Dans une tribune percutante, le Pr Amath Ndiaye, enseignant à la FASEG-UCAD, dresse un diagnostic sans complaisance du secteur parapublic sénégalais, qualifié de « budgétivore » et gangréné par la corruption, la mauvaise gouvernance et le clientélisme. Selon lui, la transformation économique portée par la Vision Sénégal 2050 ne pourra se réaliser sans une réforme profonde de ces entités, qu’il juge essentielles mais mal gérées. En s’appuyant sur les récentes déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko, le 30 avril 2025, l’auteur appelle à une rupture avec des décennies de pratiques inefficaces pour faire du secteur parapublic un levier de développement.
Un secteur parapublic à bout de souffle
Pour Amath Ndiaye, le secteur parapublic sénégalais souffre d’un mal chronique : « des effectifs pléthoriques, une coordination institutionnelle faible et une culture du résultat quasi absente ». Il pointe des structures comme l’APIX, l’ADEPME, le FONGIP, le FONSIS, la DER ou encore la BND, dont les missions se chevauchent souvent, diluant les ressources financières dans des programmes sans impact tangible. « Les ressources, souvent substantielles, sont dispersées dans une multitude de programmes sans effets visibles sur l’investissement productif », déplore-t-il. L’absence d’évaluation basée sur la performance et la persistance de logiques clientélistes aggravent cette situation.
L’auteur illustre son propos avec des exemples concrets, comme La Poste, minée par « un népotisme massif dans les recrutements » et un modèle économique obsolète. Malgré les opportunités offertes par le numérique et la logistique moderne, l’entreprise s’enlise dans une crise structurelle, maintenue à flot par des subventions étatiques sans réelle stratégie de redressement.
Air Sénégal et AIBD : des « patients au pronostic vital engagé »
Amath Ndiaye n’épargne pas Air Sénégal SA et AIBD SA, qu’il qualifie, en écho au gouvernement, de « patients au pronostic vital engagé ». Air Sénégal, malgré un investissement de plus de 181 milliards FCFA depuis 2018, croule sous une dette de 118 milliards et des pertes cumulées de 150 milliards sur deux ans. « Le recours massif à la location d’avions n’a pas été accompagné d’un modèle économique soutenable », critique l’universitaire. De même, AIBD SA, dont les ressources propres ne couvrent qu’un quart du budget prévisionnel en 2024, souffre d’un triplement injustifié de ses effectifs et de contrats opaques d’un montant de 200 milliards FCFA. Le Pr Ndiaye salue l’initiative du Premier ministre d’ordonner des audits et une renégociation de la concession avec LAS, mais insiste : une reprise en main stratégique est impérative.
La DER/FJ : un outil dévoyé par la politique
La Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide (DER/FJ), censée soutenir l’entrepreneuriat, est également dans le viseur d’Amath Ndiaye. Il dénonce des attributions de crédits « sans ciblage pertinent », favorisant des logiques politiques au détriment des filières stratégiques ou des zones à fort potentiel. « Des femmes du troisième âge perçoivent des financements alors que des millions de jeunes sont dans un chômage chronique », s’indigne-t-il. L’absence de mécanismes de suivi et de remboursement expose la DER à des risques de détournement, loin de sa mission de transformation productive.
Pour Amath Ndiaye, ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux. Dès les années 1970 et 1980, des entités comme l’ONCAD ou la BNDS ont sombré dans la corruption et l’inefficacité, précipitant des crises financières. Les Industries Chimiques du Sénégal (ICS), autrefois fleuron industriel, illustrent également cet échec : « Malgré leur importance stratégique, elles n’ont été ni modernisées à temps, ni efficacement pilotées », regrette l’auteur. Leur faillite a eu des conséquences désastreuses sur l’économie nationale, marquées par la perte de recettes d’exportation et la précarisation des travailleurs.
Une réforme structurelle pour un État stratège
Face à ce constat, Amath Ndiaye propose des réformes radicales, centrées sur la dépolitisation et la professionnalisation du secteur parapublic. « Il faut rompre avec les pratiques de nominations partisanes », insiste-t-il, plaidant pour des dirigeants choisis sur la base de leur compétence et soumis à des obligations de résultats. Il suggère également des partenariats public-privé encadrés, une évaluation indépendante des agences, la suppression des structures redondantes, la digitalisation des procédures et un renforcement des mécanismes d’audit et de reddition des comptes.
Pour Amath Ndiaye, la Vision Sénégal 2050 repose sur un État stratège, capable de mobiliser ses instruments pour servir le développement. « Le pilotage des agences et entreprises publiques doit obéir à des critères de compétence, d’efficacité et de transparence », martèle-t-il. Cette transformation, inscrite dans l’Agenda national, exige une volonté politique forte pour rompre avec les pratiques du passé. Comme le conclut l’auteur, « le temps de l’action est venu : il faut réformer pour transformer ».
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