ENTRETIEN AVEC… SERIGNE MBOUP PDG DE CCBM « Un homme d’affaires travaille avec tout le monde. Il n’y a pas de transhumance dans l’économie.»

Le Comptoir commercial Bara Mboup (Ccbm) fête ses 20 ans d’existence. A l’heure du bilan, son Président-directeur général, Serigne Mboup, fait les comptes et annonce les perspectives. Dans l’entretien qu’il a accordé à l’Observateur, Serigne Mboup fait aussi le point sur ses relations avec l’ancien Président Wade, livre les détails de leurs liens d’affaires et revient sur nombre de sujets qui l’interpellent personnellement.

Le Comptoir commercial Bara Mboup (Ccbm) dont vous êtes le Président-directeur général fête ses 20 ans d’existence. Quel bilan peut-on tirer de cette expérience ?
Ccbm a été créé depuis 1992, ça fait 20 ans aujourd’hui, mais ce qui a fait naître Ccbm a plus de 20 ans. Mon père (Bara Mboup, Ndlr) a créé son entreprise en 1960. Aujourd’hui, Ccbm a beaucoup évolué, il est leader dans pratiquement tous les domaines dans lesquels il s’active. On a beaucoup travaillé dans des incubateurs de travail, des franchises dans tous les domaines. Nous avons eu des résultats concrets et visibles.
Vous êtes dans beaucoup de secteurs, est-ce que cela ne vous affaiblit pas un peu ?
Non. Gérer un kiosque de pain sans être organisé est beaucoup plus difficile à gérer que 1000 sociétés organisées. Même si on était dans mille activités bien organisées, il n’y aurait pas de problèmes. Au Sénégal, les gens ont tendance à penser que vous êtes dans beaucoup trop de choses à la fois, mais si vous allez dans les pays asiatiques développés, vous pouvez voir un groupe qui gère énormément d’entreprises derrière lui. Pour atteindre un certain niveau de développement, il faut nécessairement avoir une large ouverture.
Quels sont les domaines dans lesquels le Ccbm s’active ?
Ccbm est dans cinq pôles d’activités. Le premier, c’est l’alimentation, les produits alimentaires. C’est dans ce cadre que nous avons créé les franchises «Pridoux» et «Easy boutique». Dans le domaine des produits alimentaires, il n’y a pas de limites. Il y aussi d’autres pôles comme l’équipement électronique, l’automobile, le transport-logistique et les services. Nous avons ajouté à ces domaines-là la micro-finance. Récemment, nous avons commencé à investir dans un autre domaine qui est l’agriculture. C’est pour compléter le domaine alimentaire, mais là il s’agira de faire de la production.
Où allez-vous le faire et qu’allez-vous cultiver ?
Nous faisons l’agriculture à Ronkh (département de Dagana) où nous exploitons un périmètre de mille hectares. A ce jour, on utilise 200 ha pour la culture du riz. Pourquoi le riz ? Parce qu’au Sénégal, si on ne cultive pas de riz, on arrivera à un moment où on voudra manger du riz et on ne le trouvera pas.

Commercialisez-vous ce riz ?
La première récolte n’a pas été commercialisée, nous en avons fait une action sociale. C’est près 285 tonnes qu’on a distribué dans les «daaras» (écoles coraniques). Mais la deuxième récolte qui va se faire vers juillet-août sera commercialisée.
Vous attendez combien de tonnes ?
On attend à peu près 800 à 900 tonnes. Mais notre objectif, si nous avons le soutien qu’il faut de la part de l’Etat, c’est de compenser le déficit de riz, parce qu’on a l’objectif de produire 300 000 tonnes de riz.

Quelles sont les variétés de riz que vous cultivez ?
Nous avons cinq variétés : entier, parfumé, intermédiaire etc.
A combien s’élève le chiffre d’affaires de Ccbm ?

Le chiffre d’affaires tourne autour de 42 milliards FCfa environ.
Vous avez démarré avec combien ?

La première année, je pense qu’on était à 1 ou 2 milliards.
Est-ce qu’il y a d’autres actionnaires à part vous ?
Il y en a d’autres, les actionnaires sont à 100% sénégalais. Les autres, ce sont les membres de la famille. Ce sont mes frères et autres. Les gens pensent que Ccbm, c’est uniquement Serigne Mboup, mais je ne m’occupe que de la stratégie et de la vision. Le reste, ce sont les autres qui s’en chargent. Ceux qui font le gros du travail sont dans l’ombre. C’est comme Microsoft, quand on en parle, on ne pense qu’à Bill Gates, mais il n’est pas le seul à travailler dans cette entreprise.

Vous avez évoqué tantôt votre pôle automobile. Cela nous permet d’aborder la question des véhicules qui fait l’actualité. Vous aviez mis des véhicules à la disposition de l’ancien Président Wade avec qui vous étiez en affaires et il se dit qu’il n’a pas tout payé. A combien s’élève la facture ?
Ce n’est pas la peine d’entrer dans des histoires de voitures, ce que je peux dire c’est qu’il y a des voitures qu’on avait données au président Wade, mais on ne peut muter une voiture tant que l’acheteur n’a pas payé. Jusqu’après les élections, il y a des véhicules qui n’avaient pas été mutés…
A combien s’élèvent-ils ?
(Catégorique) Je ne le dirais pas. Ce qui est important, c’est que depuis 2007, nous fournissons des voitures à Abdoulaye Wade et il n’y a jamais eu de problèmes…
C’est à Abdoulaye Wade que vous fournissiez ou à l’Etat du Sénégal ?
C’est Abdoulaye Wade qui passait les commandes.

Est-ce qu’il donnait des bons de commande venant de l’Etat ?

Non, c’est lui personnellement qui faisait les commandes et c’est lui qui payait. Nous avons vendu beaucoup de voitures à l’Etat, mais c’était dans le cadre de marchés. Ccbm est cité dans cette histoire de voitures, mais nous avons vendu plus de 400 voitures à l’Etat.
Mais depuis que Wade a quitté le pouvoir, est-ce qu’il a payé certaines de ces voitures ?
Je ne peux pas entrer dans tous ces détails, c’est une affaire privée entre deux personnes. Je ne peux pas évoquer certains détails.

Mais il vous doit une dette qu’il ne vous a pas payée…
Je ne dirais pas qu’il me doit quelque chose et qu’il ne m’a pas payé. Dire qu’il a une dette envers moi, c’est différent de dire qu’il ne m’a pas payé ce qu’il me doit. Beaucoup de personnes me doivent de l’argent.
Donc, il vous doit quelque chose, mais ne vous a pas encore payé ?
Voilà c’est ça, et il l’a admis.
Mais il y a des voitures que vous avez reprises ?
Non, c’est lui qui m’a rendu ces voitures, je ne les pas reprises.

C’est combien de voitures ?
(Il se braque) Je ne sais pas, et ce n’est pas important !
Comment céder des véhicules et ne pas en connaître le nombre ?

C’est une affaire privée !
Parmi les voitures qui vous ont été rendues, il y en a qui ont roulé pendant un certain temps, les Touareg par exemple ?
Oui, mais entre ne pas être remboursé et récupérer des voitures, il y a une différence.

Vous avez récupéré les voitures ou Wade vous les a rendues.
Les deux cas sont possibles.
Qu’est-ce qui s’est passé ?
Si on me rend les voitures je les prends, c’est tout ce que je peux dire. Je ne peux pas vous éclairer sur ce point, parce que mon travail demande de la discrétion.

Vous confortez dans leur position ceux qui pensent que vos relations avec Wade ne sont pas très nettes…
Je vous répète que je ne rentrerais pas dans les détails, ce que je peux vous dire c’est que j’ai livré des voitures à Abdoulaye Wade. Lui-même a reconnu qu’il me doit de l’argent, nous sommes en train de chercher un arrangement pour qu’il paie ce qu’il doit payer et qu’il me rende ce qui reste. C’est tout ce que je peux dire.

L’Etat vous doit combien ?
L’Etat ne me doit rien. Je traitais avec Abdoulaye Wade lui-même. Si l’Etat me doit quelque chose, c’est peut-être des marchés qui sont en cours. Il faut comprendre que Ccbm est un groupe, Serigne Mboup ne peut pas dire au détail près tout ce qui se passe.

Depuis l’élection de Macky Sall, c’est la première fois que vous faites une sortie publique. Compte tenu des relations que vous avez entretenez avec l’ancien Président Wade, il est important de lever certaines équivoques au risque de faire persister la suspicion…

Je ne divulguerai pas des informations privées encore une fois. (Il hausse le ton) Ce n’est pas peine d’insister. Ne perdez pas de temps. Vous ne me pousserez jamais à dire ce que je ne dois pas dire. Passons à une autre question. La curiosité a des limites. Je ne m’avance pas sur ce terrain.

Quelles marques de véhicules livriez-vous à Wade ?
Ne sous attardons pas sur ces détails. Je n’en dirai pas plus.
Vous refusez d’évoquer ce sujet au moment où la Police traque les voitures de l’Etat. Combien de vos voitures sont entre les mains de la Police ?

Je n’ai aucun problème avec mes voitures. Aucun de mes véhicules n’est entre les mains de la Police. Si la Police a immobilisé des voitures, ce sont celles que j’ai livrées à Wade, mais pas les miennes. C’est clair et net. C’est moi qui aidais Wade en lui donnant à crédit des véhicules. Il me payait quand il en avait la possibilité. Me Wade m’a entièrement remboursé avant d’aller au premier tour de l’élection présidentielle. C’est entre les deux-tours, quand il a eu des urgences qu’il m’a redemandé de l’aide et je lui en ai donné. Quand on travaille avec quelqu’un pendant quatre ou cinq ans et qu’un jour, cette personne a des ennuis, il faut rester serein et patient. S’il arrive qu’elle ne peut plus payer et décide de retourner les véhicules, il faut accepter. Je n’y vois aucun problème.

Quels sont les autres dossiers que vous traitiez avec Abdoulaye Wade ?

Je ne traitais pas avec Wade en personne, mais avec l’Etat. Si c’est la question, je peux y répondre. A chaque fois que le Président a une idée dans mon domaine d’activités, il me consultait. Il m’arrivait aussi d’aller vers lui pour échanger sur certaines questions. A chaque fois aussi que nous avions un projet, on allait vers lui. Il faut faire la différence entre Abdoulaye Wade et l’institution qu’il incarne. Pour être plus précis, s’il y a des dossiers sur lesquels il fallait travailler, on s’en ouvrait aux ministres car le chef de l’Etat n’intervient pas dans des marchés.

Dans quels domaines Ccbm a plus travaillé pour l’Etat ?
Nous avons beaucoup travaillé avec l’Etat, car Ccbm emploie du personnel, paie des taxes, donc, nous faisons partie des bailleurs de l’Etat. Tous les projets que nous avons initiés sont bénéfiques pour l’Etat.
Tout le monde savait la proximité qu’il y avait entre Wade et vous. Mieux, on vous désigne parmi les milliardaires créés par Wade…
Il faut avoir une courte mémoire pour émettre ce jugement. Ccmb existe depuis 20 ans. Comment Wade a-t-il pu nous créer ?

Il vous a soutenu de sorte à faire exploser votre chiffre d’affaires…
En 2000 déjà, je faisais plus de 35 milliards FCfa de chiffres d’affaires. Wade ne m’a pas créé. En 2000, lorsque Wade inaugurait le centre commercial Touba Sandaga, cette entité était le fruit d’un investissement qui tournait autour de 5 milliards FCfa. Pour mettre en place cette société, il a fallu immobiliser cette somme et cela n’a pas été un handicap pour nous. Donc, Abdoulaye Wade ne m’a pas créé. Je serais fier qu’il m’ait créé, car ne l’oubliez pas, Wade a créé beaucoup de personnes et c’est le cours normal des choses. Chaque Président élu crée de nouveaux milliardaires et cela crée de nouvelles richesses.
   
N’y a-t-il pas problème quand un Président revendique une relation amicale avec un homme d’affaires ?

Le Président ne peut permettre à personne de gagner un marché, car il n’est pas partie prenante pour décerner des marchés… Il n’y a pas un seul marché que j’ai gagné du fait de ma proximité avec Wade.

En dehors des marchés, il y a la mise en place de Sénégal Airlines, une compagnie dont vous êtes actionnaire. Comment êtes-vous entré dans le capital ?
L’Etat du Sénégal a fait appel à nous et c’est le Président en personne qui a dit qu’il souhaiterait que les privés sénégalais investissent dans Sénégal Airlines. Au début, je n’étais pas d’accord quant à la création d’une nouvelle compagnie, j’étais plutôt pour le redressement de l’ancienne compagnie (Air Sénégal international). Après des discussions très denses, il a été retenu de monter la nouvelle compagnie.
Quel montant avez-vous investi ?
A Sénégal Airlines, je me suis engagé pour un milliard FCfa. Il s’agissait bien d’un engagement. On était convenu, au départ, de dégager un quart des capitaux parce que les sociétés fonctionnent ainsi pour pouvoir avancer. Mais quand j’ai avancé 250 millions FCfa, le fonctionnement ne me plaisait pas. Et quand on m’a demandé de libérer l’autre quart de ma participation, j’ai refusé parce que je n’étais pas satisfait.

Qu’est-ce qui ne vous plaisait pas dans le fonctionnement de la société ?
L’Etat avait beaucoup d’emprise sur la compagnie. Je me rappelle bien des propos de Wade lors de notre audience. Il nous avait prévenu : «Moins l’Etat intervient dans l’affaire, mieux c’est pour la compagnie.»
Vous parlez d’Etat. Quelle est la personne qui tirait les ficelles dans cette compagnie ?
Vous savez bel et bien que c’était Karim Wade. Il avait cette mainmise dans Sénégal Airlines, car c’est lui qui gérait ce ministère de tutelle. C’est un secret de polichinelle, tous les Sénégalais savent que c’est Karim Wade qui était à la tête de compagnie.

En quoi la main de Karim Wade vous gênait-elle ?
Quand je dis gestion, il s’agit de l’administration de la société qui doit rester entre les mains des administrateurs. Mais on avait remarqué que c’est l’Etat qui avait nommé un Président du conseil d’administration et les administrateurs n’avaient pas assez de liberté pour exprimer leur opinion. C’est pourquoi j’ai dit qu’il s’agissait de Karim parce qu’il agissait au nom de l’Etat.
Comment souhaiteriez-vous que la compagnie fonctionne ?
Que les administrateurs se chargent de l’administration de Sénégal Airlines, c’est tout.

Certains administrateurs avaient réclamé le départ du Directeur général, l’Italien Edgardo Badiali. Est-ce que vous en faisiez partie ?

Il ne s’agissait pas de congédier tel ou tel directeur. Ce n’était pas une question de personne. A mon avis, une compagnie aérienne à 100% nationale doit avoir un directeur général de nationalité sénégalaise. Pour moi, un étranger qui ignore tout de cette compagnie ne peut en défendre ses intérêts. On pouvait choisir quelqu’un de moins expérimenté et qui sera motivé par sa fibre patriotique. C’est pourquoi j’ai voulu qu’on nomme un Sénégalais à la tête de la compagnie. C’est là que les divergences ont commencé. J’ai remarqué qu’on ramait à contre-courant de mes propositions. Je n’y pouvais rien dit, puisque je n’étais pas l’actionnaire majoritaire.

Ces jours derniers, le Président Macky Sall a demandé aux actionnaires de restaurer cette compagnie en y réinjectant de l’argent, est-ce que Serigne Mboup est prêt à le faire ?
Non, je ne l’ai pas appris par voe officielle, j’en ai entendu parler par voie de presse. ll faut qu’on me saisisse officiellement, mais tant que le mode de fonctionnement n’aura pas changé, je n’y mettrais plus mon argent.

Il est dénoncé au sein de la compagnie la présence d’actionnaires dits fictifs…
Si vous me dites qu’il y a eu le système de «prête-nom», je vous dirais oui. Même si c’est le cas, ce n’est pas interdit.

Etes-vous sûr que tous les actionnaires ont levé un quart du capital qui leur avait été imposé?
C’est au notaire de le vérifier, si ce n’est pas conforme, la société ne peut prendre forme.
N’était- ce pas un prétexte pour vous dérober ?
Je suis libre de le faire. Si je ne parviens plus à honorer ma parole, je serais libre de dire que je n’en peux plus.

Est-ce que ce n’est pas un alibi pour ne plus sortir de l’argent ?
Je suis libre. Si je n’en peux plus, j’ai le droit de le dire. Pourquoi, chercherais-je un alibi ? Je n’en ai pas besoin. Je suis un homme libre.

D’aucuns disent que l’Etat vous devait de l’argent et que c’est la contrepartie de la dette qui a été échangée contre des actions dans le capital de Sénégal Airlines…

(Il s’énerve) C’est de la responsabilité de ceux qui l’ont dit. (Il se répète) Je vous ai dit ce qui s’est exactement passé. Je m’en tiens à cela. (Il éclate de rire)

Maintenant que la compagnie a des problèmes et que l’on essaie de la sauver. Quelle est votre position par rapport à cela ?
Ma position est très simple. On doit sauver la compagnie. Mais, sauver une compagnie suppose qu’on fasse un diagnostic pour savoir ce qui est à l’origine du problème. Il faut dire, pour le cas précis, que nous connaissons les causes du problème et chercher des solutions.

Et c’est quoi, selon vous ?
Je vais le répéter. Les administrateurs n’ont pas bien fait leur travail. Aujourd’hui, la faute n’est pas imputable à Karim Wade. Ce n’est pas lui qui est fautif. Ce sont nous, les administrateurs, qui n’avons pas pris nos responsabilités. Karim cherchait juste à influencer, mais nous pouvions refuser. Si tout le monde faisait comme moi, il n’y aurait pas de problème.

Comment peut-on redonner vie à la compagnie ?
Nous avons besoin de l’appui de l’Etat pour redonner vie à la compagnie. Au début, c’est nous qui étions venus pour aider l’Etat à créer la compagnie. Nous sommes arrivés à un stade où l’Etat doit nous appuyer. Mais, je ne vais pas prendre de l’argent que j’ai gagné à vendant des télévisions, des véhicules, pour le jeter par la fenêtre. Je ne ferai pas jamais.

Les commerçants de Kaolack vous accusent d’avoir mis main basse sur les sommes d’argent qui ont été collectées après l’incendie qui a ravagé le marché…
(Il coupe) Ce sont des mensonges. Après l’incendie qui a ravagé le marché, en ma qualité de Président de la chambre de commerce, j’ai assisté les commerçants. J’ai fait un recensement individuel pour évaluer les pertes de chaque commerçant. Après, j’ai ouvert un fonds de solidarité où j’ai mis 20 millions FCfa. J’ai aussi collecté autres 40 millions Fcfa pour eux. J’ai saisi Souleymane Ndéné Ndiaye et Moustapha Niasse qui ont donné chacun cinq millions. Ce qui fait un total de 50 millions. 12 autres millions ont été collectés à Kaolack. Abdoulaye Wade leur a promis 50 millions FCfa, mais il n’a rien donné.  Le problème est qu’on avait prévu de créer un fonds de garantie pour appuyer les commerçants. Le problème est qu’il y a des gens qui ne veulent pas travailler. Dès qu’ils ont entendu parler de 50 millions FCfa, ils ont pensé que c’est de l’argent à se partager. Nous continuons à faire convenablement notre travail. Les services continuent leur travail. Il y a juste quelques gens qui parlent. Et je leur ai dit clairement que les fonds ne leur appartenaient pas.
Que pensez-vous des audits annoncés par le Président Macky Sall ?

Cela ne doit pas être un événement dans notre pays. Cela ne doit pas être un problème. Personnellement, je pense que c’est bien de le faire. Mais, l’Etat n’a qu’à prendre ses responsabilités en disant que c’est quelque chose de normal au lieu de nous dire que ce sont les populations qui le réclament. L’audit ne veut pas dire que l’Etat va prendre des gens pour les emprisonner.

Vous ne faites pas partie de ceux qui ont peur ?
Pourquoi devrais-je avoir peur des audits ? Je n’ai aucune raison d’avoir peur. Je n’ai pas géré des biens de l’Etat. Donc, je ne dois pas avoir peur.

Mais, vous travaillez avec l’Etat dans le cadre des marchés…
Tous les marchés que j’ai gagnés sont en règle.
On parle de la Cour de répression sur l’enrichissement illicite…
Tout le monde est concerné. Même vous les journalistes. (Il éclate de rire)
Quelles sont vos relations avec Macky Sall ?
Si vous parlez de relations entre citoyens, je peux dire que nous nous connaissons.
Avez-vous eu dans le passé des relations d’affaires ?
Personnellement, non. A moins qu’il se soit rendu au Ccbm pour faire des achats sans que je n’en sois informé. En tant que Macky Sall, simple citoyen, nous n’avons jamais eu d’affaires. A moins qu’il vienne à Ccbm sans que je sois au courant. Mais, il n’y a jamais eu de «business» entre nous.
Etes-vous entré en contact avec lui depuis son accession au pouvoir ?
Non.
Compte tenu de vos relations avec Wade, n’avez-vous pas peur que l’élection de Macky ait un impact négatif sur vos affaires ?

Non. Si je calcule mon chiffre d’affaires sur les ventes de voitures, je peux vous dire que la commande de l’Etat ne représente même pas 5% de mon chiffre d’affaires global. Les marchés de l’Etat se font par appels d’offre. En ce moment, j’ai gagné un marché de 100 voitures que je dois livrer à la Direction du matériel et du transit administratif (Dmta) du ministère des Finances. Je gagnerai encore d’autres marchés parce que je suis le moins cher sur le marché. Ça, Macky Sall n’y peut rien.
Mais ne redoutez-vous pas qu’on vous mène la guerre du fait de votre proximité avec Wade ?
Les gens ont dépassé ce niveau. Personne ne peut combattre personne. Si cela peut se faire, cela veut dire que le Sénégal n’est pas en sécurité. Cela veut aussi que les gens qui sont avec Macky doivent se préparer à être dans le viseur de quelqu’un d’autre dans 10 ans ? Il faut que l’on dépasse ce niveau de discussions. Un président de la République peut changer ses collaborateurs, mais il n’a aucun intérêt à faire la guerre à des chefs d’entreprise qui sont des générateurs d’emplois. Si le président Macky Sall demande à des investisseurs étrangers de venir l’aider, c’est illogique et paradoxal qu’il veuille faire la guerre aux investisseurs qui sont dans le pays et qui contribuent à son développement. Les Sénégalais doivent changer leur mentalité. Il faut que les gens arrêtent de dire qu’untel est avec Wade, qu’untel est avec un autre. Nous, nous travaillons avec un Etat. Je n’ai aucun différend avec Macky Sall.
Pensez-vous avoir avec Macky Sall les mêmes relations que vous aviez avec Wade ?
Bien sûr. On peut même aller plus loin. Son emploi du temps est un peu chargé, mais nous nous verrons sous peu. Il vient juste de s’installer, il faut qu’on lui donne du temps. Je pense que lorsqu’il voudra rencontrer le secteur privé, il fera appel à nous pour nous orienter et nous dire comment il veut qu’on travaille.
Avez-vous introduit une demande d’audience ?
Ce n’est pas à moi d’aller chercher une audience avec qui que ce soit pour qu’il me donne des marchés. Les marchés ne se négocient pas comme cela. Car même si le président de la République dit à ses collaborateurs de donner des marchés à quelqu’un, si celui-ci n’a pas les capacités de satisfaire les marchés, il ne les aura pas.
Mais si vous travaillez avec Macky Sall, ne craignez-vous pas que les gens vous taxent de transhumant ?
C’est un faux débat. Et cela n’a pas de sens. On doit arrêter de tenir ce genre de débat qui n’a aucune raison d’être. Un homme d’affaires travaille avec tout le monde et a des relations avec tous les Présidents. Il n’y a pas de transhumance dans l’économie.
La question se pose car vous avez presque battu campagne pour Wade au second tour…
Wade est plus que mon ami. Il me considère comme son propre fils. Du temps où Macky était Premier ministre, j’allais le rencontrer à chaque fois que de besoin. Lorsque Wade est venu à Kaolack durant la dernière campagne électorale, c’est vrai que je l’ai accueilli. Mais ce que les gens n’ont pas compris, c’est que je l’ai fait pour qu’il aide les sinistrés du marché de Kaolack qui avait été ravagé par un incendie. (il jure) Ce n’est pas lui qui m’a demandé de le faire, c’est moi qui ai pris l’initiative de l’accueillir à la Chambre de commerce, mais lui voulait aller à la gouvernance.
Même si je devais battre campagne pour Wade, je ne m’en cacherais pas, car chacun est libre de faire son choix. J’ai assumé ma position. Ce n’est pas une faute. Si c’est Wade avait gagné, personne n’allait me demander pourquoi je l’ai soutenu. La question n’est pas posée aux hommes d’affaires qui ont soutenu Macky Sall. Il faut que les Sénégalais sachent que nous sommes dans un pays démocratique.
A Kaolack, Wade avait promis 50 millions FCfa aux sinistrés du marché. Est-ce que vous lui avez rappelé cette promesse ?
(Il s’en lave les mains) Non. C’est lui qui avait fait cette promesse, s’il ne tient pas parole, je n’y peux rien. Cela ne me lie pas. Je ne ferai rien à ce sujet.

Lorsque Wade a quitté le palais et s’est installé à Fann Résidence, êtes-vous allé lui rendre visite ?
Bien sûr. Je vous l’ai dit, nous avons un règlement à faire.
Comment l’avez-vous trouvé ?
Comme d’habitude. Il est resté le même. Wade est une grande personne. Et quand on a 86 ans, on peut contenir sa colère ou ses problèmes. Il faut être digne. Je crois que le Sénégal ne va pas choisir un Président qui s’affole au premier impair.

Avez-vous trouvé là-bas la limousine que vous lui aviez offerte ?
Une limousine ! Laquelle ?
La limousine chinoise que vous lui aviez offerte et que Macky Sall aurait comptabilisé parmi les voitures qui ont été volées ?

Non. Mais cela date de très longtemps. Et je pense que Wade l’a donné en cadeau à je ne sais qui. La voiture a été expédiée hors du pays. Cela date plus de cinq à six ans. C’était une Limousine Hover.
Quelle était sa valeur ?
(Il observe une pause) Je ne m’en rappelle plus. Allez demander une facture pro-forma si vous voulez savoir le prix (rire).
Vous travaillez également dans l’agro alimentaire, une baisse des denrées a été annoncée. Comment jugez-vous le mécanisme du régime de Macky qui a abouti à cette décision ?
Dans un pays, il est difficile de contrôler les prix des denrées parce que le marché est libre. Ce que les gens doivent faire, c’est augmenter les ressources et essayer d’éduquer les Sénégalais sur leur consommation. Car chaque Sénégalais pense que seuls le pain et le riz sont les aliments que nous devons consommer. Il faut aussi pousser les Sénégalais à travailler. On ne travaille pas assez. Sur les prix des denrées, seul l’Etat sait par où il doit passer pour les réduire. Il l’a fait. Et je pense qu’il n’y a pas eu la réussite que l’on espérait.
Pour vous, qu’est-ce qui expliquerait cet échec ?
Ce n’est pas par faute de concertation, c’est que le marché est libre et il est difficile de réguler les choses. Et la répression prônée par l’Etat ne participe pas à régler le problème. Bien au contraire. Si les commerçants s’accordent à ne plus vendre certains produits, le marché noir s’installe et les prix s’envoleraient. La baisse peut avoir un effet. Mais il faut qu’on essaye de produire ce que l’on mange. Mais si pour respecter une promesse électoraliste qu’il faut baisser les prix des denrées, c’est normal d’ouvrir des discussions afin que chaque partie puisse y gagner. Mais je pense que dorénavant les gens doivent poser des actes tendant à voir comment faire pour que les Sénégalais puissent consommer local et qu’ensuite, ils changent leurs habitudes alimentaires.