus belli. Des sources qui révèlent que Karim Wade est si agacé par certains responsables syndicalistes qu’il accuse d’être «irresponsables parce que lui imputant une situation qu’il n’a pas créée et qu’il cherche plutôt à résoudre». Quoi qu’il en soit, la guerre est ouverte. Car si Karim Wade n’écarte aucune arme, les syndicalistes sont prêts à aller en grève générale.

Dans la jungle des marchés

Mais ce n’est pas seulement là l’épicentre des problèmes. Les investissements lourds consentis à l’aéroport Léopold Sédar Senghor suscitent beaucoup de curiosité. Nos interlocuteurs ne manquent, d’ailleurs pas, de s’interroger sur la nécessité de continuer à investir à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, alors que le gouvernement est en train d’ériger une toute nouvelle plateforme aéroportuaire à Ndiass. «C’est comme un père de famille qui ajoute des étages à la veille de son déménagement», ironise-t-on.

Et parmi ces marchés qui sèment le doute, il y a celui qui porte  sur un «Renforcement des postes de stationnement avion n° 8, 10, 12 et 14 de l’Aéroport International Léopold Sédar Senghor».  Un marché de 1,2 milliard FCfa attribué provisoirement à la société  Zakhem Construction Sénégal, le marché des Aéroports du Sénégal (Ads). Des sources proches du dossier relèvent des «faits troublants» sur le marché portant «Renforcement des postes de stationnement avion n° 8, 10, 12 et 14 de l’Aéroport International Léopold Sédar Senghor». Selon un avis publié le jeudi 15 juillet 2010 dans l’édition du quotidien «le Soleil» (page 8), les offres ont été attribuées provisoirement à la société Zakhem Construction Sénégal, pour un montant d’un peu plus de 1 milliard 220 millions de FCfa (plus exactement 1 220 786 948) Toutes taxes comprises (Ttc).

La société Zakhem a été retenue au détriment de sa seule concurrente, l’entreprise C.E.C. D’après nos sources, celle-ci a été éliminée pour «défaut de capacités techniques, quoi qu’elle ait été moins-disant en proposant environ 700 millions de FCfa». La commission des Ads en charge de la procédure de l’appel d’offres a attribué provisoirement le marché sur la base du critère des capacités techniques à réaliser les travaux.

Toutefois, l’entreprise retenue pour le moment a versé dans son dossier une «Attestation de travaux réalisés» pour le compte des Activités aéronautiques nationales du Sénégal  (AANS, actuel Ads). Ce document aurait pesé sur le choix de Zakhem. Jusque-là, tout semble nickel dans la procédure.

Sauf que nos interlocuteurs ont relevé que l’attestation en question, dont L’Obs détient copie, comporte des «bizarreries». D’abord, le dateur en haut à droite, qui indique «18 décembre 2006», semble avoir été écrit à la main au lieu d’un tampon officiel. Ensuite, il y est décrit des travaux déclarés réalisés en 2006 sur des zones de l’aéroport où a déjà travaillé une autre entreprise dénommée Sinco SPA.

A en croire l’attestation en cause, «Zakhem Constructions Sénégal a réalisé, pour le compte des AANS, les travaux d’extension des parkings avions (J1, J9) et la réhabilitation des bandes anti-souffles de la piste principale de l’aéroport internationale L.S.S de Dakar Yoff». Les travaux consisteraient en «décaissement de chaussée sur une surface de 2 000 m2 ; mise en place d’une couche de fondation en gave ciment pour une quantité de 400 m3 ; mise en œuvre d’une dalle en béton hydraulique d’épaisseur 37 cm, pour un volume de béton de 740 m3 ; mise en œuvre de balisage diurne». Evalués à 150 millions de FCfa Ttc, les travaux ont été faits «à la satisfaction de l’Asecna», conclut l’attestation.

Mais ce qui a intrigué nos sources, c’est qu’un autre marché de près de 150 millions de FCfa Ttc a été réalisé, en 2005, par la société Sinco Spa, pour des «travaux d’extension et de renforcement de chaussées aéronautiques à L’Aéroport International L.S.S», sur les zones J1 et J9, entre autres. A ce propos, il s’est agi pour Sinco d’une «stabilisation en béton bitumeux des accotements de la position J1, sur une surface de 1 250 m2 ; (d’un) élargissement et renforcement en béton hydraulique de la position J9, sur une surface de 300 m2, avec un épaisseur de béton de Q350 de 30 cm». D’où les interrogations de nos sources : «N’aurait-on pas extrait ces éléments du marché pour les mettre sur le compte de la société Zakhem ?»

Nos sources disent pressentir «du faux et usages de faux» dans le marché  attribué provisoirement à Zakhem. Nul doute que l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) chercherait à y voir plus clair…



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