Le Ferlo en état d’urgence alimentaire : PÉNURIE D’EAU, MANQUE DE FOURRAGES ET D’HERBE POUR LE BÉTAIL :

L’hivernage tarde à s’installer dans le Ferlo. A Linguère et ses environs, les intrants agricoles sont invisibles, les pâturages ont disparu. Et entre la pénurie d’eau et de concentré d’aliment, doublé du renchérissement des prix de denrée de première nécessité, les problèmes ne manquent pas pour les animaux et les pauvres paysanneries de cette vaste région du centre du pays. Le comble de tout est que les pluies sont introuvables en cette fin de juillet. 

La partie sud de cette circonscription administrative, c’est-à-dire, les communautés rurales de Gassane et Thiel, offre un tableau de désolation. Le poste pluviométrique de Gassane a enregistré la plus importante quantité de pluie le 14 juin dernier et des traces le 20 du même mois ; les précipitations tombées les 4 et 10 juillet sont de 14,5mm. En juillet 2006 le poste de Gassane affichait 95,6mm précisera Masse Seck en charge du relevé de la station.

Partout ailleurs, les populations scrutent désespérément le ciel à la recherche de nuages porteurs de pluies tandis que les troupeaux se déciment et perdent de leur poids au fil des semaines d’errance à la recherche de pâturages. De la commune de Linguère à la lisière du Ranch de Dolly pas une herbe sèche ne résiste au vent qui emporte tout sur son passage et ne laisse que des arbres rabougris. Les animaux attirés par on ne sait quel sens, se dirigent vers d’hypothétiques lieux où paître. Ils se retrouvent presque tous seuls entre les communautés rurales de Thiel et Gassane, à l’intérieur du ranch de Dolly.

A Gassane, ce sont des paysans désespérés et rassemblés devant une boutique en face du secco vide et un forage où l’eau ne coule pas qui crient au secours. Thierno Ka, furieux, arrive presque en courant du point d’eau encerclé par une vingtaine de charrettes et de longues files de filles et de femmes très en colère : le bassin est vide et le moteur de l’ouvrage hydraulique qui menace de s’écrouler du fait de son âge est silencieux : « J’ai versé beaucoup d’argent pour disposer de l’eau ! Je ne peux pas accepter cette situation ! »

Thierno Ka est un agropasteur habitant à Touba Oldou situé à une dizaine de kilomètres de Gassane. Il interpelle Abdou Diouf afin de trouver les responsables du forage. Il ne se contente pas d’explications fournies, retournant en vociférant : « Nos animaux et les membres de sa famille sont dans une situation insupportable à cause de l’eau. »

Le mirage déçu des pluies artificielles

Habib Samb interrompt les discussions sur la pertinence ou l’urgence de mettre en place un système de vente et un comité de gestion à l’instar de ce qui se fait dans certaines localités pour dire que l’urgence est plutôt la pluie et de s’interroger : « A quoi sert le radar de Linguère ? N’a-t-on pas dit que désormais les pluies tomberont dès que la nécessité se fera sentir ? » Il marque une pause et poursuit : « Si ce radar ne peut pas apporter la pluie il faut reconnaître que ce fut un véritable gaspillage d’argent. Je me rappelle que lors de l’inauguration du radar 14 véhicules remplis de monde avaient été déplacés de Gassane à Linguère ! ... » Et un autre de faire la remarque suivante : « A quoi servirait cette pluie si nous n’avons pas de semences ? » Son voisin rétorque que le cheptel est la ressource la plus sûre avec ce régime qui a oublié tous ses engagements vis-à-vis du monde rural. Et de révéler que pour bénéficier des semences d’arachide, il fallait payer la taxe rurale et que le cas échéant le chef de carré ne pouvait acheter un sac au prix très cher de 13.500 FCFA.

A Thiel, c’est Mouhamadou Lamine Guèye, Représentant du Khalife général des Mourides qui se fait l’écho des récriminations et angoisses des producteurs ruraux : « Notre problème, c’est l’eau. Nous ne pouvons plus pratiquer ni l’élevage ni l’agriculture à cause de ce manque d’eau. Nous n’osons pas voyager de risque de retrouver des animaux et des enfants ou de vielles personnes mourir de soif. Nous nous mobilisons tous les jours pour trouver de l’eau. Nous parcourons plusieurs kilomètres par jour pour venir ici, à Thiel, à la recherche de l’eau. »

Et se tournant vers le forage : « Vous voyez ce forage est trop sollicité et les antennes promises pour desservir les villages polarisés ne sont pas réalisées. Pourtant, nous voulons faire la même chose que ce que font les autres comme on l’a montré avec le plan Reva. Ici, nous avons des terres fertiles en grande quantité, ce qui nous manque c’et de l’eau et des intrants. »

Il informe des initiatives prises pour soumettre leurs préoccupations aux autorités gouvernementales et qui sont demeurées infructueuses. Il regrette la politique agricole du régime de Senghor : « Il y a peu de temps je semais plus d’une tonne d’arachide, mais depuis 2002, je n’arrive pas à avoir 300 kg de semences. Le capital semencier est passé de 120 000 tonnes à moins de 30000 tonnes et ce n’est pas des semences de qualité. Pire, il n’y a plus de matériel agricole. Depuis 1981, je n’ai pas vu une seule charrue vendue ou donnée à crédit aux paysans. L’engrais est invisible. Nous sommes abandonnés par le régime d’Abdoulaye Wade. »

Les éleveurs aussi…

Les éleveurs ne sont pas plus heureux. A la suggestion du directeur de la mutuelle du Djoloff de prendre les taureaux par les cornes en s’auto-organisant et en développant des stratégies de promotion et de développement durables comme une coopérative des pasteurs pour avoir leurs forages et faire la culture de fourrages articulée à une modernisation et l’insémination artificielle pour plus de lait et de viande, Daouda Silat Ka, Président du conseil rural de Thiel souligne : « Nous les éleveurs nous sommes les oubliés de la politique . Nous ne pouvons pas avoir de terres comme les agriculteurs à qui on affecte des terres de culture pour nos pâturages. Nous ne rejetons pas les cultures fourragères ni l’insémination artificielle, mais c’est un obstacle à lever. »

Et un autre éleveur qui vient de recevoir un sac de concentré d’aliment dans le cadre de l’opération sauvegarde du bétail de renforcer : « Seuls quelque 202 sacs de 40 kg sont destinés à la communauté rurale de Thiel. Cela suffit pour confirmer que le régime de Wade ne se soucie pas de l’élevage et des éleveurs. Pour distribuer ce tonnage chaque mouton vacciné a droit à 200 grammes de concentré. A quoi cela peut servir ? »

La période de soudure qui s’ouvre est également marquée par le renchérissement du coût de la vie dans le monde rural où les habitudes alimentaires épousent celles des populations urbaines. « Le kilo de riz, selon Mariama Gomis, une femme d’âge mûr trouvé devant son étal dans le marché hebdomadaire de Thiel, est à 250 francs pour le riz non parfumé, le litre d’huile varie entre 900 et 950 ; le kilo de mil se situe à 20 francs, celui de sucre en morceaux à 750 francs. »

Dans l’attente de pluies, le monde rural se bat pour survivre dans la zone sylvo-pastorale.