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Economie

LA PAUVRETE DANS LES MÉNAGES SENEGALAIS : Ces gens qui traînent la savate

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LA PAUVRETE DANS LES MÉNAGES SENEGALAIS : Ces gens qui traînent la savate
La pauvreté rythme le quotidien de nombreux Sénégalais. Plusieurs familles, aussi bien en milieu rural qu’en ville, traînent la savate, incapables de s’assurer le minimum pour survivre. 

Ils sont démunis et sans moyens, oubliés, ou délaissés par tous. La principale raison de la situation sociale de ces citoyens est la pauvreté. En faisant le tour de la capitale, avec ses nombreux chantiers routiers, les voitures de luxe, on peut sentir et voir la pauvreté des gens. De Fass à Colobane, en passant par la Médina, les Hlm, Hann Yarakh, Pikine, Thiaroye, Diamaguène et Mbao, c’est le même masque contrasté de belles ou laides habitations qui cachent des situations de misères synonymes d’un degré très élevé de pauvreté. Dans plusieurs familles de la capitale, les trois repas journaliers ne sont plus assurés.

Anta explique son calvaire, elle est vendeuse de sandwich sur la voie publique à la Médina. Malgré le froid du soir, elle n’a de souci que pour le bien-être de ses enfants. Drapée dans sa dignité, elle tient beaucoup à l’honneur de sa famille. « Nous vivons en communauté et nous nous connaissons tous. Nous refusons le laisser aller. Quand il s’agit d’aider, les gens ne le font pas assez souvent par désintéressement. Si tu ne manges pas avec ta famille, ton entourage en fait un sujet de conversation. C’est ce que je refuse pour l’honneur de mes enfants. Je ne veux pas qu’ils manquent de quoi que ce soit », explique-t-elle dans un souffle comme si elle venait de se soulager d’un lourd fardeau, avant de poursuivre :

« Même si je ne peux que leur procurer deux repas par jour, je remercie Dieu. Chaque soir, je viens ici vendre mes sandwiches. Le matin en vendant du café Touba, je parviens à compléter ma dépense pour le déjeuner et le dîner », dit-elle au moment où un client l’interrompt pour sa commande. Selon elle, son mari se débrouille comme il peut au port de Dakar mais parvient difficilement à assurer le paiement du loyer. La pauvreté est intense, nul ne sait où cela nous mène. Mais Dieu est Miséricordieux", renchérit-elle, le sandwich de son client sans doute impatient, à la main.

Un retour aux sources

Il est près de 18 h près du terminus de Liberté 5, non loin de la boulangerie du coin, à la hauteur de la station d’essence, se trouve à l’angle d’une ruelle un moulin à mil pris d’assaut tous les jours par des femmes et des jeunes filles. Sur plusieurs dizaines de mètres, une longue rangée de bols et de calebasses s’étend. Mame Coumba est assise avec un enfant à ses côtés, surveillant minutieusement sa calebasse et le mouvement de la file. Selon elle, c’est un véritable retour aux sources qui s’impose. « La pauvreté a gagné nos ménages. Nous sommes obligés de nous rabattre sur le mil qui est plus économique pour survivre. Le mil est très consistant. En préparant la bouillie, la famille est servie à dîner sans trop de frais, contrairement au riz au poisson devenu trop cher », explique-t-elle. Une autre femme sous le couvert de l’anonymat avoue que son mari n’assure plus que la dépense pour le petit-déjeuner et le repas de midi. Elle se débrouille, dit-elle, avec ses tontines pour le dîner de la famille, sinon chacun va se débrouiller par lui-même.

En banlieue, Baye Mor S., marié à deux femmes et père de onze enfants, loue une petite maison qui ne parvient pas à abriter toute sa famille à Pikine. Cet ancien paysan vit le traumatisme du loyer à Dakar : « J’ai emmené ma famille à Dakar en provenance du Baol parce que nous n’avons plus de solutions au village. La vie y est devenue trop dure. Les récoltes sont mauvaises. Nous subsistons difficilement. Par contre à Dakar, nous pouvons entreprendre beaucoup de choses, même si c’est difficile », déclare-t-il.

Baye Mor S. s’est reconverti dans le commerce de foin, de sacs de riz et de bouteilles vides et de cordes. Ses deux femmes se sont investies, l’une dans le commerce du poisson et l’autre dans la vente de cacahuètes. Ainsi réussissent-ils ensemble, avec le concours de leurs enfants, à assurer la nourriture pour la famille, et à payer le loyer. « Les gens ne savent plus où donner de la tête, la pauvreté a atteint un niveau très élevé aujourd’hui. Je me rappelle avec nostalgie de cette époque du passé durant laquelle tout était suffisant et en abondance, contrairement à ces temps modernes marqués par plus de besoins dans la pauvreté. La vie a beaucoup changé », regrette-t-il.

A l’intersection de la route de Yarakh et la route nationale 1, près des rails derrière la boulangerie Keur Khadim, se trouvent des huttes en tôles où cohabitent des éleveurs avec leurs porcs. Ce sont des hommes trouvés là, en début d’après-midi, sous un arbre, en train de jouer aux cartes. Ils ont eux aussi quitté la rudesse de la vie au village pour se réfugier à Dakar. Ils vendent du porc, quand bien même ils ne le consomment pas. Ce sont des Sérères du Sine qui cohabitent avec des Mandjaks. « La pauvreté est bel et bien une réalité. Nous sommes des paysans. Nous avons quitté nos villages à cause de cela. Là où nous sommes aujourd’hui, en train de jouer à la carte, si nous avions du travail, nous ne serons pas là. C’est parce que nous n’avons pas de travail que nous sommes obligés de vendre des porcs quand bien même nous ne sommes pas consommateurs. Vous savez que l’agriculture ne marche plus, les paysans souffrent beaucoup. Il faut aller à l’intérieur du pays pour s’en apercevoir », explique Diokel. A les croire, l’élevage des porcs leur coûte très cher dans la mesure où il leur est difficile de trouver des reliefs de repas dans les poubelles. « Cela n’existe plus dans la ville comme au paravent. Nous achetons ces restes en petite quantité entre 500 et 600 FCfa », révèle-t-il.

Casse - tête

Bien loin d’être la plus heureuse d’entre toutes, la vie de la famille D. à Diamaguène est une autre illustration du phénomène de la pauvreté dans les ménages. Le père sexagénaire fatigué et malade ne peut plus entretenir sa famille. Son malheur est de n’avoir que des filles comme de grands enfants. Celles-ci ont choisi le travail nocturne dans les conserveries de poisson, même si leur entourage est convaincu qu’elles se livrent à la prostitution pour satisfaire les besoins de leur famille. Leur seul frère âgé d’à peu près onze ans est apprenti mécanicien. Le soir vers 22 h, les trois sœurs bien habillées se dispersent dans la ville pour ne rentrer qu’à l’aube.

Elles s’occupent de la dépense quotidienne de la famille. En rentrant au matin, elles remettent de l’argent à leur maman et regagnent leur chambre pour dormir. Astou la plus jeune, déjà mère de trois enfants malgré son jeune âge, explique les raisons du choix de sa vie en ces termes : « Notre père est vieux et malade. Il ne peut plus s’occuper de nous et nous n’avons pas de grand frère. Le seul frère que nous avons ne peut rien pour lui-même. C’est pour cette raison que je sors la nuit régler mes affaires. Il nous faut manger, nous vêtir, payer les factures d’eau et d’électricité », comme pour se justifier.

Autre tableau, dans beaucoup de rues de la capitale, des individus bien portants font les cent pas, interpellant les passants pour demander de l’argent selon les circonstances pour le transport ou la dépense. Ils agissent ainsi parce qu’ils n’ont aucune solution. L’un d’entre eux serait marié, et selonle témoignage de ceux qui le reconnaissent, ce serait de cette manière qu’il se procure sa dépense quotidienne.

À qui la faute ?

Qui est responsable de cette situation ? Il convient de relever avec les experts, que les plans d’ajustement structurels ont connu des échecs dans leur tentative de relance de l’économie par la privatisation de la plupart de nos entreprises nationales. Pire, ils ont réussi leur partition dans la désindustrialisation avec ses conséquences sociales, un seuil de chômage trop élevé dans le pays, des milliers d’emplois supprimés. Le monde rural ne se porte pas mieux Avec le retrait de l’État de la filière arachidière, la crise financière s’est accentuée provoquant en même temps plusieurs mouvements de populations vers la capitale. « Quand l’arachide va, tout va », pour reprendre les termes d’une expression retrouvée dans la Carte d’identité du Sénégal éditée par les Nouvelles Éditions Africaines en 1984. Dans ce document, il est noté que dans les années 80 (et même à 90), 70 % de la population tiraient leur revenu des activités agricoles. Et le secteur primaire (agriculture, élevage, forêt et pêche) représentait 30 % de la production intérieure brute. Entièrement contrôlée par l’État depuis 1975, nous édifie encore le même document, la filière arachidière conditionnait l’activité économique de notre pays en assurant en moyenne 40 % des exportations, 10 % des recettes budgétaires et la quasi-totalité des ressources monétaires du monde rural. Elle couvrait alors 1 150 000 hectares dans les régions de Thiès, Diourbel, et dans l’ex Sine-Saloum ( actuelles régions de Fatick et de Kaolack) avec une production variant entre 950 000 et 1 500 000 tonnes.

Dakar est aujourd’hui l’une des capitales les plus peuplées de l’Afrique de l’Ouest. Avec leur taux de natalité très élevé,les ménages dans la capitale sont confrontés à la promiscuité. Cinq à huit personnes sont obligées de partager une chambre dans certaines familles. Le seuil de pauvreté ne leur permet pas de construire ou d’assurer la location sous d’autres toits. Par ailleurs, avec les nombreuses crises politiques survenues dans la sous-région, Dakar est prise d’assaut par de nombreux immigrants. Dakar est donc au bord de l’explosion sociale et s’enfonce de plus en plus dans les méandres de l’informel. C’est l’ère du « deub deubal » (initiative en Wolof) pour combattre la pauvreté. Dans cet univers du besoin, tous les moyens semblent être de mise, bons ou mauvais. Le principal souci pour les gens est de préserver le « paraître », l’image, qui est un élément important de la vie sociale.

Vérité des chiffres

Dans son document d’analyse quantitative et économique de la pauvreté de janvier 2005, l’Institut Panos-Ao nous révèle que la première enquête sénégalaise menée auprès des ménages en 1994 (Esam-1) « a permis d’évaluer la proportion des ménages en dessous du seuil de pauvreté estimé à 143 080 Fcfa par an par équivalent adulte à 57,9 % ». Et de noter que « l’incidence de la pauvreté des ménages se situe à environ 53,9 % soit un léger recul par rapport à 1994, en raison de l’accroissement du revenu par tête sur la période 1995-2001 (Dsrp, 2002) ». Mais ces chiffres sont fournis sur la base d’extrapolations établies à partir de l’enquête Quid (2001).. Par ailleurs, les résultats de l’Enquête auprès des ménages sur la Perception de la Pauvreté au Sénégal (Epps 2001) ont révélé que 65 % des ménages interrogés se considèrent comme pauvres et 23 % se considèrent comme étant très pauvres.

En milieu rural, l’incidence de la pauvreté varierait entre 72 % et 88 %, contrairement en zone urbaine où elle varie entre 44 et 59 %, nous apprend toujours le même document qui n’a pas manqué de noter que « le retour de la croissance enregistré sur la période 1995-2001 n’a pas suffi à engendrer une réduction significative de la pauvreté ». Dans le même document, en établissant « le profil monétaire de pauvreté au Sénégal » en 2003, Fatou Cissé nous apprend que ce sont 58 % des ménages et 65 % des individus qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, ceci sur la base d’études réalisées en 1995. « Lorsque nous prenons en compte le statut du travail, il ressort des résultats que les groupes les plus touchés par la pauvreté sont les indépendants agricoles (81 %) et les chômeurs (62 %) », note-t-elle. Tout en précisant plus loin que « le niveau d’éducation est un facteur discriminant dans l’accès à un niveau de vie décent ». Selon Fatou Cissé, « les taux de pauvreté sont d’autant plus faibles que le chef de ménage a un niveau d’éducation élevé ».

Il faut tout de même reconnaître qu’il y a beaucoup de problèmes liés aux données qui sont utilisées pour établir ces résultats. Ils sont généralement peu fiables. Il y a aussi que ces études sont diligentées pour faire la quête de financements qui obligent d’entame les spécialistes à procéder de telle ou telle manière, ce qui sous-tend l’existence de plusieurs écoles de pensée qui déterminent les méthodes des spécialistes.

L’approche « welfariste »

Si l’approche « welfariste » (« welfare » signifiant « bien-être ») fait référence à de nombreux préceptes de la micro-économie qui postulent que les agents économiques sont rationnels et se comportent de façon à maximiser leur utilité, c’est-à-dire le bien-être ou la satisfaction qu’ils tirent de leur consommation de biens et de services, il faut reconnaître que la « chose » manquante qui est le bien-être économique se révèle être difficilement observable, a souligné le document de Panos-Ao. C’est la raison pour laquelle précise le même document que cette « école s’est rabattue sur le revenu réel et les dépenses de consommation comme indicateurs du bien-être économique ».

Ainsi selon elle, « la pauvreté est donc définie comme un niveau de revenu socialement inacceptable et les politiques de réduction de la pauvreté devraient chercher à accroître la productivité des pauvres. C’est cette approche qui a droit de cité à la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (Bird) ou Banque Mondiale (Bm), au Fonds Monétaire International (Fmi) et chez les principaux partenaires au développement. Mais avec son »caractère subjectif« , cette approche »soulève un problème d’éthique« , dans la mesure où »un individu favorisé matériellement mais non comblé devrait être qualifié de pauvre alors qu’une personne très peu favorisée financièrement mais néanmoins comblée sera considérée comme étant non-pauvre« . Ceci n’étant pas le cas, »les welfaristes utilisent le revenu pour identifier les pauvres, à défaut de pouvoir observer le bien-être économique", précise t-on dans le même document



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